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Des droits à payer pour consulter Internet ?

Paralipomènes - Michèle Battisti, 21/05/2013

Les rebondissements du procès Meltwater au Royaume-Uni donnent à nouveau  l’occasion de s’interroger sur la légalité d’une consultation de pages web sans licence ad hoc. Un feuilleton passionnant que ce procès fait au Royaume-Uni par la presse à un prestataire de veille ! Après une décision

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Browsing the bookstore. Hogret-stock. CC by-nc-saLes rebondissements du procès Meltwater au Royaume-Uni donnent à nouveau  l’occasion de s’interroger sur la légalité d’une consultation de pages web sans licence ad hoc.

Un feuilleton passionnant que ce procès fait au Royaume-Uni par la presse à un prestataire de veille ! Après une décision en première instance, puis par une cour d’appel, la Cour Suprême saisie transfère la question à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), mais non sans avoir longuement analysé le sujet.

De quoi s’agit-il ?

Meltwater propose un service payant de diffusion sélective de l’information (DSI) constitué à partir de mots-clés trouvés dans la presse en ligne. Pour réaliser ce service, qui implique des copies d’œuvres protégées, en l’occurrence des articles de presse, Meltwater paie, sans surprise, des droits.

« It is common ground that Meltwater agreed to take a licence from the publishers of the newspapers to provide their service on terms which have been settled by the Copyright Tribunal », relève-t-on dans la décision détaillée de la Cour suprême du 17 avril 2013.

Les clients paient aussi des droits d’auteur pour les titres munis de liens [1] qui contiennent leurs mots-clés et qui leur sont envoyés par e-mail.

« It is also common ground, and has been from an early stage of these proceedings, that Meltwater’s customers require a licence to receive the service in its present  form. This is because in its present form the service automatically involves the transmission of the monitoring report by e-mail. The email copy is not temporary. It is stored on the recipient’s hard drive until the end-user chooses to delete it », relève-t-on, en effet, aussi.

C’est sur ce dernier point que réside la question posée : la nature éphémère ou non de la copie dont disposent les clients.

Des droits pour consulter des pages en ligne ?

Pour la Cour suprême du Royaume-Uni, la question est de savoir, en effet, si des droits sont également requis lorsque les clients consultent cette même sélection de titres et de liens sur le site du prestataire. En consultant les pages web, ne créent-ils pas une copie cache des documents sur leur matériel de lecture ?

La directive européenne sur le droit d’auteur est pourtant claire. Son article 6.1 indique que  les copies « provisoires (1) qui sont transitoires ou accessoires (2)  et constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique (3) et dont l’unique finalité est de permettre: a) une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, ou b) une utilisation licite d’une oeuvre ou d’un objet protégé (4), et qui n’ont pas de signification économique indépendante (5) » sont des exceptions au droit d’auteur (si les 5 conditions sont remplies) et ce, dans les tous les pays de l’Union car il s’agit d’une exception qu’il est obligatoire de transposer.

Et, s’il y avait un doute, le considérant 33 de cette directive précise qu’il s’agit notamment d’actes qui « permettent le survol (browsing), ainsi que les actes de prélecture dans un support rapide (caching), y compris ceux qui permettent le fonctionnement efficace des systèmes de transmission ».

Pourquoi donc ces questions ?

Le modèle économique, bien sûr, car il n’y aurait pas de droits à payer par les clients qui consultent en ligne des articles librement accessibles sur le web [2], du moins tant que ceux-ci n’impriment pas et ne téléchargent pas les articles qui les intéressent.

S’il s’agit bien d’une copie technique, provisoire, est-elle vraiment accessoire et surtout sans « signification économique » ? S’agit-il d’une « utilisation licite » et dans ce cas, retenir que l’ayant droit ne l’a pas expressément autorisée, notamment au regard des conditions générales  des sites (CGU) qui, bien souvent, n’autorisent qu’une utilisation personnelle et non commerciale ?

Pour les juges britanniques de première instance et d’appel, l’internaute consultant volontairement ces pages sur le site du prestataire implique la nécessité d’une licence. Il n’y aurait pas de « survol » tel que considéré dans la directive européenne, ce dernier ne s’appliquant qu’aux processus purement techniques, créés et (important) supprimés immédiatement, les finalités du processus atteintes.

Mais, note la Cour suprême, lire un document sans en  avoir l’autorisation n’a jamais été une infraction au droit d’auteur. Ce n’est que sa mise à disposition qui est une contrefaçon. L’usage personnel et non commercial visé par les CGU ne serait, dans les faits, que la copie et l’usage à des fins privées (mais au Royaume-Uni, la copie privée n’existait pas ; voir là aussi) et nous sommes ici dans un cadre non privé (si l’on admet que l’activité professionnelle n’est pas un usage privé).

Faudrait-il avoir une licence pour lire sur internet ? Telle est la question troublante posée in fine par ce procès. Mais le mot-clé ici ne serait-il pas « client » ? Toutes ces questions ne sont-elles pas posées car il s’agit d’un service commercial ? Le problème aurait pu, certes, être résolu si  des droits étaient payés par les clients de Meltwater pour consulter les  pages les concernant proposées en accès réservé (j’imagine) sur le site de ce prestataire (il a bien été admis qu’une telle licence était nécessaire pour lire les articles accessibles qu’aux abonnés du site de presse concerné qui, lui, dispose des droits). Mais sur quel fondement puisqu’il n’y a pas de copie – hors copie technique, provisoire … – de leur part ? Telle reste la question.

La Cour suprême relève que la copie cache ne disparaît pas immédiatement, que la Cour de justice de l’Union européenne a déjà statué sur l’usage licite de la copie provisoire, notamment dans un arrêt Football Association Premier League du 4 octobre 2011 et, plus récemment dans un arrêt Infopaq II du 17 janvier 2012, qui admettait que le procédé technique (ce qui serait ici la consultation volontaire des pages du site) puisse être « lancé manuellement », et que la copie cache est, bien évidemment nécessaire  à cette consultation.

Dans l’arrêt Infopaq II qui concernait aussi un prestataire de presse, la copie technique a été jugée licite car elle n’a qu’une finalité : permettre une « synthèse plus efficace d’articles » (et la rédaction d’une synthèse d’articles est licite dans la loi danoise). De ce fait l’extraction des mots-clés et des 10 mots qui l’accompagnent est « un usage licite d’une œuvre protégée ».  L’acte a-t-il « une signification économique indépendante », c’est-à-dire permettant « des gains de productivité » ? II faudrait pour ceci qu’il y ait « un avantage économique de l’exploitation de la reproduction provisoire elle-même » ou « une modification de l’objet reproduit au moment du déclenchement du procédé technique concerné car les actes ne facilitent pas son utilisation mais l’utilisation d’un objet différent », ce qui n’est pas le cas non plus.

La Cour suprême du Royaume-Uni interroge la CJUE sur une seule question : le fait que la copie cache reste en ligne pendant quelques temps après la consultation des pages par l’internaute jusqu’à son remplacement par d’autres copies caches et qu’une copie d’écran  reste sur l’écran jusqu’à la fin de la consultation (d’internet) par l’utilisateur. Ces copies relèvent-elles de la copie technique telle que formulée dans la directive européenne sur le droit d’auteur ?

A suivre donc …

 


[1]  « The hyperlink (in the form of a reproduction of the headline) which enables the user to access the article on the relevant source website. » Dans les faits, à côté du titre apparaissent aussi les premiers mots de l’article et quelques mots qui entourent le mot clé sélectionné, soit des extraits considérés, j’imagine, comme étant protégés. Suffisent-ils pour imaginer qu’il y ait atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou qu’ils représentent une partie substantielle de celle-ci, ce dernier cas s’apparentant au droit des bases de données ? Avec le droit du producteur de base des données, on glisse  de l’analyse intellectuelle (l’extrait original)  à l’analyse économique (l’extrait substantiel).

Sur le titre, voir: La protection des titres en droit français et anglais à travers la Convention de Berne, Alix van der Wielen, Société de l’information, droit et médias (Master bilingue des droits de l’Europe), 28 avril 2010. Mais si nous considérons volontiers que la reprise d’un titre puisse être interdite lorsqu’elle engendre une confusion entre deux œuvres, le cas ne s’applique pas à des fins d’information (Dans ce cas, l’autorisation serait requise pour de nombreuses notices bibliographiques).

[2] Si les articles ne sont accessibles que par abonnement, il appartient au client de Meltwater de s’abonner auprès de l’éditeur de presse.


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