Wade ne veut plus en sortir !
Justice au singulier - philippe.bilger, 26/02/2012
A Dakar en 2007, le président de la République, dans un grand discours, avait déclaré que "l'homme africain n'était pas assez entré dans l'Histoire...". Cette phrase avait suscité un tollé de protestations et, encore aujourd'hui, elle continue de faire débat. En tout cas, Henri Guaino, qui l'avait écrite pour Nicolas Sarkozy, n'a pas cessé de la défendre et de la justifier.
Le paradoxe est qu'aujourd'hui, au Sénégal, le président Abdoulaye Wade, âgé de 85 ans, persiste à se présenter pour un troisième mandat dans des conditions gravement irrégulières et que la seule incertitude concerne sa victoire au premier ou au second tour. L'opposition contre lui est divisée et les nombreuses manifestations, notamment des jeunes Sénégalais, parfois violemment réprimées, n'ont pas ébranlé la scandaleuse résolution du président Wade (Journal du Dimanche).
Une fois écarté l'argument sur la sagesse qui serait corrélative avec l'âge et l'excellence, selon lui, de son état physique, quel ressort fondamental, décisif peut ainsi pousser un homme intelligent, une personnalité apparemment équilibrée à une démarche aussi narcissique et à la fois tellement ridicule ? Faut-il considérer que l'ambition, en dépit d'un bilan guère brillant, devient une drogue si puissante, et la vanité un aveuglement si muré sur soi, que plus rien ne compte qu'une nouvelle victoire même frauduleusement conquise? Abdoulaye Wade est-il à ce point dénué de tout regard critique, introspectif que son âge ne lui apparaisse pas comme un obstacle, une incongruité ? Pourquoi au Sénégal un responsable politique est-il si entiché de soi qu'il se persuade que le pays et le peuple ont encore, toujours besoin de lui ? Le pouvoir, pour Wade, serait-il la vie et ne plus l'avoir serait-il une mort anticipée avant la vraie ?
Le plus désolant dans cette pantalonnade sénile est qu'elle conduit à tourner en dérision non seulement ce président arrogant mais le Sénégal et l'Afrique toute entière, l'homme africain aussi. Comme si Wade n'était que la preuve de la dramatique originalité de ce continent dans le rapport de ses chefs avec le Pouvoir.
Mais Wade est seulement concerné. Lui seul. Sa folie est singulière et son entêtement unique. Ses 85 ans mériteraient le repos mais il n'écoute personne.
Cet homme africain ne veut plus sortir de l'Histoire.