Prendre ses désirs pour la réalité
Justice au singulier - philippe.bilger, 11/06/2012
Le 17 juin se déroulera le second tour des élections législatives. En toute liberté, après avoir entendu beaucoup de commentaires qui à droite comme à gauche, avec des variations conjoncturelles, se fondaient sur un terreau commun à tous les soirs de joutes politiques, je voudrais me laisser aller à quelques observations, à certaines espérances (Le Monde, Le Figaro, Le Parisien, nouvelobs.com).
La droite classique n'est pas morte après la défaite de Nicolas Sarkozy. Elle a tenu, bien tenu. Pourtant, elle revenait de loin après le dévoiement insensé de la fin de la campagne présidentielle.
L'abstention massive est une catastrophe démocratique. Il y a certes le mouvement habituel qui laisse le corps électoral exsangue, sans ressort après l'élection capitale alors qu'il serait normal pourtant de terminer l'ouvrage. Il y a davantage sans doute : la lassitude devant un quinquennat qui avait commencé avec le triomphe éclatant de la politique et s'est terminé avec la vulgarité ostensiblement cultivée de la démagogie. Il faudra du temps pour remettre le pays en état de civisme généralisé.
La déroute de Rama Yade fait du bien. L'électeur démasque ce que les médias absurdement idolâtrent. Le mythe fabriqué a touché terre et s'est détruit.
Il serait inconcevable que Ségolène Royal soit battue parce qu'un autre socialiste dissident la déteste et que la droite, sans honte, va préférer voter pour celui-ci. La présence d'une telle femme à l'Assemblée nationale est évidemment nécessaire. Il y a des personnalités qui dépassent les antagonismes immédiats : elle doit faire partie de celles-là.
Si François Bayrou n'était pas député, pour la première fois depuis 1984, la France serait privée d'un démocrate sincère, courageux, indépendant, qui a su faire le bon choix quoi qu'il en coûte. Les étriqués et les petits de la politique auront beau s'engluer dans leurs combinaisons: il y a des miracles en République et un destin tenace pour les belles fidélités à soi-même.
Jean-Luc Mélenchon a affronté une épreuve. Avec panache. Mais il est mauvais joueur quand il a perdu. En effet, il a été mis KO et son attitude à l'encontre d'Alain Marschall sur BFM TV qui le lui rappelait a été infiniment grossière. Ce sera une leçon pour ce formidable tribun : la puissance de l'être et la force talentueuse d'un discours ne font pas tout. Il faut aussi compter avec la substance, le fond. Même Zorro aujourd'hui a besoin de convaincre.
Quel soulagement pour tous ceux qui n'aiment pas Christian Vanneste ! Sa liberté, son intelligence, sa volonté de sortir des chemins balisés, son caractère ne feront plus une ombre insupportable à ses collègues. Les tièdes auront toute la place.
Henri Guaino, installé dans les conditions qu'on sait dans la 3ème circonscription des Yvelines, n'est pas assuré de gagner si le dissident UMP ne se voit pas contraint de disparaître du second tour. S'il faut favoriser la victoire d'Henri Guaino, c'est pour que paradoxalement elle substitue à l'inconditionnel du sarkozysme le député inventif, libre, heureusement imprévisible.
Il est fondamental qu'il y ait des députés FN à l'Assemblée nationale. Rien de pire que de laisser ce parti à l'extérieur de l'espace parlementaire. Ses propositions passées au feu de la discussion, dans un débat d'autant plus intense que les députés auront recouvré une latitude et une créativité depuis longtemps oubliées, seront appréciées pour ce qu'elles valent. Cette politique de présence ne lui permettra plus de jouer sur le registre de l'exclusion. L'aura du martyr, surabondamment exploitée, ne sera plus une indignation crédible.
Que va faire l'UMP en face du FN ? La comparaison avec le Front de gauche a-t-elle du sens ? Le FN est-il une droite hard par rapport à une droite classique qui serait soft comme il y aurait une gauche hard et une gauche présidentielle plutôt soft ? L'UMP va-t-elle pouvoir continuer à brandir son rejet politique et éthique avec une Marine Le Pen débarrassée des obsessions du père et avec un électorat qui est seulement prêt très résiduellement à élire la gauche en face du FN et majoritairement favorable à un accord politique avec celui-ci ? Les protestations morales, l'affirmation de la différence des valeurs - sauf pour Nadine Morano - ne sont-elles pas d'autant plus vivement exprimées qu'en profondeur un mouvement s'élabore qui au contraire vise au rapprochement ? Apparemment, à entendre certains responsables de l'UMP, on s'orienterait vers un "ni ni". Il y a déjà des fuites. Le FN à côté de l'UMP ou en son sein représentant un courant dur et dissident sur certains plans ? Le FN veut-il d'ailleurs de l'UMP? Désire-t-il la faire ployer de l'extérieur ou non ? Il y a là de multiples interrogations que le Bureau politique de l'UMP ne pourra traiter rapidement, avec désinvolture, avec le confort de l'éthique sans argumentation politique.
Enfin, pour moi qui ai voté François Hollande sans être un dévot socialiste, je suis partagé pour ce que devra être la majorité de gauche. Absolue ? Rien à craindre alors de l'emprise du Front de gauche et de EELV mais le risque d'une politique à tonalité exclusivement et purement PS. Relative ? Nécessité du soutien du Front de gauche et de EELV. Mais comment persuader le Pouvoir, dans ces conditions, dans l'un ou l'autre cas très dépendantes du socialisme et de sa mouvance extrême et écologique, de tenir compte des citoyens qui n'aspirent pas au catéchisme mais souhaitent voir leur rôle décisif consacré et reconnu pour l'élection de François Hollande ? Sans 60% d'entre eux, le président d'aujourd'hui serait celui d'hier réélu. Le Pouvoir est fait de bien plus que la Gauche. S'il l'oubliait, ce serait dramatique pour la qualité de ses oeuvres comme pour 2017.
J'ai comme l'impression que la réalité n'est pas enthousiasmée par tous mes désirs. Peu importe : c'est déjà un bonheur que de pouvoir les exprimer.