De Gaulle magnifié, de Gaulle regretté mais de Gaulle dégradé...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 29/05/2017
Dans l'après-midi du 27 mai, à Colombey-les-Deux-Eglises, un homme d'une trentaine d'années est monté sur la tombe du général de Gaulle qui y repose depuis le mois de novembre 1970. Il a poussé avec ses pieds, à 17 heures 14, la croix qui s'est effondrée sur la stèle puis brisée. Il avait, selon certains témoins, également craché sur la sépulture. Il a rejoint ensuite une femme qui l'attendait en voiture. L'un et l'autre sont actuellement toujours recherchés.
Il n'est pas certain que le profanateur savait quelle tombe il dégradait car "récemment rénovée par sablage, elle pouvait passer inaperçue" (http://www.leparisien.fr/flash-actualite-politique/colombey-les-deux-eglises-la-tombe-du-general-de-gaulle-degradee-27-05-2017-6989691.php).
Mais l'indignation unanime s'est manifestée sans attendre, d'autant plus exacerbée que cette dévastation avait été opérée la veille de la Journée nationale de la résistance et que d'aucuns y percevaient un lien irréfutable et malfaisant.
Les premières informations semblaient pourtant plutôt mettre en cause le comportement d'un déséquilibré sans intention politiquement et historiquement perverse. On a pu établir que le couple recherché (interpellé le 30 mai) avait été surpris quelques minutes avant 17 heures 14 en train de tenter de soustraire des friandises et des drapeaux dans un commerce. Le parquet de Chaumont a ouvert une enquête pour dégradation aggravée, violation de sépulture et tentative de vol et on attend de connaître l'ADN du crachat.
Autrement dit, à l'heure actuelle, rien ne nous permet d'avoir une lumière précise sur la personnalité, la psychologie et les motivations de l'auteur du saccage ni d'avoir la moindre lueur sur la femme qui l'accompagnait.
Cela n'a pas empêché tous nos responsables politiques, à commencer par le Premier ministre, d'entonner le grand air de l'indignation et de l'outrance. Comme s'il était acquis que la transgression avait été inspirée par une quelconque idéologie, par de l'antigaullisme ou de la dérision à l'égard de la Résistance. Alors que l'incertitude totale continue à régner.
Edouard Philippe, généralement plus maître de ses mots, a évoqué rien de moins "qu'un crime contre la France". Qu'on me comprenne bien : cette profanation est en elle-même scandaleuse et n'a nul besoin, pour susciter la détestation, d'une enflure qui, dans le doute absolu, a prêté à un inconnu des desseins horribles et lui a imputé un sacrilège historique.
Ce dont il convient de s'étonner et qui est miraculeux tient dans le fait que depuis quarante-six ans notre modernité de plus en plus dévoyée, et les pulsions délétères qui s'amplifient et ne respectent plus rien ni personne, n'aient pas déjà porté atteinte à cette tombe. Tant une forme de consensus autour d'un homme respecté et de surcroît disparu suscite paradoxalement et honteusement chez certains des envies de transgression, des appétences de profanation. Un désir de cracher sur elle.
Chaque jour, l'actualité nous apprend que des cimetières chrétiens, musulmans ou juifs sont souillés et dévastés, que des églises, plus rarement des mosquées et des synagogues, sont profanées au point que les réactions, les résistances s'attiédissent et qu'on ne s'étonne plus de voir banalisés et brisés les lieux qui longtemps ont suscité le comble du respect et la décence. Une réserve délicate.
Il est fini ce temps où l'humanité, même la moins honorable, s'empêchait de mettre la main sur les îlots de la piété.
Ces dévastations qui ne cessent plus et qui font partie dorénavant des informations usuelles - juste de petits entrefilets - d'une certaine manière, inspirées par la bêtise ou l'ignominie, ne sont même pas justifiables par un délire politique, une haine partisane qui auraient pu conduire un opposant, un ennemi, un aigri à s'en prendre à la sépulture de de Gaulle.
On ignore quel poison a inspiré cet acte du 27 mai, quel déséquilibre, quelle ivresse, quel pari odieux, quelle absurdité. Aussi aurais-je aimé de la part du gouvernement en particulier - puisque le président Macron sait parfaitement tout ce qu'il ne faut pas ou plus faire en inventant son propre chemin - de la réserve, de la retenue, de l'attente, de la précaution. A se précipiter comme Nicolas Sarkozy ou François Hollande, surtout dans le flou, la tête est baissée et la démarche peu clairvoyante. Un pouvoir, dans ces domaines si sensibles, doit veiller à remettre au lendemain ce qu'aujourd'hui rendrait imprudent ou démagogique.
Mais je n'oublie pas, pas plus que tous les autres.
De Gaulle magnifié, de Gaulle regretté mais de Gaulle dégradé !