Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés !
Justice au singulier - philippe.bilger, 26/05/2014
Ce titre m'est offert par le génial fabuliste Jean de La Fontaine qui avait tout prévu.
Il y a la présomption d'innocence, je sais.
Elle n'a jamais autant servi, été invoquée, exploitée que pour Nicolas Sarkozy, ses affidés et ses amis. Le bon sens commanderait de se dire que pour avoir si souvent besoin de cette protection formelle, cet aréopage n'est sans doute pas virginal et que l'éthique publique n'a pas été son fort !
Mais il y a une justice d'exception : non pas celle qui accablerait l'ancien président et ses obligés mais celle qui, contre vents et marées, contre l'inlassable montée des soupçons et le tintement assourdissant des casseroles, fait la fine bouche, renvoie le citoyen de plus en plus étonné, voire indigné dans ses cordes, et constitue l'état de droit non pas comme un outil de vérité mais pour une barrière quasiment infranchissable.
Qu'on fasse la liste de tous ceux qui, dans l'entourage amical et politique du vaincu de 2012, ont dû, pour des raisons diverses et sur des registres différents, se confronter à des processus éprouvants : mutation, police, justice.
Pour ne pas parler de Nicolas Sarkozy lui-même qui continue, soutenu par un populisme élitiste antijuges, à jouer la victime et à se draper dans la posture de l'innocent outragé après que l'UMP a payé pour lui.
Le plus navrant, c'est qu'avant toute implication judiciaire et même sans mise en cause officielle, il n'est personne qui doute de la plausibilité de ces attaques. Il y a des personnalités qui représentent leur meilleur avocat et d'autres leur pire procureur. On verra bien à la fin.
Mais tout de même, à considérer le nombre des collaborateurs et agents publics qui ont sous son égide franchi la ligne rouge qui sépare la réputation sans tache d'une image pour le moins controversée, voire douteuse, on ne peut pas qualifier autrement Nicolas Sarkozy que de grand pervertisseur. A force d'avoir laissé croire que tout était possible, permis et que l'impunité était assurée pour et par un pouvoir et ses annexes prétendus intouchables, il a conduit certains à lâcher la bonde. J'en veux moins à ces derniers qu'au chef qui a diffusé cette délétère inspiration.
Georges-Marc Benamou, François Pérol, Nicolas Bazire, Thierry Gaubert, Philippe Courroye, Patrick Ouart, Gilbert Azibert, Claude Guéant, Patrick Buisson, Christine Lagarde, Stéphane Richard, Eric Woerth, les époux Balkany, de hauts fonctionnaires de la police... Je suis persuadé que la liste ne s'arrêtera pas là.
Des enquêtes, le tribunal correctionnel, des juges d'instruction, la commission d'instruction de la Cour de justice, ici de la rapidité, là une extrême lenteur, ici des procédures qui malgré l'ancienneté avancent, là la coalition de tactiques et de connivences pour entraver, ici des magistrats efficaces et déterminés, là des prudences et des accommodements, ici la certitude que le temps n'est pas un allié pour la justice et là qu'il lui servira à la différer...
Peu importe ce qui résultera de ces pistes multiples et de ces fumées s'échappant du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Déboucheront-elles sur des feux, peut-être ?
En tout cas, ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés.
Bien sûr, il y a la présomption d'innocence qui n'est jamais plus intensément revendiquée que par les coupables sûrs de l'emporter... Les vrais innocents ont en général le verbe moins haut et n'ont pas une cohorte de fidèles aveuglés pour traîner les juges dans la boue.
Puisque j'ai fait appel au fabuliste, il nous faut une morale.
Nicolas Sarkozy, en conclusion d'une page décapante consacrée aux époux Balkany (JDD), nous la formule : "ceux qui ont fait des bêtises les paieront".
Inconscience, cynisme, croyance tardive en la justice ?
Cette sentence s'applique à qui ? A ses collaborateurs, à ses amis ?
A lui ?