Il faut interpeller les politiques !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 19/06/2018
Je ne comprends même pas qu'on se pose la question de savoir s'il convient d'interpeller les politiques.
Comme s'il n'y avait pas là un mouvement irréversible qui résulte d'une double évolution. Celle de politiques qui par démagogie ou conviction vont vers le citoyen dans une démarche de proximité qui ne va pas cesser de s'amplifier. Celle d'une société qui révère de moins en moins une classe politique payant la rançon, à force de se banaliser, d'un traitement ordinaire.
La cause est entendue et il serait absurde de croire que par exemple une tour d'ivoire présidentielle soit encore possible. Les présidents d'hier, avant Nicolas Sarkozy, s'ils avaient gouverné dans le climat actuel, auraient vraisemblablement succombé à l'obligation de ce lien rapproché et à sa manière, Charles de Gaulle l'avait théorisé et mis en oeuvre dans la pratique même de son pouvoir.
Emmanuel Macron a commencé son mandat avec l'exigence d'une parole rare destinée à nous changer de la profusion médiatique d'un François Hollande mais le premier a dû s'adapter et s'il n'a pas plus de considération pour les médias en général, il a au moins enrichi sa palette présidentielle d'une tonalité "populaire" se traduisant par la volonté de manifester qu'il était à la fois le même et différent, comme tout le monde et à part.
L'aptitude de nos présidents à maintenir leur dignité et celle de leur fonction en même temps qu'ils accepteront une familiarité de bon aloi, constituera un critère déterminant pour tous ceux qui ne jugent pas dérisoires le fond et la forme dans les contacts citoyens. Ni trop ni trop peu. Ni trop près ni trop loin. Il y faudra beaucoup de talent, une articulation fine entre la réserve et l'abandon. Les chefs d'Etat devront être des artistes de la communication et du lien.
Les interpellations par les citoyens, opposants, sympathisants ou curieux, vont se multiplier et je considère que la plupart du temps elles seront bienvenues. Parce que leur spontanéité et leur caractère "cash" changeront heureusement d'un questionnement médiatique qui, derrière son apparente audace, est tristement conventionnel. A condition, toutefois, que le peuple lui-même accepte les règles d'urbanité démocratique sans le respect desquelles le dialogue même vigoureux se dégrade en foire d'empoigne. Le besoin d'une pédagogie qui ne sera pas celle de la Corée du Nord ou de la Chine !
Emmanuel Macron me semble un parfait exemple, pour le meilleur et pour le pire, de tout ce que je viens de souligner. Il est profondément exaspérant, ce président qu'on ne peut jamais appréhender avec simplisme, sur un mode univoque !
Courage intellectuel et physique. Appétence pour les échanges musclés durant lesquels il a su échapper à toute vulgarité. Obsession d'expliquer, de faire comprendre et de rectifier quand il le fallait.
C'est ce même président qui à la fois, face à ses conseillers, avec un exhibitionnisme calculé, a dégradé le verbe présidentiel - "pognon de dingue" - et a su recadrer un jeune homme qui s'était permis de l'interpeller en l'appelant "Manu" (Le Figaro). Il lui a donné une leçon de politesse, en l'invitant à un Monsieur ou à un Monsieur le président, en raison du contexte et aussi pour protéger légitimement sa fonction et veiller à sauvegarder l'honneur qui lui était dû.
Il a précisé sa critique : " Le respect c'est le minimum dans la République, surtout un 18 juin, mais cela n'empêche pas d'avoir une conversation détendue".
Si ce garçon - à supposer que le 18 juin lui ait signifié quelque chose ! - est maintenant "déprimé" et ne souhaite plus parler à personne, ce n'est pas la faute du président mais d'une politesse très imparfaite à corriger (Morandiniblog).
Je ne peux pas m'empêcher d'éprouver de l'estime même pour ce "en même temps" boiteux. Il y a des ressources et des audaces chez Emmanuel Macron qui le sauvent à tout coup d'une appréciation durablement négative. Il nous évite de la déception à plein temps. Ce n'est pas rien.
Oui, il faut interpeller les politiques. Pour les contraindre à nous révéler ce qu'ils valent. Pour que nous soyons fiers de nos concitoyens. Pour avoir des réponses claires au quotidien.
Nous ne sommes pas si mal lotis en cette période. Ne faisons pas la fine bouche républicaine !