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Mais la Justice, Dupontel !

Justice au singulier - philippe.bilger, 17/10/2013

Pourquoi Dupontel, un jour, ne mettrait-il pas son talent au service de la vérité et de sa profondeur ambiguë, complexe plutôt qu'à celui de grimace ? Mais la Justice, Dupontel !

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Lors du dernier "Ce soir (ou jamais !)", à propos de l'erreur judiciaire je me suis retrouvé notamment avec Me Dupond-Moretti et Albert Dupontel, le réalisateur de "Neuf mois ferme" où il joue en compagnie de Sandrine Kiberlain (France 2).

Après avoir vu un extrait où celle-ci hurlait et avoir entendu Albert Dupontel, au demeurant très sympathique mais proférant les clichés lassants et ironiques sur les magistrats, j'étais inquiet. Je savais que j'irais voir le film et que probablement je me rongerais les sangs, tant le confort et la facilité de rire de la Justice demeurent aujourd'hui une mine inépuisable. Alors que, se redressant, elle devrait être soutenue sinon applaudie et que servile, elle méritait le châtiment, même celui de la dérision et de la moquerie. Le monde change, et heureusement elle aussi.

J'ai eu une bonne surprise.

D'abord, pour qui a subi la longueur de "La vie d'Adèle", les registres étant évidemment totalement différents, le rythme enlevé et vif de "Neuf mois ferme" m'est apparu comme une chance, un soulagement et une délivrance. Ce n'était pas gagné car il y a des comédies épouvantablement diluées, et ce sont les pires.

Ensuite, certes, c'est une pochade, et peu importent les invraisemblances aussi bien psychologiques que judiciaires, en particulier cette juge Felder travaillant à son bureau lors de la nuit du réveillon au Palais de justice avec des avocats - éméchés (et cela est moins invraisemblable !).

J'admets volontiers la définition de "drame rigolo" que Dupontel donne de ce vaudeville judiciaire, mais pas seulement (Le Parisien). En effet, il y a quelque chose, par moments, mais à rebours de son atmosphère gravement sarcastique, de "La tête des autres" de Marcel Aymé. Dans cette rencontre improbable entre une jeune femme célibataire juge d'instruction et un braqueur n'ayant jamais eu de sang sur les mains et surtout n'ayant jamais arraché les yeux de sa victime - j'ai songé à une affaire où j'avais requis, l'un des accusés ayant crevé les yeux de la morte pour que son regard ne lui fasse pas honte -, j'ai perçu, à gros traits, sur un mode caricatural, l'image d'une Justice affrontée à l'éternel débat sur la culpabilité ou l'innocence.

Qu'il y ait dans ces séquences loufoques ou fantaisistes des banalités n'est pas négatif car, au-delà de l'apparence, j'ai apprécié que Dupontel ne s'abandonne pas à la volupté de constituer les personnages judiciaires - juge d'instruction, avocat général et présidente de cour d'assises - comme des repoussoirs absolus, des êtres odieux. L'avocat bègue qui défend Nolan joué par Dupontel est lui hilarant.

La fin heureuse de cette charge en définitive ni aigre ni méchante montre un magistrat ayant le courage de ruiner sa carrière pour sauver un innocent qui est aussi, il est vrai, le père de l'enfant qu'elle porte.

Pochade, vaudeville, drame rigolo, comédie décapante, satire d'un univers, divertissement sans prétention - Dupontel, dans ses dialogues, ne joue pas au penseur -, "Neuf mois ferme" est tout cela et je ne suis pas sûr que j'aurais consacré à cette sympathique oeuvrette un billet si je n'avais pas rencontré Albert Dupontel chez Frédéric Taddéï et surtout si je n'avais pas lu ses entretiens promotionnels dont celui du Monde.

Il y déclare notamment ceci qui relève de la dénonciation type de la magistrature, avec l'assurance d'être approuvé par toutes les démagogies ignorantes ou cultivées : "Je pense de manière générale que les juges ne devraient pas juger des choses qu'ils ne connaissent pas...Comment voulez-vous qu'un juge comprenne pourquoi un gosse a volé un sac ?... Personnellement j'ai une phobie de l'erreur judiciaire. J'ai toujours peur d'être accusé de quelque chose que je n'ai pas fait".

Mais pour qui prend-t-il les juges ? J'espère qu'il a une meilleure opinion des cinéastes. Au nom de quoi les magistrats ne sauraient-ils pas comprendre les raisons, les mobiles et les ressorts de la délinquance ? Serait-il le seul, lui, Albert Dupontel, à saisir les méandres de l'âme humaine ?

J'approuve le reste ou du moins je n'éprouve aucune difficulté à partager l'angoisse de Dupontel et cette panique devant l'erreur judiciaire possible. Mais est-il obligé de tellement jouer sur du médiocre velours alors qu'il est si manifestement intelligent et singulier ?

A CSOJ, devant lui, j'avais évoqué les grands films italiens ou américains sur la justice. Force est de reconnaître que celle-ci et son univers peuvent conduire aisément à la farce ou alors à une flamboyante et belle gravité.

Pourquoi Dupontel, un jour, ne mettrait-il pas son talent, contre son art tout de grimace, au service de la vérité et de sa profondeur ambiguë, complexe ?

Mais la Justice, Dupontel !


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