Violence armée : L’incohérence de Libé
Actualités du droit - Gilles Devers, 11/04/2012
Libé est un journal idéal car du fait de son format, on peut le lire en mangeant le plat du jour à midi au café du coin, alors qu’avec Le Monde ou Le Figaro, c’est un vrai exercice de gymnastique. Et puis, le Libé de Demorand est assez distrayant.
Mais hier, je me suis quand même un peu agacé. Heureusement, Patricia servait une nouvelle fois un plat généreux et de caractère : un excellent magret de canard à la cuisson impec, avec une polenta et plein de joyeuses épices. J’ai quand même du commander un verre de Côtes-du-rhône pour faire passer la pilule de Libé. Comme quoi, tout n’est pas négatif.
Dans ses pages actu, Libé, modeste, raconte qu’il était une victime programmée de Forsane Alizza. Le groupuscule aurait eu un projet d’incendier le siège de Libé, au motif d’avoir accueilli la rédaction de Charlie Hebdo dont les locaux avaient été incendiés.
L’info a fuité via Le Figaro, et on ne sait rien du projet réel. Y avait-il des armes illégales, des préparatifs ? Nous aurons bien le temps de voir quels faits avérés ressortiront de l’enquête. En attendant, il y a bien un point qui ne prête pas à discussion : le recours aux armes dans une démocratie, respectant l’Etat de droit, est inadmissible et justifie la répression par la loi.
Me voici entrain de chanter des cantiques avec Demorand.
Mais là où j’ai failli m’étrangler, c’est en arrivant à la dernière page, occupée par un tendre portrait de Battisti, écrit par Violette Lazard qui s’est rendue à Rio rencontrer « l’ex-militant d’extrême gauche ». Le texte s’intitule « Plombé », l’histoire de ce gentil écrivain dont la vie est plombée par les méchants juges italiens. Un goût douteux car les victimes ont-elles bien pris du plomb, et elles en sont mortes. Victimes innocentes de ces années de plomb, avec ces groupes armés à l’origine de plus de 400 morts.
En face, une justice remarquable qui a jugé sans juridiction d’exception et en respectant les règles du procès équitable de la CEDH. Aujourd’hui, la quasi-totalité des personnes condamnée ont été libérées dans le cadre de mesures d’aménagement de peine.
Alors deux choses.
Libé pourrait faire un petit effort de précision quant aux faits. Violette Lazard a certainement lu le livre « L'Affaire Battisti. Un terroriste homicide ou un persécuté politique ? », publié cet été par le très respecté magistrat Giuliano Turone. (Aucune traduction en français n’est hélas disponible). Alors, pourquoi n’en tire-t-elle pas quelques questions ? Comment n’y trouve-t-elle pas le minimum de réserve ? Ce livre d’un grand pro de la justice, qui reprend l’affaire et ses polémiques point par point, et après étude des 53 caisses du dossier, rend des conclusions accablantes pour Battisti.
Il vous reste un doute sur la culpabilité dans les crimes de sang ? Je n’ai pas la prétention de vous convaincre. Mais il y a bien une chose sur laquelle tout le monde est d’accord, c’est le groupe armé clandestin, revendiqué par Battisti, pour commettre des attentats, ce qui est aussi revendiqué par Battisti. Ca s’appelle « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».
Voilà donc notre pauvre Libé qui verse sa larme sur Battisti et dénonce les projets de Forsane Alizza. Ce sous l’étendard des héros de la liberté de la presse pour avoir accueilli les amuseurs défraichis de Charlie...
Tu vois, Libé, il y a un principe simple : dans une démocratie qui respecte l’Etat de droit, on doit interdire tout recours à la violence armée et en condamner les auteurs. Point. Ca, ca ne se discute pas et c’est acquis depuis deux mille ans. Si tu acceptes le recours à la violence armée, c’est que tu estimes que des vies valent plus que d’autres. Ce faisant, tu exposes des innocents aux balles plus ou moins perdues d’assassins qui font les malins en se cachant derrière leur petit délire verbal.
On verra ce qui sera retenu contre Forsane Alizza. S’il y a des armes illégales, ca me suffit à marquer toute ma réprobation. Mais à voir le double traitement entre les « salafistes » de Forsane Alizza et « l’ex-militant d’extrême-gauche » Battisti, je vois que Libé n’a toujours pas grandi et n’est pas au clair sur le recours à la violence armée dans les démocraties, ce qui est tout de même fâcheux.