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Un parfum de lilas au tribunal pour enfants (474)

Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 12/06/2012

Ce matin–là, à l’audience du tribunal pour enfants – peu importe ici la localisation géographique de la juridiction - une quinzaine d’affaires étaient inscrites au rôle. Grosse audience. Mais aucun jeune présent. Plusieurs d’entre eux, sans domicile fixe, s’étaient vus … Continuer la lecture

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Ce matin–là, à l’audience du tribunal pour enfants – peu importe ici la localisation géographique de la juridiction - une quinzaine d’affaires étaient inscrites au rôle. Grosse audience. Mais aucun jeune présent. Plusieurs d’entre eux, sans domicile fixe, s’étaient vus notifier la date de l’audience par le juge des enfants devant lequel ils avaient été déférés voici quelques semaines. Au menu du jour, plusieurs cambriolages ou tentatives de cambriolages. Des jeunes généralement âgés de 16 ans. Souvent des roms. Peu d’entre eux déjà connus ou condamnés.

Depuis le début de l’audience, le tribunal avait plutôt eu tendance à suivre le parquet dans ses réquisitions. Des peines de prison, généralement ferme de trois à cinq mois, avaient déjà été prononcées, avec exécution provisoire  ce qui doit conduire à l’incarcération du jeune condamné à sa prochaine interpellation.

Affaire 8. Le président se saisit d’un nouveau dossier. Il ne pèse pas lourd comparé à la plupart de ceux qui se dressent devant lui.

Les trois jeunes prévenus portent le même nom de famille. Apparemment des frères ou des cousins issus de la communauté rom roumaine. Ils ne sont pas présents. Sera-ce un défaut s’ils n’ont pas pu être touchés par la citation ou un jugement réputé contradictoire s’ils ont été informés par le juge des enfants de la date d’audience. ?

Pour répondre à cette question de procédure première essentielle à aborder en entame, le président recherche comme à l’ordinaire le procès-verbal de première comparution dressé par le juge des enfants. Impossible de mettre la main dessus. Il décide alors de se raccrocher à l’ordonnance de renvoi ou à la citation devant le tribunal délivrée par huissier qui se trouvent d’ordinaire sur le haut du dossier. Pas d’ordonnance de renvoi, pas de citation d’huissier. Le dossier serait-il incomplet ?

Le procureur de la République vient alors à son secours :

-        Monsieur le président il s’agit d’une Convocation par officier de police judiciaire. Vous trouverez les COPJ agrafées au revers du dossier

-        C’est exact. J’avais oublié. Il faut vous dire que c’est une première pour moi : je n’ai encore jamais eu de COPJ devant le tribunal pout enfants.

De fait il s’agit d’une nouvelle disposition introduite en août 2011 qui permet désormais pour assurer une réponse rapide et ferme au procureur de la République de renvoyer directement un jeune de plus de 13 ans devant le tribunal pour enfants, présidé par un juge des enfants assisté de deux assesseurs civils où il pourra être requis des peines de prison.

Ce dispositif qui permet de faire remettre directement une convocation devant le juge des enfants à la demande du parquet par les policiers à un jeune au sortir de sa garde à vue existe déjà depuis 1995. Il s’agit pour le parquet de forcer la main aux juges des enfants taxés d’être peu réactifs. Le jeune se présentera le jour J à l’heure H au cabinet du juge qui pourra alors prononcer des mesures éducatives ou renvoyer, après audition, devant le tribunal pour enfants.

Avec la loi du 10 août 2011 le parquet peut aller directement devant le tribunal pour enfants sans que le passage du jeune au cabinet du juge soit nécessaire ni même qu’il ait lui-même à voir le jeune comme dans la procédure de présentation immédiate. On pratique donc comme pour les adultes. On trouve là l’une des dispositions techniques retenues par le gouvernement précédent pour mettre à bât la spécificité de la justice des enfants.

Le jeune n’a pas besoin d’être un récidiviste. Il suffit que la peine encourue soit de 5 ans pour les 13-16 ans, soit un vol avec un circonstance aggravante, et de trois ans pour les plus 16 ans, soit un vol simple.

Mesurant les limites, sinon le danger d’une telle procédure destinée à contourner le juge des enfants et à annihiler ses possibilités d’engager un travail éducatif le temps de l’instruction pour privilégier la recherche d’une peine rapide et ferme, le procureur de la République, pas spécialement  angélique, s’était lui-même engagé, à la publication de cette nouvelle et n ième loi, à y recourir avec parcimonie. Réaliste il savait combien on avait à perdre à se priver de la prise en charge éducative des jeunes. Il veillerait à ce que les des faits soient graves ou à ce que les jeunes présentent des personnalités particulièrement préoccupantes appelant à des réponses fermes et hautes de symbolique autoritaire.

 L’affaire 8 doit être grave.

 Comme il se doit, le président lit les termes du renvoi devant la juridiction : il est reproché à chacun de ces jeunes d’avoir le 12 mars 2012, en réunion et par escalade,  soustrait frauduleusement … des lilas. Ils risquent 7 ans de prison divisés par deux avec l’excuse atténuante de minorité.

De fait, le trio a été vu passer par-dessus la clôture d’un lycée pour se servir en branches de lilas. La police alertée les a rapidement interceptés dans une rue proche, chacun porteur d’un sac plein de l’odorante fleur. Aucune résistance, aucune contestation devant les policiers :

-        « C’est la fête des morts, Monsieur. On voulait porter du lilas dans chaque caravane des camps ! »

 Le procureur de la République informé par le commissariat prend sa décision au téléphone : « COPJ devant le tribunal pour enfants … ».

L’instruction à l’audience est courte. Incontestablement, le représentant du parquet est mal à l’aise devant l’étonnement du tribunal : saisir le tribunal pour enfants pour le vol de quelques branches de lilas ! Certes il ne fallait pas laisser passer ne fut-ce que l’intrusion illégale dans ce lieu public que constitue un lycée. Mais plutôt que de saisir le tribunal pour enfants dans sa composition lourde, on aurait pu faire donner un avertissement à l’ancienne par les policiers, pourquoi pas par un délégué du procureur de la République, ou encore ordonner une mesure de réparation à l’initiative de ce même procureur. Saisir le juge des enfants était déjà inadapté, mais renvoyer devant le tribunal pour enfants qui peut juger des crimes commis pour les moins de 16 ans, on se frotte les yeux.

On frise, sinon on atteint  le ridicule même si on ne prend pas à la lettre l’argument des jeunes qui voulaient plus sûrement se faire quelque sous dans une vente sauvage de fleurs au détour d’un carrefour que d’honorer les morts.

Le représentant du parquet, tout en restant solidaire, tient à préciser rapidement avec une économie de mots :

-        « Certes la COPJ ne s’imposait pas. Je m’en expliquerai dans mes réquisitions. »

Perfide, et profitant de l'absence de public dans la salle hormis la présence du seul avocat de permanence, le président fait observer qu’on a quand même échapper au pire.

-        « Si cette affaire avait été médiatisée nous aurions eu droit il y a quelques mois à un projet de loi condamnant spécialement le vol de lilas par des enfants roms ! »

Il faut quand même examiner la personnalité des jeunes. Le président s’y attèle :

 -        « M.  est totalement inconnu des services de police.

« L. a déjà eu une condamnation à un mois de prison avec sursis voici quelques mois pour vol.

« Le parquet aurait pu saisir le Tribunal correctionnel pour mineurs en visant la récidive : plus de 16 ans, déjà condamné, une infraction punie d’au moins 3 ans, les conditions étaient réunies. »

 Le parquet sourit … lilas.

 Il y a pire.

-        "C., le troisième a deux mentions à son casier judicaire dont une peine d’un mois de prison avec sursis"

Le président pervers insiste forçant un peu le trait juridique :

-        « Pour celui-ci nous aurions pu avoir TCM et retrait automatique de l’excuse atténuante de responsabilité. 7 ans encourus et déjà un peine plancher de trois ans ! « 

Quoique décontracté le parquet enfonce sa tête dans ses épaules.

-        « Je vous donne la parole Monsieur le procureur en vous rappelant que la peine de mort a été abrogée. »

 Le parquet va faire court et clair.

-        « Monsieur le président, je n’insisterai pas sur ce raté. Je vous demande compte tenu des circonstances de l’affaire et des personnalités des jeunes de prononcer une dispense de peine. « 

Pour sa part l’avocat d’audience reste coi : il ne peut pas intervenir en l’absence des jeunes.

 Le président sans désemparer et sans se rendre dans la salle de délibéré consulte ses assesseurs avec lesquels il délivrait depuis le début de la matinée des mois et  des mois de prison. Le tribunal se ralliera une nouvelle fois au parquet.

 -        « Dispense de peine avec exécution immédiate ! »

 On a eu droit à une scorie du travail en temps réel où, au téléphone, sans voir les intéressés et en ne disposant que des informations fournies par les services d’enquête, le parquet doit décidé d’une orientation sous la pression policière. Il a fallu que la pression soit forte ce jour-là pour obérer toute capacité d’analyse critique du parquetier de permanence même si des instructions de fermeté ont aussi pu être données à l’égard de tous les jeunes roms roumains mis en cause sur des vols.

 Il faut penser à terminer l’audience. Le président reprend :

-        « Affaire 9 : C.  M.  Encore un cambriolage ; et toujours pas de client présent physiquement ! Madame la greffière, là il s’agit d’un défaut. Il pourra faire opposition. Je rappelle les charges de la prévention …. »


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