Le complotisme est une maladie incurable !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 18/04/2019
Depuis le désastre du 15 avril à Notre-Dame de Paris, une fois la sidération et l'émotion passées, une série de polémiques connexes ont surgi car il ne faut pas oublier que nous sommes en France.
Le doigt regarde la lune et les controverses s'attachent au doigt au lieu de contempler l'essentiel qui est la lune.
La pire se rapporte à ce qu'il est convenu d'appeler le complotisme et qui est pour moi une maladie incurable.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que je relève cette disposition à la fois personnelle et nationale, qui touche structurellement une minorité de citoyens. En matière judiciaire par exemple, combien de fois ai-je pu relever, certains médias étant complices, la propension à préférer une absurdité sulfureuse à une vérité banale, le fantasme d'une erreur judiciaire à l'évidence d'une culpabilité.
L'aptitude au doute est une qualité. Mais le doute comme finalité pour se plonger dans un questionnement sans fin, une faiblesse.
S'il fallait définir le complotisme, je le décrirais comme l'obsession, face au réel, avant le moindre commencement de preuve, à privilégier le soupçon, à récuser par principe l'information officielle et à mettre en cause ce qui crève les yeux et l'esprit. De condamner comme illégitime ce qui est partagé par beaucoup.
Pour Notre-Dame de Paris, depuis le 15 avril, alors que tant d'éléments, d'indices, de témoignages, de constatations et d'avis, d'absence de revendication, pour l'instant militent pour la cause accidentelle et que l'enquête menée par des spécialistes incontestés - je prends ce risque - va la démontrer, une frange s'acharne à répéter qu'on nous cache la vérité, qu'on nous manipule et que l'incendie résulte forcément d'un attentat islamiste. C'est une aberration contre laquelle le bon sens et la raison ne peuvent rien.
Les mêmes qui vous disent qu'il faut attendre les résultats des investigations techniques et judiciaires les préjugent et les considèrent comme acquis au soutien de la thèse terroriste.
Qu'on m'entende bien : le complotisme est radicalement à distinguer de l'intelligence qui se doit d'être libre et ouverte aux incertitudes historiques et politiques, à l'ambiguïté du réel, aux mille complexités de la nature et de la matérialité. On a non seulement le droit mais le devoir de s'interroger sur l'incertain mais sans pour autant frapper de suspicion tout ce qui offense ses croyances et ses réflexes.
Le complotisme, je le répète, est une maladie incurable mais la curiosité et la lucidité critique sont des richesses.
La majorité heureusement ne pourfend pas systématiquement les données plausibles. Tout craindre, tout soupçonner, tout dénoncer, ne rien entendre, ne rien accepter, inquiète sur la vision de la vie et de la société et sur les rapports qu'on entretient avec soi-même.
Il faut prendre garde à cette loi des séries qui incite à mettre sur le même pied l'accidentel et le malfaisant, qui est incapable, notamment, d'admettre que les profanations d'églises (dans l'état des investigations par exemple, Saint-Sulpice n'était pas un incendie islamiste mais un règlement de comptes entre SDF) n'induisent pas inéluctablement pour Notre-Dame de Paris une conclusion mécanique imprégnée de la même tonalité terroriste. Il faut savoir arrêter le gouvernement par la méfiance, l'incrédulité et cette forme d'arrogance qui vous pose comme supérieur à tout ce qui est communiqué. La parole officielle n'est pas méprisable en elle-même.
Pour justifier mon point de vue qui définit le complotisme telle une maladie et le libre examen comme une chance, je parie. Quand l'enquête aura conclu que l'incendie a été accidentel, il y aura toujours une frange qui n'y croira pas. Elle y verra un nouveau complot.
On donne scandaleusement des armes au terrorisme à force de le présumer derrière chaque catastrophe.
On peut être sûr que si le futur démontrait ma naïveté, je ferais amende honorable.