La question de la responsabilité des magistrats dans l'affaire des tweets aux Assises de Mont de Marsan.
michele.bauer (publications) - , 3/12/2012
J'ai publié un billet hier sur les tweets échangés lors d'une audience ou durant la suspension de l'audience entre un magistrat du siège et du Parquet ( ICI) Ces magistrats utilisaient des pseudonymes sur la tweetosphère et se sont échangés une centaine de tweets pendant un procès d'Assises commentant leurs actes ( 'ça y est, j'ai fait pleurer le témoin' pour Gascogne par exemple). Beaucoup de 'tweetos' (comprendre personnes qui tweetent) prétendent que les protagonistes ( en l'occurence Proc-Gascogne et Bip-Ed) ne seraient pas responsables car ils ont écrit ces tweets sous le couvert de l'anonymat et sans préciser leur nom, en bref en utlisant un pseudo. La question se pose alors de savoir si ce magistrat qui ne dit pas son nom est responsable ? (2) De même qu'il s'agit de déterminer quelle serait la faute ou quelles seraient les fautes commises par ces magistrats ? (1) 1- Sur les fautes qui pourraient être reprochés à ces magistrats. Je vous invite à parcourir un recueil publié en ligne par le Conseil National de la Magistrature: ICI , ce dernier rescense toutes les obligations déontologiques des magistrats qui n'en déplaisent à certains n'ont pas que des droits mais ont aussi des obligations. Aujourd'hui, ce n'est pas très populaire de parler de devoirs... mais je m'y risque quand même. Parmi ces obligations déontologiques, pour cette affaire, on peut citer: - l'indépendance - la dignité - le devoir de reserve * L'indépendance. Les magistrats doivent préserver leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif et législatif, en s'abstenant de toute relation inappropriée avec leurs représentants... Il doivent apparaître aux yeux des justiciables et du citoyen comme respectant ces principes. Il est précisé dans ce recueil en a 17: Malgré leur appartenance à un même corps et l'exercice de leurs fonction dans un même lieu, les magistrats du siège et du parquet conservent et marquent publiquement leur indépendance réciproque. Il est indéniable que dans cette affaire des tweets, Bip-Ed ne s'est pas montré publiquement indépendant de Proc-Gascogne. Une certaine connivence ou collusion ressort des échanges entre le siège et le Parquet. * l a dignité. Le magistrat doit s'abstenir d'utiliser dans ses écrits comme dans ses propos, des expressions ou commentaires déplacés, condescendants, vexatoires ou méprisants. Il doit se comporter en 'digne et loyal magistrat'. En l'espèce, est-ce se comporter dignement lorsque l'on se plaisante sur le fait d'avoir fait pleurer un témoin ou encore d'exprimer son agacement à l'égard de la Présidente en indiquant à mi-mot qu'on souhaite l'étrangler ? * le devoir de réserve. Le magistrat, membre de l'institution judiciaire,veille, par son comportement individuel à préserver l'image de la justice. Le magistrat respecte la confidentialité des débats judiciaires et des procédures invoquées devant lui, il ne divulgue pas les informations dont il a eu connaissance, même sous forme anonyme ou anecdotique . Dans cette affaire se pose cette question du devoir de réserve, certains diront et ont déjà dit que les deux magistrats n'ont pas manqué à leur obligation de réserve car ils n'auraient pas parlé de l'affaire mais simplement fait quelques commentaires qui auraient très bien pu s'appliquer à n'importe quelle affaire... les détails du procès n'ont jamais été évoqués. Cependant, ce qui laisse un peu perplexe c'est que ces faits ont été révélés par un journaliste présent au procès qui a pu s'apercevoir que l'avocat général et l'assesseur tweetaient... Toutefois, il est vrai que sur la violation de cette obligation de réserve, il y a débat, et ce n'est pas si simple. 2- Sur les pseudonymes et la prétendue absence de responsabilité des magistrats. Le Conseil Supérieur de la Magistrature a pu rendre une décision en 1966: Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège Date : 24/03/1966 Qualification(s) disciplinaire(s) : Manquement au devoir d'indépendance - Manquement au devoir de probité (devoir de réserve) Décision : Réprimande avec inscription au dossier Mots-clefs : Conseiller de cour d'appel - Critique - Garde des sceaux - Indépendance - Non-lieu - Presse - Probité - Réprimande avec inscription au dossier - Réserve Fonction : Conseiller de cour d'appel Résumé : Parution d'un article dans un grand quotidien, sous couvert d'un pseudonyme, envisageant l'intervention du garde des sceaux dans une décision de non-lieu rendue par un juge d'instruction Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, sous la présidence du premier président de 1a Cour de cassation, et statuant à huis clos ; Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le statut de la magistrature ; Vu les articles 13 et 14 de l'ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature ; Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 19 février 1959 relatif au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ; Vu la dépêche de M. le garde des sceaux en date du 9 février 1966 dénonçant au Conseil les faits motivant la poursuite disciplinaire ouverte contre M. X, conseiller à la cour d'appel de V ; Vu le mémoire complémentaire de M. le garde des sceaux en date du 18 février 1966 ; Vu les procès-verbaux, en date des 18, 23, 24 et 26 février 1966, de l'enquête diligentée par M. le conseiller Bodard, ensemble les pièces annexées ; Sur le rapport de M. le conseiller Bodard ; Ouï M. V en ses explications ainsi que Me Gamonet et M. le bâtonnier Bondoux, ses conseils ; Considérant que M. X a - sous le pseudonyme de Y - publié dans le journal Le Monde daté du 9 février 1966, un article dans lequel, à propos d'une ordonnance de non-lieu récemment intervenue, il a écrit : « Dans une affaire de ce calibre, le maître du non-lieu c'est le garde des sceaux » et ajouté que l'ordonnance précitée, qualifiée par lui d'« ensevelissement judiciaire » ayant suivi « la disparition d'un témoin gênant », avait été rendue avec une hâte inaccoutumée, peut-être en vue d'éviter un « déballage » dans une autre procédure pénale en cours ; Considérant que l'utilisation d'un pseudonyme pour la publication d'un écrit ne fait pas disparaître la responsabilité disciplinaire que le magistrat auteur de l'écrit peut encourir du fait de cette publication ; Considérant qu'en écrivant : « Dans une affaire de ce calibre, le maître du non-lieu c'est le garde des sceaux », M. X a manifesté une méconnaissance délibérée de l'indépendance des juges d'instruction ; que le devoir de ne méconnaître sous quelque forme que ce soit l'indépendance des magistrats du siège est pour tout magistrat un devoir de son état ; que M. X a omis d'observer ce devoir ; Considérant d'autre part qu'en ajoutant que l'ordonnance de non-lieu, dont suivant lui le garde des sceaux avait été le maître et qu'il qualifiait d'« ensevelissement judiciaire » ayant suivi « la disparition d'un témoin gênant », avait été rendue avec une hâte inaccoutumée, peut-être en vue d'éviter un « déballage » dans une autre procédure pénale en cours, M. X s'est départi de la réserve que lui imposent ses fonctions ; Considérant que les fautes disciplinaires ainsi commises par M. X doivent donner lieu à sanction ; Par ces motifs, Prononce contre M. X la sanction prévue par l'article 45, paragraphe 1, de l'ordonnance du 22 décembre 1958 (réprimande avec inscription au dossier). (décision publiée sur le site du CSM ICI) Que penser de cette décision et s'applique-t-elle en l'espèce ? Cette décision est ancienne, elle date du temps des journaux et de notre bon vieux papier, tweeter n'était pas né ! Elle n'est pas dénuée d'intérêt puisqu'elle précise clairement que le magistrat n'est pas dispensé de responsabilité car il a tenu des propos sous le couvert de l'anonymat et d'un pseudonyme. Bien entendu qu'elle pourrait s'appliquer en l'espèce. Les magistrats ne sont pas des citoyens comme les autres, ils ont prêté serment et représentent l'institution judiciaire, ils bénéficient d'une liberté d'expression qui est encadrée par leur statut. Ecrire ou publier sous un pseudonyme ne leur enlève pas leur statut de magistrat et leurs obligations à mon sens. Beaucoup de ceux qui liront ce billet, feront un amlagame certain et ne voudront pas débattre sur le vrai problème, je le sais... on me dira: ' et le journaliste alors, pourquoi avoir dévoilé cette affaire, il a dit qui étaient ces magistrats, il a commis une faute'. La question n'est pas de juger ce journaliste, il faut prendre un peu de hauteur et s'interroger sur un problème plus général celui de l'expression des professions judiciaires sur la toile et plus particulièrement sur les réseaux sociaux. A trop vouloir être célèbre, à trop vouloir avoir des milliers de followers (suiveurs) sur tweeter, j'ai l'impression que l'on en perd la tête ! Contact: cabinet@michelebaueravocate.com 33 Cours Pasteur- 33 000 BORDEAUX tél 05 47 74 51 50