Vers une réforme minimaliste de l’exception pédagogique dans la loi Peillon ?
:: S.I.Lex :: - calimaq, 13/12/2012
C’était aujourd’hui que Vincent Peillon et Fleur Pellerin présentaient à la presse le plan du gouvernement pour le numérique à l’école et le Ministre de l’Éducation nationale a évoqué ce matin sur France Inter sa stratégie globale sur la question.
Le Ministre a orienté son discours sur le développement des usages numériques à l’école, mais on peut s’étonner qu’il ne soit aucunement fait mention d’une révision de l’exception pédagogique et de recherche, alors même que l’on sait que des discussions sont en cours sur le sujet. Cela avait été confirmé notamment lors du Forum SGDL qui s’est tenu le 25 octobre dernier, au cours duquel Aurélie Filippetti avait indiqué que le Ministère de la Culture était lui aussi associé à ces réflexions.
On sait pourtant que l’exception pédagogique et de recherche soulève en France de nombreuses difficultés dans sa mise en oeuvre, qui font qu’il est extrêmement complexe pour des enseignants et des élèves d’utiliser des contenus protégés par le droit d’auteur en restant dans les limites de la légalité. Cette situation avait d’ailleurs été déplorée à deux reprises sous le précédent gouvernement, dans les rapports de la mission Fourgous remis au Ministère de l’Éducation, sans entraîner de réactions du pouvoir en place.
Or lorsque l’on va voir le projet de loi révélé par Le Monde la semaine dernière, on se rend compte qu’en effet, la section 3 portant sur « La formation à l’utilisation des outils et des ressources numériques » comporte bien un article 12 qui prévoit une réforme de l’exception pédagogique. L’article 122-5 du Code de Propriété Intellectuelle serait reformulé ainsi :
[Lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire] : La représentation ou la reproduction d’extraits d’oeuvres, sous réserve des oeuvres conçues à des fins pédagogiques et des partitions de musique, à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche, y compris pour l’élaboration et la diffusion de sujets d’examen ou de concours organisés dans la prolongation des enseignements, à l’exclusion de toute activité ludique ou récréative, dès lors que le public auquel cette représentation ou cette reproduction est destinée est composé majoritairement d’élèves, d’étudiants, d’enseignants ou de chercheurs directement concernés, que l’utilisation de cette représentation ou cette reproduction ne donne lieu à aucune exploitation commerciale et qu’elle est compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire sans préjudice de la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l’article L. 122-10.
Cette nouvelle formulation est très proche de la rédaction précédente de l’exception, mais elle en diffère en deux points :
1) La phrase excluait auparavant du champ de l’exception les « oeuvres réalisées pour une édition numérique de l’écrit », c’est-à-dire les livres numériques essentiellement, mais aussi peut-être les pages web tout simplement ;
2) Cette nouvelle exception ajoute une usage possible des oeuvres protégées : « y compris pour l’élaboration et la diffusion de sujets d’examen ou de concours organisés dans la prolongation des enseignements ». A vrai dire, cela n’apporterait pas grand chose, car cet usage avait déjà été inclus dans les accords sectoriels que les Ministères signent avec les titulaires de droits pour la mise en oeuvre de l’exception.
La nouveauté principale consiste donc à étendre le champ de l’exception pédagogique aux contenus de type livres numériques, alors qu’auparavant, il était seulement possible de numériser des oeuvres sur supports physiques afin d’en utiliser des extraits pour illustrer l’enseignement.
Ce n’est pas exactement rien, notamment lorsque l’on sait à quel point les éditeurs scolaires mènent un lobbying forcené afin que les livres numériques restent en dehors du périmètre de cette exception, persuadés qu’ils sont que leur inclusion conduirait au pillage des contenus et à l’effondrement de leur marché.
Néanmoins, si la réforme en reste là, l’exception pédagogique et de recherche ne serait retouchée que de manière minimaliste. Ce n’est pas seulement une question de périmètre de l’exception qui se pose, mais aussi un dramatique problème de mise en oeuvre, découlant de la complexité imposée par les fameux accords sectoriels que j’ai mentionné plus haut (voir cette présentation de Cédric Manara pour s’en convaincre).
Car les titulaires de droits ont obtenu que l’exception prévue par la loi ne puisse s’appliquer directement. Des accords sectoriels sont actuellement nécessaires pour délimiter exactement les usages autorisés pour chaque type de contenus et prévoir une rémunération versée de manière forfaitaire chaque année par les Ministères à des sociétés de gestion collective.
Or les commentateurs et les praticiens sont unanimes pour dire que ce système est quasiment inapplicable. Pour les livres, Michèle Battisti expliquait par exemple en avril dernier les règles ubuesques auxquelles étaient soumis les enseignants et les élèves :
Pas plus de 4 pages consécutives, pour une partition, 3 pages, pour un ouvrage de formation musicale, mais pour un livre, 5 pages qui, dans le nouvel accord peuvent ne plus être consécutives. En outre, l’extrait ne doit pas représentent plus de 20 % de la pagination totale pour un ouvrage, pas plus de 10 % pour un périodique, pas plus de 5% pour un OCFP etc. [cad un manuel]
Les précisions sur la notion d’extraits sont utiles pour donner un ordre de grandeur, mais difficiles à respecter de manière scrupuleuse : va-t-on calculer à chaque fois qu’on n’a pas dépassé les 20 % accordés ou le nombre de 20 photos par travail pédagogique ?
Pour les livres numériques, le problème restera exactement le même si on se contente seulement de les inclure dans le périmètre de l’exception. Les titulaires de droits s’arrangeront pour fixer les contraintes les plus tatillonnes possibles, afin de limiter les usages au maximum, et dans le même temps, ils demanderont une augmentation sans doute sensible de leur rémunération (déjà de l’ordre de 2 millions d’euros par an)…
Si l’on veut vraiment s’attaquer à la refonte de cette exception, il faut commencer par supprimer ces accords sectoriels, qui ne sont rien d’autres qu’un moyen pour les titulaires de contrôler l’exception à leur guise et de la vider de sa substance. Par ailleurs, il faut retravailler le texte pour le rendre applicables aux usages numériques, comme le Canada par exemple a su le faire en début d’année.
Telle qu’elle est formulée n’est par exemple pas adaptée pour l’enseignement à distance et au e-learning, alors même que Vincent Peillon a annoncé sa volonté de faire en sorte que l’enseignement obligatoire puisse se faire par Internet. Le développement spectaculaire des MOOC (Massive Open Online Courses) annonce aussi un basculement rapide des pratiques éducatives qui nécessiterait de revoir en profondeur les limites de l’exception.
Comme le note PCInpact, le projet est également pour l’instant muet en ce qui concerne l’usage des logiciels libres à l’école. D’après ce que nous dit Numerama, il semblerait néanmoins qu’il y ait des éléments à propos des ressources éducatives ouvertes :
[...] l’éducation nationale va mettre en ligne des ressources numériques pédagogiques « prioritairement libres« , accessibles à tous. D’ici septembre prochain, des »films audiovisuels accessibles en ligne gratuitement et libres de droit« , seront ainsi proposés « sur des points clés des enseignements fondamentaux« , ainsi que sur des « enseignements d’ouverture » comme l’éducation civique (valeurs républicaines, égalité femmes/hommes, respect entre les générations, entraide et coopération, vivre ensemble), la connaissance du monde et l’éducation artistique et culturelle.
C’est assurément un point intéressant (bien que l’expression « libre de droits« , juridiquement fautive fasse un peu grincer des dents…). Mais cela reste sans doute encore en retrait par rapport aux orientations très volontaires récemment prises par d’autres pays. L’Etat de Californie aux Etats-Unis et celui de la Colombie britannique au Canada ont ainsi voté des lois très ambitieuses en ce qui concerne le développement des manuels pédagogiques sous licence Creative Commons (Open Textbooks). Rien de tel côté français et on peut être certain ici aussi que le lobbying des éditeurs y est pour quelque chose, alors que des expériences convaincantes existent dans l’hexagone, comme Sésamath.
Plus largement, c’est l’opacité des discussions autour de cette refonte de l’exception pédagogique qui dérange. D’après les informations qui filtrent ici ou là, il y a bien des négociations en cours entre le Ministère de l’Éducation nationale, celui de la Culture et les titulaires de droits. Mais nous n’en savons rien et il n’est pas normal qu’un sujet aussi important soit débattu dans l’ombre.
Sans compter que cette exception ne concerne pas uniquement les usages à l’école, mais aussi le secteur de la recherche, qui est lui aussi entravé par les restrictions imposées dans l’usage des contenus protégés.
Alors même que ce projet de loi Peillon avance, la Mission Lescure, dans le point d’étape qu’elle a fait la semaine dernière, semble elle-aussi vouloir se saisir de ce sujet de l’exception pédagogique. Lors de son audition, Creative Commons France a plaidé pour le développement du recours aux licences libres dans ce secteur, en apportant de nombreuses propositions.
En l’état actuel des choses, si l’on veut vraiment faire évoluer la situation, c’est ailleurs qu’il faudrait que la question soit traitée, au niveau par exemple des commissions des affaires culturelles de l’Assemblée et du Sénat, afin de garantir un minimum de transparence de la discussion et la prise en compte d’une pluralité de points de vue.
Assez de ces projets discutés dans l’ombre, directement entre les ministères et les titulaires de droits ! Qu’un vrai débat public puisse avoir lieu ! Les usages pédagogiques valent bien cela !
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