Nicolas Sarkozy entre oubli et projections...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 5/11/2015
Nicolas Sarkozy est reparti sur le sentier de sa guerre préférée : l'insécurité et le laxisme judiciaire. Malheureusement, elle est plus que jamais d'actualité (Le Figaro).
Dans la double page que Le Parisien a consacrée principalement, le 3 novembre, à ce thème dominant, l'ex-président a répondu aux interrogations sur un mode qui révélait d'abord de sa part une exceptionnelle capacité d'oubli.
Probablement doit-on convenir que si un homme politique, de surcroît parvenu au plus haut de la démocratie, avait de la mémoire, il ne pourrait plus poursuivre son chemin public et serait contraint de jeter l'éponge ?
Car, pour Nicolas Sarkozy, tout de même, quel quinquennat sur ce registre !
Une République ne se rappelant plus qu'elle avait été promise irréprochable. Un dévoiement de l'état de droit ostensible, assumé. Un mépris des magistrats, tristement accepté. Une autorité de l'Etat parfois battue en brèche. Une exécution des peines laissée en friche et même, avec la loi Dati de 2007, ayant perdu toute cohérence. Une domestication partisane des affaires dites sensibles grâce à l'obséquiosité ambitieuse de certains magistrats choisis sur le volet.
A l'évidence, pas de quoi pavoiser ! Un tableau qu'il était nécessaire d'abandonner dans les oubliettes de la mémoire pour oser, à nouveau, avec volontarisme et vigueur, se relancer dans une entreprise à la fois de démolition et de projections.
Celle-ci a été menée non seulement dans ce quotidien mais surtout lors de la convention que LR a tenue le même jour sur la sécurité.
Quelques certitudes.
Il est vrai que, depuis l'élection de François Hollande, l'autorité de l'Etat est impuissante ou sélective. Une multitude de crises et d'événements en témoigne. L'état de l'autorité publique, sous ce socialisme, est au plus bas.
Il est vrai que nous avons à subir une garde des Sceaux à la politique pénale calamiteuse et dont je continue à penser que le maintien est une honte politique - pour faire monter encore davantage le Front national - et un scandale républicain : il faudrait bien voir que le peuple s'occupe de ce qui le regarde !
Il n'est pas vrai que le ministre de l'Intérieur ne soit pas à la hauteur de sa difficile mission. Il vaut largement le meilleur Sarkozy à ce poste - dont l'art était plus, et avec habileté, dans les coups de menton verbaux que dans l'efficacité au quotidien - et Manuel Valls.
Il n'est pas possible, pour notre pays déchiré entre une mansuétude doctrinaire d'un côté et un pragmatisme ferme de l'autre, de s'y retrouver et donc même de pouvoir être conduit sur une voie cohérente.
Il est vrai que prétendre obsessionnellement diminuer le nombre de détenus, au lieu de construire rapidement de nouvelles places de prison, au moment où crimes et délits accroissent leur nombre, est une aberration.
Il est vrai qu'une justice pénale, avec une exécution des peines aussi défaillante et, en certaines circonstances dramatiques, aussi irresponsable (le maintien d'un juge de l'application des peines sera à discuter : même avec une commission, n'est-il pas plutôt un magistrat facilitant, validant ou tolérant l'inexécution des sanctions ?) est sombrement obérée dans sa légitimité et ne suscite pas l'adhésion citoyenne. Les semi libres ont bien raison de se comporter trop souvent comme s'ils l'étaient totalement !
Il est vrai que permettre au juge des enfants de ne plus se perdre lui-même, égaré entre l'éducatif et le répressif, serait une excellente initiative. Le premier terme de l'alternative lui demeurerait et le second serait dévolu à un tribunal correctionnel pour mineurs. On s'est beaucoup ému de la position du juge d'instruction contraint de balancer entre charge et décharge, entre le roi Salomon et Maigret, mais on a toujours refusé, par une pudeur humaniste absurde, de se pencher sur le statut de juge des enfants divisé à l'intérieur de lui-même et choisissant, avec un grand bonheur éducatif, d'être hémiplégique.
Il est vrai qu'une présomption de légitime défense au bénéfice de la police représenterait une formidable avancée. A condition qu'un contrôle professionnel et disciplinaire strict soit exercé sur les activités au quotidien de celle-ci et que les auteurs rares de crimes ou de délits soient impitoyablement expulsés de ce corps qui est profondément "notre gardien de la paix". On ne peut plus tolérer, sur les plans politique et médiatique, qu'à tout coup, dans l'effervescence et la violence de missions difficiles, la police soit en permanence présumée coupable et qu'elle perde un temps précieux à justifier ce que le service lui imposait. Le rapport de force entre les transgresseurs et la police doit favoriser celle-ci et nuire à ceux-là.
Pourquoi pas, en effet, "un super ministère de l'Intérieur" même si l'aspect supérieur devrait moins tenir à la structure qu'à la performance ? L'idée de lui rattacher l'administration pénitentiaire est pertinente et cette dernière y serait plus à sa place que dans le ministère émollient qui l'abrite.
Pour ma part j'aurais préféré, et Xavier Bertrand est sur cette ligne, un grand ministère de la Justice avec deux départements "Justice" et "Sécurité". Cette nouveauté réglerait le problème crucial de ces procédures initiées remarquablement par la police et détruites par des magistrats heureux de manifester une autorité et une condescendance inutiles. Mais, s'il y avait compétition à l'avenir entre la Place Beauvau et la Place Vendôme pour un pouvoir élargi, la première l'emporterait aisément!
Nicolas Sarkozy n'a pas changé pour le meilleur comme pour le pire. Par exemple, il pousse trop loin des dénonciations légitimes sur les jeunes gens partis au djihad et qu'il souhaiterait voir incarcérés automatiquement à leur retour. C'est une absurdité.
Cependant, beaucoup plus de bon grain que d'ivraie.
Il paraît que "Sarkozy exaspère le monde judiciaire", en tout cas ses syndicats (Le Monde). Cette irritation devient banale et n'est pas de nature à démontrer que les propositions de l'ex-président sont mauvaises mais seulement peut-être que les magistrats continuent à être rétifs à des changements pourtant nécessaires à cause d'un corporatisme plus attaché à leur statut qu'à l'efficacité du service public et à la confiance des citoyens.
Mais la seule question qui vaille d'être posée, en notre for intérieur et à la communauté nationale, entre oubli et projections, est celle-ci : Nicolas Sarkozy, qui tend à faire des espérances de 2007 les redites de 2015, après les avoir déjà proférées en 2012, est-il vraiment le mieux placé pour redevenir le champion d'une droite honorable qu'il avait pourtant largement dégradée ?
S'il était le vainqueur de la primaire, saurait-il réformer sans mépriser, les institutions et les corps intermédiaires ne seraient-ils pas à nouveau discrédités par celui qui devrait plus que tout autre les respecter ? Sur ce point, mon parti est pris et on ne m'y reprendra plus.
Mais pourquoi ne pas garder l'essentiel du projet, qui est valable, en faisant tout pour qu'il soit endossé, assumé par un autre ?