Le système politique français : à bout de souffle ou à court d'inspiration ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 13/10/2014
Rêvassant à un sujet possible, je songeais à DSK réintroduit dans le cercle socialiste officiel - Premier ministre compris - à l'occasion de la fête d'anniversaire d'Anne Hommel qui avait été son attachée de presse.
Je n'écartais pas non plus l'absurde accusation, contre les journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme, d'avoir révélé à Nicolas Sarkozy qu'il était sur écoutes. On voit bien l'intérêt de ce mensonge pour l'ancien président de la République mais la ficelle est trop grosse !
Heureusement, ayant acheté Le Monde - ce quotidien à la fois irremplaçable et, pour certaines de ses pages et rubriques, énervant - j'ai pu lire qu'il allait être publiée une enquête en six volets sur cette interrogation : "Pourquoi le système politique français est à bout de souffle".
Je ne suis pas sûr que cette "défiance entre les Français et les élites" soit si "inédite" que cela, même si probablement elle s'est aggravée depuis 2007, sans avoir été apaisée, bien au contraire, par 2012 et ses suites.
Il me semble évident qu'il y a toujours eu ce hiatus, ce sentiment d'étrangeté entre le peuple et ses représentants. Les moments où la démocratie n'a pas été écartelée ont été infiniment rares. Cette distance préoccupante est devenue un gouffre, la droite et la gauche paraissent toutes deux victimes de cette morosité républicaine qui dépasse le champ politique pour toucher aux racines même du lien collectif et du vivre ensemble.
C'est l'espérance et la confiance en demain qui battent de l'aile. Et l'humanité qui attend un sens pour son existence. Les programmes, devant un tel délitement, ne constituent plus un remède suffisant. On les sait provisoires et voués à être, dans le meilleur des cas, trahis par le réel, dans le pire, des illusions de campagne.
D'abord, le regard que chacun d'entre nous pose sur les gouvernants, sur le président de la République. Une fois évacué le poncif sur "le président de tous les Français", il est manifeste que, sans tomber dans un déclinisme que la sénilité cultive, nous sommes confrontés à des personnalités qui ne font plus l'affaire. Plus exactement, elles ne sont plus profondément à la hauteur de ce que l'immense mission de la direction et de l'animation d'un pays impose comme vertus et talents.
Certes il est possible de trouver de l'empathie, de la chaleur humaine, de la proximité mais il y a quelque chose de fondamental qui manque depuis longtemps et qui constitue, au sein de la fraternité démocratique, une irréductible singularité. Celle d'un chef d'Etat que l'élection a consacré parce qu'il portait en lui cette intuition supérieure, cette lucidité du long terme, ce courage et cette capacité d'entreprendre non pas malgré les obstacles mais à cause d'eux. Nos dirigeants, qu'on les apprécie ou non, sont privés de cette fulgurance unique qui seule justifierait leur rôle au service de tous.
Sur un plan politique, le système français n'est sans doute pas à bout de souffle mais surtout à court d'inspiration. Alors que la demande citoyenne devient imprévisible, plurielle, contrastée, paradoxale souvent avec l'alliance de désirs et d'appétences mêlant l'ordre et le désordre, l'égalité et la liberté, la solidarité et l'épanouissement personnel, la générosité et la peur, l'offre politique s'est réduite, elle, considérablement, au point qu'on a parfois l'impression qu'un seul chemin est possible et opératoire, celui qui nous entraîne on ne sait où, et que les autres suggérés seraient forcément illégitimes, donc à exclure de l'histoire de France.
Les intellectuels, même ceux qui ont travaillé aux côtés du pouvoir ou qui l'ont influencé, ne sont d'aucune aide dans ces domaines. Le volontarisme somptuaire d'un Jacques Attali qui prévoit, annonce et sermonne sans cesse n'est pas de nature à réchauffer un pays qui est au contraire envahi par la froideur de la solitude et, pour une part de plus en plus nombreuse, de la pauvreté. Leur dire de créer une entreprise, une provocation de riche !
Ce rétrécissement dévastateur des propositions politiques, des visions de politique étrangère et, plus globalement, des conceptions d'implication de la France en Europe et dans le monde aboutit à ce que le consommateur citoyen ayant toujours le même plat au menu républicain s'en désintéresse, lassé, dégoûté.
Ou bien accepte de tenter le tout pour le tout. Et c'est l'explication de la montée du FN, dont il est défaitiste et paresseux de soutenir qu'elle est irrésistible. Dès lors que ce parti, sous l'influence de Marine Le Pen dont Jean Daniel il y a quelques semaines a souligné le génie tactique, s'est substantiellement modifié et qu'il est inscrit dans l'espace républicain, il apparaît aujourd'hui sous un jour en même temps classique et fascinant, comme une solution à la fois démocratiquement acceptable mais de dernière chance.
Ils ont tout essayé, dans l'arsenal traditionnel, dans le vivier partisan, sauf ce Front national qui dans sa globalité, avant que le détail des actions municipales altère cette image, présente une façade de moralité, de syncrétisme et de pragmatisme sommaire qui convainc tous ceux que les autres partis ont égarés ou déçus. Il est moins dangereux par ce qu'il projette, qui est tout au plus inconcevable sur certains points, que parce qu'on l'a constitué aujourd'hui comme un recours quasi naturel, obligatoire.
Le FN est ce qui reste d'une démocratie quand elle a échoué sur le plan économique, social, judiciaire et failli pour le beau rêve de 2012, si vite déserté, d'unité nationale.
Faut-il six volets pour répondre à la question que Le Monde se pose et nous pose ? Il serait navrant que l'ampleur programmée de l'analyse donne paradoxalement à ce système à court d'inspiration le caractère d'une énigme, d'un Himalaya et d'une sombre fatalité.
Alors que tout est encore possible, même le meilleur.