Une nouvelle affaire des fuites.
Justice au Singulier - philippe.bilger, 20/06/2015
Il y a eu celle ancienne montée contre François Mitterrand et qui a failli mettre fin à ses ambitions politiques.
Maintenant, il y a celle que Nicolas Sarkozy a suscitée en comparant l'afflux des immigrants en Europe à une fuite d'eau dans un appartement pour pourfendre la proposition contestable et rejetée de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, de répartir l'immigration légale dans différents pays de l'UE.
La gauche s'est immédiatement embrasée en accablant moins les propos de Nicolas Sarkozy que ce dernier et une partie de la droite s'est émue. Le président de la République s'est plu à nouveau à jouer au maître d'école républicain en appelant à la dignité (Le Monde).
On ne peut guère me suspecter de bienveillance à l'égard de l'ancien président de la République mais il a assez à supporter une vulgarité trop souvent naturelle, dans l'expression même de ce qu'il est et du rapport qu'il entretient avec ses rivaux au sein de LR et avec ses adversaires de l'autre bord.
Sans qu'il soit nécessaire, quand il traite à sa manière des problèmes graves, de pousser des hauts cris parce qu'il use d'une comparaison certes encore vulgaire, sans doute indélicate, mais efficace pour faire comprendre exactement le fond de sa pensée.
On n'a jamais pu prendre Nicolas Sarkozy pour un parangon de l'urbanité politique, pour la substance comme pour la forme. Mais il a tout de même le droit, entre l'indécence et la sophistication, de choisir le milieu qui lui convient dans le registre à la fois polémique et pédagogique.
Est-on dans un monde de bisounours pour considérer que ce qu'il a dit devant des militants est odieux et dépasse les bornes ?
S'il y a "une décomposition de la parole politique" (Le Figaro Vox), elle ne date pas d'aujourd'hui et cette dernière est davantage corrompue par les promesses qu'on ne tiendra pas et par le mensonge que par le vernis du langage qui n'est pas forcément grossier quand il s'appuie sur la matérialité pour mieux faire mesurer les tragédies de l'immigration et les impasses d'une politique.
Ce n'est évidemment pas que Nicolas Sarkozy prenne les personnes pour des choses et, si sa métaphore est forte et, pour certains, trop rude, sa vocation, dans sa vulgarité même, atteint son but : prendre la quotidienneté dans sa familiarité pour éclairer le malheur insoluble d'un drame collectif mondial. Sans en altérer l'amplitude ni en effacer la détresse.
La délicatesse du style qui est réclamée, l'esthétique du propos qui aurait dû être sauvegardée doivent-elles avoir pour seule finalité d'occulter, de faire oublier la cruauté du réel ? Ce qui est reproché à Nicolas Sarkozy est d'avoir mis en évidence, avec crudité, une horreur et l'impuissance en face d'elle.
Pour une fois, les mots n'ont pas servi à dissimuler la terrifiante vérité mais à l'exhiber. Impossible de s'en détourner : l'image est trop légitimement violente et prosaïque pour qu'on néglige ce qu'ostensiblement elle représente.
A partir du moment où Nicolas Sarkozy est demeuré, qu'on l'apprécie ou non, dans un comportement de président de parti et que son langage n'a pas laissé suggérer, par des mots indignes, une humanité indigne mais, par une comparaison sans fard, une immigration malheureuse, je ne vois pas en quoi cette nouvelle affaire des fuites serait légitime.
Il n'est pas nécessaire d'alourdir, par un faux procès, le passif déjà chargé du président de LR. Sans qu'en l'espèce il soit coupable de quoi que ce soit.
Il y a trop de pudibonds systématiques à gauche dont le seul souci est de dénoncer la forme parce que le fond les dépasse. Dépassée par le problème, elle le rêve en bon français.
Mon indulgence n'est absolument pas contradictoire avec ma dénonciation du délitement de la langue française. A force de confondre qualité du style et modération de la pensée, on va anesthésier celle-ci.
La liberté d'expression, c'est aussi le droit de faire, en politique, les comparaisons qu'on souhaite dès lors que leur vigueur ne porte atteinte qu'à l'absurdité d'une politique.
Le président de la République devrait plus s'occuper du contenu que du contenant, moins s'occuper du vernis et plus de l'action.