Semences d’OGM : Please, prouvez le risque !
Actualités du droit - Gilles Devers, 1/08/2013
Si je découvre la présence d’OGM dans un aliment, je n’achète pas. Pourquoi ? Parce que ça ne me plait pas ce truc, c’est comme ça. Mais pour que le gouvernement interdise ces semences en France, il faut qu’il prouve scientifiquement le péril. Je croyais le débat plus avancé, mais l’arrêt rendu ce 1° août par le Conseil d’Etat (n° 358103, 358615 et 359078) laisse une grosse impression de malaise, avec un grand vide entre le discours et les preuves.
Il était une fois une semence de maïs génétiquement modifié
Est en cause le maïs MON 810, une variété de maïs génétiquement modifiée en vue de lui donner une plus grande résistance aux insectes ravageurs de cette plante.
Pour accéder au marché européen, il faut un feu vert de la Commission européenne, donné pour ce maïs le 22 avril 1998 par la Commission européenne… Ah la vilaine Commission, la source de tous nos maux… Pas du tout : la Commission applique une décision de l’organe politique, la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, complétée par le règlement (CE) n° 1829/2003. Depuis, a été adoptée la directive 2001/18/CE, un peu plus sévère, mais qui n’a pas remis en cause les autorisations obtenues.
Ces règles ont déjà été appliquées. Le feuilleton a commencé avec deux arrêtés du ministre de l’agriculture des 5 décembre 2007 et 13 février 2008, suspendant puis interdisant la mise en culture de ce maïs. Le Conseil d’Etat a été saisi, et devant cette affaire très européenne, il a interrogé la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) par une question préjudicielle. La Cour avait donné les règles d’interprétation par un arrêt du 8 septembre 2011 (Monsanto SAS et autres, aff. C-58/10 à C-68/10), et le Conseil d’État en avait tiré les conséquences en annulant les arrêtés de 2007 et 2008 par un arrêt du 28 novembre 2011 (n° 313605 et 312921).
Réplique du ministère de l’agriculture pendant la campagne des présidentielles : un nouvel arrêté, du 16 mars 2012, reprenant l’essentiel de ceux qui venaient d’être annulés. Hier, le Conseil d’Etat a annulé cet arrêté, ce qui était tout de même assez attendu...
I – Premier volet : l’article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003
L'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 permet de prendre des mesures de sauvegarde dans deux cas : un avis critique de l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA), ou les preuves scientifiques d’un péril manifeste.
1/ L’avis de l’ASEA
L’AESA s’est prononcée le 8 décembre 2001. Que dit-elle ?
Elle reconnait deux risques, mais dit qu’ils sont maitrisables.
D’abord, une pratique suffisamment intensive de la culture de maïs génétiquement modifié est susceptible de donner lieu au développement d’une résistance chez les insectes cibles. Mais l’utilisation de zones-refuges de maïs non génétiquement modifié permet de retarder ce risque.
Ensuite, l’exposition, pendant plusieurs années consécutives, d’hypothétiques espèces de lépidoptères extrêmement sensibles à des niveaux élevés de pollen de maïs génétiquement modifié est susceptible de réduire les populations de ces espèces dans les régions où la culture de ce maïs est pratiquée de façon suffisamment intense. Mais un tel risque peut être réduit à un niveau d’absence de préoccupation par l’adoption de mesures de gestion dans les régions où les populations de lépidoptères concernées pourraient être présentes et sujettes à une exposition suffisante.
Conclusion de l’AESA : « Lorsque des mesures de gestion du risque appropriées sont mises en place, le maïs génétiquement modifié MON 810 n’est pas susceptible de soulever davantage de préoccupations pour l’environnement que le maïs conventionnel ».
Donc, c’est circulez, il n’y a rien à voir.
Le ministre a commis « une erreur manifeste d’appréciation ».
2/ Les autres sources scientifiques
Dans son arrêt du 8 septembre 2011, la CJUE a retenu que, si l’ASEA s’est laissée endormir, les autorités publiques peuvent agir si elles prouvent un péril manifeste pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement, sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables.
Or, la pêche est maigre. Les plaideurs ont remis au Conseil d’Etat un avis de décembre 2009 du comité scientifique du Haut conseil des biotechnologies, qui ne conteste pas vraiment les conclusions de l’ASEA et une étude publiée le 15 février 2012 par des chercheurs de l’institut fédéral suisse de technologie de Zurich qui ne conclut pas à l’existence d’un risque mais uniquement à la nécessité de mener des études complémentaires…
Donc, circulez, il n’y a rien à voir.
C’est la deuxième « erreur manifeste d’appréciation ».
II – Deuxième volet : le principe de précaution
On commence par une question de droit intéressante. Il s’agit de savoir si les textes instituant en droit européen le principe de précaution (article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et article 5 de la Charte de l’environnement) qui sont survenus après le règlement (CE) n°1829/2003 conduisent à remettre en cause l’article 34.
1/ Alors, ce principe de précaution ?
Le principe est ainsi défini par le 2 de l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :
« La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur.
« Dans ce contexte, les mesures d’harmonisation répondant aux exigences en matière de protection de l’environnement comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour des motifs environnementaux non économiques, des mesures provisoires soumises à une procédure de contrôle de l’Union. »
Vous lisez comme moi : il y a l’expression « principe de précaution », mais pour savoir ce qu’est ce principe, c’est ballepeau. Et quand le texte ne dit, qui fait le job ? La jurisprudence.
On retrouve donc notre amie la Cour de Justice de l’Union européenne, notamment ses arrêts National Farmers’ Union du 5 mai 1998 (C-157/96), Royaume-Uni c. Commission du 5 mai 1998 (C-180/96) et Commission c. France du 28 janvier 2010 (C-333/08).
Alors, que dit cette belle jurisprudence ?
« Lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées.
« Une application correcte de ce principe présuppose l’identification des conséquences potentiellement négatives d’un produit et une évaluation complète du risque fondée sur les données scientifiques les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale.
« Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives ».
Eh ben ma tante, voilà du joli droit prétorien… Le texte ne dit rien, et la jurisprudence dit tout.
2/ L’article 34 respecte-t-il le principe de précaution ?
Pour le Conseil d’Etat, l’article 34, tel qu’interprété par la CJUE, n’impose pas aux autorités compétentes d’apporter la preuve scientifique de la certitude du risque, mais de se fonder sur une évaluation des risques aussi complète que possible compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce. Démarche de gestion du risque qui n’a rien à voir, ajoute le Conseil d’Etat, avec une « approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées ».
Aussi, l’article 34 n’est pas contraire au principe de précaution.
Alors, circulez, il n’y a rien à voir.
III – Alors, chef, on fait comment ?
Hier soir, c’était le concours national de l’indignation, et je dois dire que l’actrice Corinne Lepage, avec une très belle émotion dans la voix, une peu blessée, un peu gaillarde, était très bien. Aussi, le jury du blog lui donne la médaille en or du foutage de gueule.
Avant de chercher des solutions, il faut prendre le temps de lire l’arrêt du Conseil d’Etat, qui est un KO technique, et fait suite aux arrêts de la CJUE du 8 septembre 2011 et du Conseil d’Etat du 28 novembre 2011. Autant dire que c’est blindé.
Première solution. Est publiée une étude internationale incontestable sur les périls. Ca regèlerait tout, mais j’observe que toutes les associations qui participaient au procès n’ont rien produit de tel, l’élément le plus citrique étant l’étude Zurich de 2012 qui recommandait de poursuivre les études avant de se prononcer... Gros gros gros malaise…
Deuxième solution. Le gouvernement attend la période des semailles, et pond un nouvel arrêté redisant la même chose, maquillé avec un petit zeste de nouveauté. L’arrêté sera nul, mais le temps qu’il soit annulé, on aura gagné un an. Sauf que le droit est désormais très clair, et que les industriels pourraient tenter un référé aux fins de suspension. Pas fameux,… mais ce sera sans doute la solution retenue.
Troisième solution. On engueule la Commission de Bruxelles, les gros méchants technocrates… Sauf que ce serait totalement à côté de la plaque. Est en cause l’application de textes, une directive et d’un règlement, et pour vraiment changer les choses, il faudrait une décision politique, donc du Conseil européen. Ne pas confondre.
Quatrième solution. On change les textes européens… Mais ce serait un coup d’épée dans l’eau, car l’article 34 du règlement respecte le principe de précaution. Alors, il dirait quoi de plus le nouveau texte ?
Cinquième solution. Les organes politiques européens décident une interdiction de principe, sans preuve scientifique du péril, au motif que l’opinion publique ne veut pas des OGM. Les sociétés concernées formeraient des recours et gagneraient… car une décision limitant une activité économique doit reposer sur des données factuelles objectives.
En fait, tout se joue sur la première question : apporter les preuves scientifiques du risque. Le Conseil d’Etat, comme la CJUE, se feraient un plaisir (juridique) de confirmer la validité d’arrêtés d’interdiction.