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Le Conseil d'Etat clôt le contentieux ouvert contre la délimitation de l'aire géographique de l'AOC Saint-Julien

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Gratiane Kressmann, Benjamin Touzanne, 14/05/2014

Les initiés qualifient de « riche » un vin qui, tout à la fois, est coloré, généreux, puissant et équilibré. Sans doute le même qualificatif pourrait servir à présenter l’arrêt du 10 février 2014 par lequel le Conseil d’Etat a apprécié la régularité du décret n° 2011-1624 du 23 novembre 2011 relatif à l’appellation d’origine contrôlée Saint-Julien (CE, Syndicat viticole de Cussac-Fort-Médoc, req. n° 356113, Publié au recueil Lebon).
L'appellation d'origine contrôlée (« AOC ») est un signe d'identification de la qualité et de l'origine d'un produit. Pour s’en prévaloir, les producteurs doivent se conformer aux exigences fixées par un cahier des charges propre à chaque appellation, établis par l'Institut national de l'origine et de la qualité (« INAO »).

Mais le préalable nécessaire à l'indication du nom d’une AOC sur l'étiquetage des produits reste la présence de l'exploitation dans l'aire géographique de cette dernière.

En France, l'INAO dispose du monopole de proposition de création et de délimitation des aires géographiques des AOC. Il est donc à l’origine des différentes AOC présentes sur le vignoble bordelais, qu’elles soient régionales (Haut-Médoc, Médoc) ou communale, comme l'appellation Saint-Julien, objet du recours introduit par le Syndicat viticole de Cussac-Fort-Médoc.

En janvier 2012, le syndicat requérant a introduit une requête en annulation du décret n° 2011–1624 délimitant, sur proposition de l'INAO, l'aire géographique de l'AOC Saint-Julien. L’objet principal de l’action du syndicat était, selon toute vraisemblance, d’obtenir que toutes les parcelles de la commune de Cussac-Fort-Médoc entrent dans le périmètre de cette AOC alors que seule une partie du territoire de cette commune entrait dans le périmètre défini par le décret litigieux.

La richesse juridique de l’arrêt s’exprime à trois égards : le Conseil d’Etat fixe une règle de fond applicable à la définition du territoire d’une AOC et fait bouger quelque peu les lignes de sa jurisprudence sur une question de procédure administrative et sur une question de procédure administrative contentieuse.

En premier lieu, le conseil d'État juge, en réponse à la critique de fond formulée par le syndicat requérant, que le territoire défini d’une appellation peut ne pas épouser les limites géographiques d’une commune et ne se limiter qu’à certaines parcelles de cette dernière (« le législateur a autorisé des délimitations d’appellation ne comprenant, sur le territoire d’une commune donnée, que certaines parcelles formant une partie de ce territoire ; »).

L’on voit mal comment le Conseil d’Etat aurait pu juger autrement alors que la disposition législative du code rural, l’article L. 641-6, précise que la délimitation de l'aire géographique de production est « définie comme la surface comprenant les communes ou parties de communes propres à produire l'appellation d'origine ».

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat procède à un dernier revirement puisqu’il renforce l’intensité du contrôle qu’il opère sur les décisions réglementaires prises pour délimiter l’aire géographique des AOC passant d’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation à un contrôle normal.

En troisième et dernier lieu, le Conseil d'État a profité de l'arrêt commenté pour étendre aux organismes chargés de faire des propositions, une jurisprudence applicable, jusqu’alors, aux organismes consultatifs.

Selon la jurisprudence, pour les organismes consultatifs intervenant dans le cadre d'une procédure administrative préalable à la prise d'une décision, les règles de procédure interne de consultation de ces organismes ne sont pas opposables devant le juge de l'excès de pouvoir pour tirer de leur méconnaissance l’irrégularité pour vice de procédure de la décision administrative prise sur le fondement de cet avis, lorsque ces règles de procédure n'ont pas été définies par des dispositions législatives ou réglementaires ou qu’il n’a pas été expressément renvoyé, par de telles dispositions, au règlement intérieur de ces organismes pour les établir (CE, 25 janvier 2012, Association nationale des psychologues de la petite enfance, req. n° 342210, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Par l'arrêt commenté, le conseil d'État a étendu cette jurisprudence aux organismes considérés comme coauteur d'une décision administrative. Tel est le cas de l'INAO pour la création ou la modification d’une AOC dès lors que seul celui-ci dispose du pouvoir d’initiative pour créer ou modifier une AOC.

Il est ainsi jugé que « lorsque les règles de procédure que doit suivre un organisme chargé de faire des propositions au Gouvernement n'ont pas été définies par des dispositions législatives ou réglementaires ou que leur édiction n'a pas été expressément renvoyée, par de telles dispositions, à une décision de cet organisme, le moyen tiré de la violation des prescriptions que ce dernier a édictées pour leur élaboration ne peut être utilement invoqué devant le juge de l'excès de pouvoir à l'appui d'une demande d'annulation de l'acte pris sur cette proposition ».

La délimitation de l'aire géographique des AOC n'est pas le seul thème susceptible d’être porté devant les juridictions administratives. Dans un processus situé en aval de la délimitation d’une AOC et de la définition des règles qui s’appliquent à elle, le juge est régulièrement saisi des conditions d’établissement des diverses classifications de vins, au sein de ces AOC, pour lesquelles l’INAO joue également un rôle central (à ce sujet, voir nos articles sur le classement du vin de Saint-Emilion :
Imbroglio contentieux autour du dernier classement des vins de Saint-Emilion grand cru et Comment le classement de l’appellation Saint-Emilion grand cru est-il élaboré ? )


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