Actions sur le document

Portrait de groupe avec candidat

Justice au singulier - philippe.bilger, 27/08/2012

Mais, s'il y a le monde de François Hollande, celui-ci, énigme en son coeur, ne voit pas son secret levé par Laurent Binet.

Lire l'article...

"Rien ne se passe comme prévu" est le titre du livre de Laurent Binet (LB) sur la campagne présidentielle de François Hollande du mois de juin 2011 au mois de mai 2012.
"Des SS au PS" aurait pu être un autre excellent titre, mais son éditeur l'a refusé.
Depuis sa parution, on ne peut pas dire que LB, qui par ailleurs est beaucoup intervenu médiatiquement, ait joui de critiques très favorables au sujet de son récit dont le genre hybride met mal à l'aise, surtout les journalistes politiques avec lesquels il a fait durant onze mois route commune (France Inter, Le Monde).
Il me semble toutefois que la sévérité manifestée a été excessive comme si l'on reprochait essentiellement à ce professeur historien, initialement plus proche de Mélenchon que d'Hollande, de s'être égaré dans un domaine où il n'était pas légitime. Il est vrai que LB a accumulé les difficultés en se présentant sous diverses facettes que l'écriture ne parvenait pas toujours à synthétiser: le témoin, l'analyste, le militant, le journaliste, le narcissique, le chroniqueur passif, le curieux ou le discret. A cette multitude de rôles s'ajoutait le fait que parfois il semblait se trouver au centre de tout et, d'autres fois, n'être que le regard de Fabrice Del Dongo à Waterloo.
Evoquant le "discret" Binet, j'avoue que le plus souvent il pèche par l'inverse. A mon sens c'était d'ailleurs le seul défaut de son remarquable roman sur l'assassinat d'Heydrich que cette volonté longtemps affichée de se montrer en train d'écrire et de penser. Abandonnant son ego, il devenait alors éblouissant.
Avec cette relation de la campagne de François Hollande, LB a adopté la structure du journal qui suit au jour le jour les péripéties menant jusqu'à la victoire du 6 mai. Il me semble qu'il s'agit d'une facilité technique, presque d'une évidence pour qui s'attache à un tel exercice mais en même temps la répétition et le retour d'épisodes quasiment identiques ne sont pas loin à la longue de créer une certaine lassitude, presque un zeste d'ennui, tant la singularité des anecdotes et des commentaires se noie assez souvent dans un rythme soutenu mais homogène qui impose sa pesanteur. Il y a des pépites mais sous les blocs.
Cette manière de procéder est d'autant plus problématique que LB emplit la chronologie avec la diversité de ses postures dans cette quête de François Hollande. Sa démarche - sa faiblesse - hésite entre la nudité brute du récit et la richesse fouillée de l'essai. Yasmina Reza, dans son petit et étrange livre sur Nicolas Sarkozy, avait tranché en faveur de la seconde branche de l'alternative et s'était épargnée ainsi les embarras de LB qui, aspirant à tout prendre, manque souvent les profondeurs et de profondeur.
Ce n'est pas le plus grave. Décrivant, racontant, rapportant, faisant parler les uns et les autres - Manuel Valls, Pierre Moscovici, Malek Boutih notamment -, LB ne nous donne pas en réalité une vision de François Hollande - à supposer qu'il puisse être saisi, scruté et fixé sur la page, ce qui n'est pas assuré - mais, autour de lui, une exposition de sa Cour, de cette noria inhérente à toutes les campagnes présidentielles, une transcription de cette formidable effervescence, de ce désordre parfois désespérant qui entourent le candidat. Il serait malhonnête d'oublier que François Hollande vient à intervalles réguliers se rappeler au lecteur et chacune de ses apparitions rapides ou non le campe sur un mode qui n'est pas insignifiant avec notamment un passage très fin sur son ironie supérieure, presque une manière de vivre.
Il n'empêche que le journal tenu par LB, avec l'objectivité recherchée de l'observateur et la subjectivité troublée du socialiste inquiet jusqu'au bout, nous propose plutôt un portrait de groupe dont, il convient de l'admettre, les journalistes constituent la part principale - LB les écoutant, les regardant, dialoguant avec eux, dévoilant leur esprit grégaire aboutissant à une information formatée.
Il n'y aurait rien de répréhensible dans cette approche collective si elle ne prenait pas la place, peu ou prou, de l'affrontement direct entre le candidat à la présidence et celui qui, dépassant le superficiel du journalisme classique, aurait eu pour vocation de nous éclairer sur une personnalité, une intelligence, un comportement, pour que l'élection ait du sens.
François Hollande, venant d'apprendre sa victoire, embrasse LB qui vient le féliciter. Démonstration de sensibilité, de reconnaissance, joie d'exprimer sur l'autre sa propre allégresse ? Yasmina Reza dansant avec Nicolas Sarkozy, c'était quoi exactement ? Une grâce, une connivence, une vérification ?
Tout s'est passé en réalité comme prévu : on en a appris beaucoup, on sait des choses, il y a le bruit, les rumeurs, les ambitions, la détestation de l'autre, l'espérance puis la certitude de la victoire.
Mais, s'il y a le monde de François Hollande, celui-ci, énigme en son coeur, ne voit pas son secret levé par LB.



Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...