Le Défenseur des droits sévère sur le dossier Mineurs étrangers isolés (531)
Droits des enfants - jprosen, 19/05/2013
Depuis maintenant une quinzaine d’années les pouvoirs publics sont empêtrés dans le dossier de ces jeunes personnes, souvent mineures, pas toujours, qui arrivent non accompagnées et illégalement en France pour y trouver secours ou tout simplement pour y gagner leur vie et celle de leur famille.
On sait explicitement depuis Michel Rocard que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Pour autant elle a des valeurs, mais aussi des engagements à l’égard de la communauté internationale. Des règles juridiques s’imposent qu’il lui convient de respecter. Or on peut l’affirmer haut et fort qu’elles sont loin d’être tenues. Dans le même temps, on doit se réjouir de ce que nombre d’institutions, locales et nationales, publiques et associatives, font pour recevoir, accueillir, accompagner psychologiquement, humainement, socialement, matériellement beaucoup de ces jeunes qui, il faut oser le dire, demeureront généralement sur le territoire comme dans le passé nombre d’étrangers adultes ou enfants sont venus en France pour contribuer à faire la France. L’enjeu politique est bien aujourd’hui de faire en sorte que si ces jeunes personnes demeurent en France elles ne viennent pas abonder les sans-papiers, tous ceux qui au final vivent dans l’illégalité.
Le sujet est difficile à traiter ; constatons qu’il faut tenir un équilibre délicat. Déjà il ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions, encore faut-il s’en donner les moyens.
J’ai déjà eu l’occasion en plusieurs occasions d’aborder ce sujet ici. L’actualité tient en ce qu’on nous annonce comme imminente la circulaire préparée depuis l’été 2012 par le ministère de la justice. Ce texte devait déjà être signé en mars ; d’évidence des blocages persistent malgré l’accord donné part l’Association des Départements de France (ADF). De fait dans ce qui est proposé il y a encore matière à être perplexe (voir mon blog ).
Le Défenseur des droits dans un courrier du 30 avril 3013 (DD-MIE 30-04-2013) relaie ces inquiétudes. Ses « observations » peuvent conduire à retarder la signature par Mme Taubira. L’interpellation sévère et argumentée ne peut pas être balayée d’un revers de main.
Avant de s’y attacher il est indispensable de rappeler sommairement quelques données de cette problématique.
Tout d’abord la question n’est pas franco-française. Beaucoup de pays d’Europe y sont confrontés. Elle correspond à la poussée Sud-Nord ou Est-Ouest vers les pays plus nantis. Le même phénomène est relevé en Amérique du Nord ou encore en Australe. Ajoutons que la France comme les autres pays de l’espace Schengen est garante des frontières européennes. En d’autres termes, les réponses apportées ici doivent être en harmonie avec ce qui se joue sur l’espace européen.
Deuxio, la plupart des ces jeunes quittent leur pays pour des raisons économiques. Ils pensent ne pas pouvoir y gagner leur vie ; ils sont convaincus qu’ici ils pourront non seulement survivre, mais au final aider leur famille. Une minorité (10 à 15 %) fuit des persécutions politiques, raciales ou communautaires et demandera le statut de refugié politique avec somme toute peu de chances de l’obtenir. Dans l’accueil qui leur sera ménagé il faudra tenir compte des violences de tous ordres supportées. D’une manière générale, l’aventure que vivent tous ces jeunes précipités quasiment au bout de l’univers, souvent sans parler la langue, en tous cas, sans les facilités du touriste moyen, est difficile à supporter. Tout y contribue : la rupture brutale et pas nécessairement souhaitée d’avec les parents, l’atmosphère et la culture de leur enfance ; l’accueil bien en-deçà des espérances, sans compter la route qui a pu être rude et alors que s’ouvre très rapidement une deuxième bataille : demeurer dans la terre d’asile.
Dois-je ajouter que venus d'Afrique sub-saharienne ou d'Asie pour étudier et travailler ces jeunes ne présentent généralement aucun danger pour l'ordre public ?
Tercio, derrière ces jeunes il y la plupart du temps des filières qui font leur miel de cette souffrance en faisant payer très cher – y compris par la violence - à la famille ou au jeune lui-même le prix du voyage. Certaines fournissent ce qui a été convenu, d’autres abusent des jeunes. La tendance est de focaliser sur ces filières pour les dénoncer quand nous devons d’abord nous attacher aux personnes objet de ces transactions en veillant à sanctionner la traite quand elle existe.
Quarto : Voici 15 ans DEI-France évaluait habituellement à 6 000 par an les jeunes qui arrivent non accompagnés à nos frontières. Ce chiffre est régulièrement repris mais on ignore la réalité du phénomène. L’Union européenne pour ce qui la concerne fait une évaluation à 100 000.
Parmi ces jeunes personnes, beaucoup – un tiers ? – avancent être âgées de moins de 18 ans quand en réalité elles sont majeures. Elles visent ainsi à bénéficier de nos législations sur la non- expulsabilité des enfants étrangers et sur l’accueil que les services sociaux ménagent à des enfants isolés considérés a priori comme étant en danger. On mesure ici une donnée majeure du dossier : la suspicion, sur un fond de mensonge et de violation de la loi qui s’installe aisément entre jeunes et intervenants qui se sentent manipulés. Non seulement la personne a violé la loi française relative l’entrée sur le territoire, mais elle pourrait mentir sur son identité et bien évidemment sur ses motivations. Tout bonnement, nombre d’entre ces jeunes ne relèvent-ils pas plus d’une démarche de coopération que l’action sociale ? Ajoutons une autre dimension majeure du sujet qui accentue la tension: un contexte économique, et pas seulement politique, délicat avec des budgets sociaux, d’Etat comme locaux, tendus quand ces prises en charge avec un hébergement peuvent durer des années et coûter des fortunes. Il n’est pas rare que certains départements y consacrent 15 % de leur budget Aide sociale à l‘enfance. Et nul n'ignore par ailleurs que par-delà les positionnements politiques, les rapports entre Etat et collectivités locales sont aujourd’hui rudes sur le plan financier, les secondes ayant tendance à penser sans avoir totalement tort que l’Etat qui se tient en faillite se décharge sur elles de nombre de ses responsabilités.
Dans ce contexte, sans faire tomber la garde, on se doit déjà de saluer le positif et de rechercher des compromis. La future circulaire présente plusieurs qualités si on veut lui rendre justice.
D’abord dans le fait même d’exister ! Depuis des années nous demandons à l’Etat, garant des règles du jeu communes, d’assumer son rôle de chef de file. Les précédents gouvernement depuis 10 ans avaient accumulé les rapports, mais s’étaient bien garder d’intervenir. Contraint et forcé, M. Mercier, dernier ministre de la justice de Nicolas Sarkozy avait du plonger les mains dans la bassine devant la révolte déclenchée par le présiiedent du conseil général de la Seine-Saint Denis en septembre 2011 et concrétisée, en violation de la loi, par un refus d’exécuter les décisions de justice lui confiant des enfants. Le ministre avait éteint le feu en achetant la paix dans le 93, mais il s’était bien gardé de prendre les mesures au long terme pourtant promises. Depuis le dossier pourrit sur pied. Nombre de départements se croient autorisés eux-aussi à violer la loi et l’Etat est plus hypocrite que jamais. Il est donc grand temps que l’Etat fixe le cap et les règles du jeu.
Deuxième qualité : la circulaire consacre aussi les responsabilités de l’Etat, non seulement en veillant à définir les cadres, mais en assumant ses propres responsabilités. On rompt avec le discours de 1995 de Charles Pasqua, ministre de l’intérieur au président du CG de la Seine Saint-Denis d’alors : « Vous percevez les royalties de Roissy, donc vous êtes compétent ! ». De fait, le sujet ne relève pas des seuls conseils généraux en charge de l’action sociale. L’Etat a des responsabilités propres: il veille aux frontières et au droit au séjour des étrangers en France qu’il entend voir se maintenir en France, il s’occupe de SDF, il doit aussi veiller à la protection des enfants, français ou étrangers ; enfin, il rend des comptes à l’international au nom de la France. En vérité, on est sur une co-responsabilité Etat-conseils généraux. Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, l’Etat s’occupe déjà des mineurs étrangers à travers ses différentes administrations dont la justice et finance des dispositifs sociaux. Les conseils généraux lui demandent simplement d’en faire un peu plus dans ces moments délicats sur le plan budgétaire. Il a entendu et va s’exécuter … avec parcimonie.
Troisième qualité de la circulaire : elle consacre enfin la péréquation entre les départements souhaitée par les élus locaux. Il n’est pas normal qu’une vingtaine départements assument seuls sur leur budget le coup de cette prise en charge qui se fait dans l’intérêt du pays. Tous doivent y contribuer en accueillant des mineurs ou en finançant au prorata de leurs moyens. Les instructions ministérielles à venir travaillées avec l’ADF vont sur ce point dans le bon sens.
Reste à espérer que l’ADF sera suivie par ses troupes quand nombre de départements regimbent aujourd’hui à s’occuper des enfants étrangers isolés surtout s’ils sont confiés en force par l’Etat. Je peux témoigner qu’aujourd’hui dans un hôtel de la Seine Saint-Denis se trouve une bonne demi-douzaine d’enfants confiés par le parquet local à deux départements de la région parisienne qui depuis novembre 2012 refusent de les accueillir. Ces jeunes sont laissés à eux-mêmes. Ils vont tous les jours chercher un ticket restaurant au service de la Croix Rouge du 93. Cette hérésie perdure déjà depuis 7 mois sous couvert de protection de l’enfance : pas de scolarisation, pas d’avancée sur le dossier de la régularisation… La majorité approche où on les mettra carrément à la rue sans s’être occupé d’eux. Un scandale qui n’émeut guère. Dans son courrier le Défenseur rappelle qu’il a de son côté reçu de nombreux messages d’alerte sur des cas de non-prises en charge éducative et administrative. On peut craindre qu’elles perdureront avec ce qui n’est qu’une circulaire sauf à ce que les conseils généraux estiment que le dispositif proposé réparti justement la charge.
Ces points positifs relevés on entre dans la critique de ce qui est proposé en relevant que la charge du Défenseur des droits vaut celle que les associassions développent depuis des lustres, notamment DEI-France.
Pour faire court le dispositif à venir généraliserait ce qui se fait depuis novembre 2011 en Seine-Saint-Denis en donnant un rôle majeur aux parquets. Le procureur de la République, informé par un service plus ou moins spécialisé qu’une personne étrangère et isolée est mineure, la confiera à un établissement sur la base d’une liste nationale des places disponibles des foyers habilités à recevoir des enfants en danger. Il transmettra alors le dossier à son correspondant local et fera accompagné - livré serait plus juste - le jeune dans l’institution retenue. La présence physique du mineur dans le foyer créera alors la compétence du tribunal concerné un peu comme aujourd’hui la filière dépose des jeunes devant la porte des tribunaux ou des services sociaux !
Le juge des enfants du lieu retenu sera alors saisi. On contourne le juge des enfants du lieu où le jeune a été initialement découvert ; on fait vite, le jeune n’est pas reçu par un magistrat, la décision du procureur n’est pas susceptible d’appel. « Dossier suivant ! » pourra-t-on dire. En effet dans ce dispositif les enfants sont concernés comme des paquets. C’est concrètement ce qui se passe en Seine Saint-Denis depuis la fin 2011. Ce qui fait dire à M. Baudis que, par-delà la gestion administrative et les places disponibles, il faudrait peut être aussi prendre en compte les caractéristiques du jeune concerné. Quelqu’un se soucie dans ce dossier de l’intérêt de l’enfant ! Il était temps.
Mais qui va le faire faire et comment dans ce dispositif où l’on oriente sans débat contradictoire et sans que le jeune ait pu faire valoir ses arguments, tout simplement sans qu’on l’ait informé des tenants et aboutissants de sa situation. En vérité non seulement on dessaisit le juge au profit du parquet, mais on dessaisit la justice au profit du service social ! Aujourd’hui à Bobigny des jeunes qui n’ont pas été accepté par la cellule ad hoc gérée par la Croix Rouge au prétexte non pas qu’ils sont majeurs, mais que « leur discours n’est pas clair » se présentent régulièrement au tribunal. Révoltant quand on laisse ces enfants à la rue, y quand il neige. La puissance publique a démissionné de ses responsabilités dans les mains d’une association. Si le jeune se laisse impressionner il reste à la rue. Il lui faut savoir qu’il a des recours.
Les départements de « découverte » disposeront de 5 jours financés par l’Etat – 250 euros par jour- pour accueillir physiquement le jeune et le mettre à l’abri, pour tenter de créer une relation avec lui, vérifier ses dires et ensuite faire une proposition au parquet. Ici on se paie de mots place Vendôme. Indépendamment du fait qu’il faut bien plus de temps pour nouer avec le jeune une vraie relation permettant réellement d’apprécier sa situation, comment peut-on imaginer que tous les départements concernés disposeront en nombre et en variété - déjà en interprètes- des personnes compétentes pour procéder à ces évaluations ? Nous proposions qu’une douzaine de plates-formes soit mise en place de par le pays avec une concentration de moyens adaptés à ces problématiques. Les jeunes y seraient orientés dès le premier jour pour la mise à l’abri et le travail d’évaluation qui ne supporte pas l’improvisation en cette matière. Cette option n’a pas été retenue. On fait semblant d’ignorer les spécificités de ces situations, surement pour des raisons économiques. On a déjà commis cette erreur dans le passé de vouloir aller vite et de faire à l’économie : la réalité est revenue au galop.
Ce dispositif pose par ailleurs plusieurs problèmes juridiques et politiques :
1°) Il se veut de droit commun avec le tribunal pour enfants quand certains auraient souhaité un dispositif pour les étrangers. On a raison de faire ce choix, mais comme le relève M. Baudis, reprenant les interrogations des professionnels, on accentue et on détourne donc le rôle du procureur en matière de protection de l’enfance : il censé intervenir en urgence quand le juge des enfants n’est pas disponible ; or on l’institue comme interlocuteur premier des jeunes. Pourquoi pas ? Mais il faudrait qu’il les reçoive physiquement ; qu’il fasse avec eux le point sur leur situation et les perspectives à eux offertes, ce que nous faisons avec chaque jeune que nous recevons. Il faut alors une demi-heure d’audience au bas mot. C‘est à ce prix que justice est rendue. On a fait le choix d’un traitement administratif validé par un magistrat. On a tort.
2°) Comment va-t-on informer le jeune refusé par le dispositif des motifs de ce refus et des recours qui lui sont offerts. Par écrit ? Silence. Or ce jeune a des droits qu’il prétend être bafoués ! Quid de la défense ? Où sont les barreaux dans ce dispositif ? Là encore on est dans un fonctionnement administratif d’une autre époque. Même l’administration moderne informe désormais les usagers sur leurs droits et leurs recours. Silence radio ici. Surprenant pour un texte issu du ministère’ de la justice
3°) Silence là encore pour ceux des jeunes appelés à demeurer en France sur la procédure de délégation de tutelle ou der délégation d’autorité parentale pour sortir des mesures de protection à court terme qu’offre le tribunal pour enfants.
4°) Silence enfin sur les résistances imposées par les préfectures pour délivrer des titres de séjour avec autorisation de travail ou d’études en exigeant un passeport que ces jeunes ne peuvent pas à court terme produire. La circulaire gagnerait à être co-signée par le ministre de l’intérieur et le ministre du travail
5°) Enfin, but not the least, le Défenseur des droits y consacre une large partie de soin courrier : la contestation de l’identité du jeune dans des conditions souvent elles-mêmes contestables, qualifiées avec euphémisme d'hasardeuses par le Défenseur des droits.. On connait le manque de fiabilité des expertises osseuses, mais force est de constater que régulièrement les papiers produits par les jeunes sont rejetés sans avoir fait l’objet d’un examen scientifique par les autorités policières spécialisées.
Le ministère de la justice ici est très faible qui se contente de rappeler le droit mais néglige qu’en pratique ces dispositions juridiques avancées ne sont pas respectées. Le Défenseur des droits a raison d’être pragmatique et de montrer exemples à l’appui qu’on est loin du compte. La circulaire sur ce point ne règle rien.
***
En d’autres termes, les instructions constituent sur des points majeurs une avancée, mais on voit bien que l’Etat et les conseils généraux se refusent de se donner les moyens de percer l’abcès.
Au fond reste présent l’idée que l’on ne pourra pas endiguer à court terme la vague qui déferle régulièrement sur nos frontières. Il faut donc une réponse a minima qui desserre le nœud de nos contradictions sans pour autant les faire disparaître. On fait donc la part du feu sur un sujet qu’on sait ne pas pouvoir traiter sereinement et définitivement en évitant l’appel d’air souvent craint.
Reste que le dispositif en place en Seine Saint Denis qui sert de référence a relancé la machine à fabriquer du jeune clandestin. Va-t-on l’entendre et réagir dans l’intérêt même du pays quand seul des enjeux économiques l’emportent aujourd’hui ?
Soyons lucides : cette circulaire s’impose, mais ne résout pas tout ; cela ne doit pas nous dispenser dans le cadre contraint dans lequel elle s’inscrit d’améliorer encore ce qui s’apprête à être adopté. Encore un petit effort Mme le Ministre.