Le président Macron devrait lire l'écrivain Mari !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 18/07/2019
Si le président de la République avait lu l'essai éblouissant de Pierre Mari "En pays défait" (éditions Pierre-Guillaume de Roux), il se serait évité beaucoup d'erreurs dans sa perception de la France et des Français, dans son approche du pays profond.
Je mentionne le nom de l'éditeur parce que je recommande absolument à ceux qui me lisent et me font confiance d'acheter cet ouvrage étincelant.
D'abord on se sent infiniment petit, malgré une familiarité de pensée, face à un tel pamphlet à la fois délicat et vigoureux qui offre dans une langue parfaite, analyse, dénonciation, autopsie de la société, mise en pièces de la modernité, nostalgie décapante d'une France qui permettait un récit national. Rien de plus convaincant que la démolition d'un présent médiocre grâce à un style relevant d'un passé rêvé !
Quel bonheur aussi de voir si superbement exprimés, mais par un autre, ses idées, ses sentiments, sa hantise du déclin, son incoercible regret des grandeurs disparues, sa quête éperdue du courage et d'une humanité digne de ce nom ! Je ne connais pas Pierre Mari mais il me suffit de constater avec quelle parcimonie médiatique son opuscule inimitable a été célébré - si j'exclus le bel éloge par François Cérésa dans Service Littéraire - pour comprendre que sa singularité brillante et lucide insupporte, comme une douloureuse écharde dans le pied de l'époque.
Sans offenser personne, je suis moi-même conduit non pas à réviser mes dilections réactionnaires mais, grâce à lui, à mieux les hiérarchiser et à ne plus constituer tout brûlot intellectuel et acide comme une indéniable avancée. Il y a chez Pierre Mari une puissance des mots, une fulgurance de la réflexion, qui échappent au classicisme corseté et amer pour incarner, en creux, tout ce qu'on devrait espérer au regard de ce qui nous manque.
Pierre Mari, d'ailleurs, sera certainement le moins surpris de sa relative invisibilité puisqu'il écrit - au sujet des "hommes de lettres" et indirectement de lui-même - que "l'alternative est devenue radicale(...)entre les tenailles et le succès, entre le bouillonnement médiatique et la poursuite tenace d'une action, nerfs et muscles tendus sur l'outil, il faut obligatoirement choisir".
Il a évidemment choisi les "tenailles".
Son constat de désespoir et de faillite, il l'adresse aux élites qui en sont les principales responsables, à la fois à cause de leur vaniteuse, bavarde et superficielle impuissance et parce qu'elles nous donnent l'illusion d'agir pour nous et à notre place alors que la véritable action est muette et modeste. Il s'attaque au poison de la visibilité qui fait croire à l'importance, il s'attaque à la dénaturation du langage en slogans managériaux, il s'attaque à l'absence de caractère chez les écrivains. Derrière les apparents changements, de Mai 68 à aujourd'hui, il met en évidence moins des ruptures qui seraient pour certaines des avancées et pour d'autres des régressions, qu'un implacable délitement de la France oublieuse de son Histoire et de sa civilisation.
Il ne faudrait cependant pas dégrader sa vision en l'assimilant à une destruction méthodique réactionnaire et facile car elle me semble au contraire, malgré les abstractions qui la structurent, être suffisamment pertinente, identifiable et opératoire pour ouvrir largement les portes de l'avenir si nous avions enfin des élites dignes de ce que nous avons de meilleur et non pas fidèles à ce qu'elles ont de pire. En ce sens, peut-être même contre l'auteur, ses pages découragent moins qu'elles n'encouragent comme toute lumière est forcément plus gratifiante que n'importe quelle obscurité.
Après avoir lu passionnément, intensément ce livre, goûté son style de haute volée polémique - il fait mal en même temps qu'il pourfend avec grâce et une élégante cruauté, laissant deviner ses adversaires plus qu'il ne les nomme -, je n'ai pu m'empêcher de songer à ces cénacles d'écrivains, d'intellectuels et d'artistes que le président de la République réunit pour les flatter et se flatter. Pierre Mari n'y aurait pas sa place parce que peu ou prou tous, les conviés heureux comme les grincheux mais présents, baignent dans une sorte de parisianisme et de mondanité qui est le vice principal qu'abhorre Mari et la plaie de ce monde.
Le président Macron aurait dû lire l'écrivain Mari. Peut-être le fera-t-il ?
Il n'est jamais trop tard pour que la voix d'une formidable et libre irresponsabilité - tenue par rien, elle voit juste et loin - donne des leçons à un pouvoir qui en aurait eu bien besoin et devrait s'en inspirer pour son avenir de trois ans.