Les enfants et la justice entendue comme institution judiciaire (461)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 20/03/2012
Il est certaines institutions publiques que par commisération on souhaiterait généralement épargner aux enfants, c’est-à-dire aux personnes de moins de 18 ans. L’hôpital est l’une d’elles ; la justice avec ses appendices que sont le commissariat ou la prison en est une autre qui mérite que l’on s’y arrête.
Déjà force est de constater que nombre d’enfants auront chaque année à en connaitre. On est loin de situations exceptionnelles. Les questions concernant les enfants traitées par la justice balaient tout le spectre de la vie : de la filiation au nom et au prénom en passant par les questions d’héritage, d’indemnisation suite à des accidents, de protection des droits moraux, sans négliger bien évidemment le cœur de l’intervention judiciaire en matière civile avec l’explosion des couples parentaux, l'enfance en danger et les enfants isolés étrangers et en matière pénale la prise en compte des enfants victimes, témoins ou auteurs d’infractions, les tribunaux judiciaires pour parler que d'eux ne ne savent plus où donner de la tête.
Pour répondre à ce besoin de justice, il n’est pas rare qu’une juridiction consacre le quart ses moyens en magistrats et greffiers. On pense aux juges et on oublie régulièrement les procureurs dont le rôle est désormais majeur. A ces personnels judiciaires s'ajoutent des avocats spécialisés et l'ensemble des institutions sociales et éducatives travaillant avec la juridiction sans négliger les policiers spécialisés ou non. .
Ensuite, le rapport de l’enfant à la justice est délicat dans la mesure où il faudra systématiquement accompagner cette présence, sinon veiller à assister sa parole tenue pour souvent peu fiable.
Enfin des questions de principe peuvent se poser dont les réponses encore en construction sont révélatrices de la tension de fond que recouvre la problématique de l’enfant : est-il un objet ou un sujet de droit ? Peut-il avoir son mot à dire dans les procédures qui le concernent ? Peut-il être un acteur judiciaire et saisir la justice pour demander à ce que ses droits soient reconnus, sinon de nouveaux droits consacrés ?
Plus que d’autres cette justice est méconnue, et dès lors mystérieuse. Et pour cause: la publicité y est souvent réduite sinon le huis clos complet : les portes sont fermées au regards extérieurs, ce qui a déjà pour inconvénient de ne pas permettre d’en restituer la réalité au peuple au nom duquel elle est rendue. Il est dès lors difficile de la critiquer au sens universitaire du terme, d’où les procès bien ou mal fondés qui lui sont faits. Et les décalages relevés entre des critiques qui ont pu être fondées et la réalité du moment ; les responsables politiques et les médias fonctionnent aux représentations datées.
D’où l’importance d’entrebâiller ici ces huis.
Pour faire simple on peut identifier quatre grands contentieux mettant en cause des enfants
- Qui exerce légalement l’autorité parentale sur l’enfant ?
L’enfant peut être l’objet dans sa personne ou dans ses biens de conflits majeurs entre adultes. On pense à tout le moins aux difficultés qui résultent de la séparation du couple parental qu’il ait été ou non fondé sur le mariage.
Dans les années 75, les juges, ont su prendre en compte le souci des parents de sortir d’une logique d’affrontement qui n’épargnait personne : il fallait gagner lors du procès le droit de garde sur l'enfant - l'enfant étant vécu comme un objet, bien commun du couple parmi d'autres à se partager - et exclure l'autre parent.
Aujourd'hui il ne s’agit plus de s’approprier un enfant, mais de veiller à ce que chacun soit mis en situation d’exercer ses responsabilités et de profiter de son enfant. En contrepoint s’est affirmé en 30 ans, avec le relais du législateur, le droit de l’enfant à disposer de la protection de ses deux parents - l'exercice conjoint de l'autorité parentale avec ou sans alternance de la résidence - même si le couple conjugal ne fonctionne plus.
L’enfant revenant au cœur de la problématique jusque là adulto centrée s’est tout naturellement posée la question de son expression personnelle de l’enfant en justice, de son accompagnement et bien évidemment de la portée de cette parole : le juge devait-il se résoudre à la demande de l'enfant? Ne fallait-il pas consacrer le droit de l'enfant au silence quand il ne veut pas inférer avec les décisions des adultes ?
Dans la dernière période d’autres adultes sont apparus massivement dans l’univers de l’enfant auquel l'enfant peut peu ou prou s'attacher ou détester. Il a aussi fallu les prendre en compte. Ce sont déjà ces grands parents plus souvent présents dans l'univers de leurs petits-enfants , ingambes et dotés de moyens économiques parfois supérieurs aux parents. Ces anciens prétendent souvent avoir une visée sur leur descendance. Il faut à la fois consacrer leurs droits et les cantonner. Tout bonnement, avec les familles reconstituées deux millions d’enfants sont élevés par un adulte qui n’est pas leur parent biologique. Quelle place faire à ces « gentils papas « ou pour « gentilles mamans » que les parents biologiques peuvent vivre comme des concurrents ? Enfin, force est constater que trop d’enfants se trouvent privés de parents susceptibles d’exercer l’autorité parentale. Il faudra désigner un tuteur ou un délégataire de l’autorité parentale; parfois l’enfant deviendra adoptable et sera accueilli par une nouvelle famille qui deviendra juridiquement et affectivement la sienne.
Dernier épisode, la revendication des couples homosexuels dé'établir une double filiation paternelle ou maternelle à l'égard d'enfants.
Le juge des affaires familiales qui a succédé en 1993 au juge aux affaires matrimoniales et a absorbé en 2011 les fonctions du juge des tutelles est devenu le grand juge de la famille. Il dit la loi dans la famille. Sera-t-il demain également le juge du soutien à l’exercice de l’autorité parentale qu’est aujourd’hui encore et depuis 1958 le juge des enfants ? La question est ouvertement et politiquement posée par certains.
2 - Un juge pour garantir le droit à l’éducation
Le juge des enfants est né de cette idée du début du XIX° siècle selon laquelle un enfant délinquant n’est pas un délinquant comme les autres. Sa délinquance peut s’expliquer sa faible maturité, mais surtout par une carence éducative. Mieux, si l’on sait répondre à cette carence, rien n’est définitivement joué pour ce jeune. C’est même l’intérêt de la société que de jouer cette carte éducative quand les prisons sont criminogènes.
Le tribunal pour enfants est né en 1912, après que la majorité pénal soit passée de 16 à 18 ans en 1906, mais c’est bien en 1945, à la Libération, en reprenant un texte rédigé par le gouvernement Pétain, qu’a été consacré le droit à l’éducation de l’enfant délinquant.
Force est de constater que plus de 60 ans plus tard ses principes et ressorts restent valables puisqu’alors que sa mort mille fois a été annoncée, l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance delinquante reste la base du droit pénal des moins de 18 ans. Le texte a certes été régulièrement « enrichi » pour lui permettre de faire face aux nouveaux besoins sécuritaires (on dénombre un peu plus de 70 « reformes » dont 3 en 2011) ; il n’en demeure pas moins bien vivant.
Qui plus est la justice pénale des mineurs est performante : dans 85% des cas les jeunes dont elle a à connaitre ne sont pas délinquants une fois devenus majeurs ! Elle conserve son orientation éducative même si elle ne se prive pas de sanctionner sévèrement et de plus en plus sévèrement. Les politiques sont bien tentés de gommer ce qui fait la spécificité du droit pénal des mineurs mais le Conseil constitutionnel, malgré le coup de poignard qu’il lui a asséné le 8 juillet 2011, et les engagements internationaux de la France évitent qu’il y soit mis totalement fin. Mais force est de constater que le travail de démolition est singulièrement engagé. A l'ordonnance sur l'enfance délinquante on n'a pas encore réussi à substituer un code de la justice pénale des mineurs.
Le juge des enfants reste la clé voûte de ce système avec sa vision éducative, mais le privilège de juridiction dont jouissent les enfants en conflit avec la loi s’estompe : dans 60% des cas c’est le parquet qui traite les affaires, le tribunal correctionnel pour mineurs et la cour d’assises des mineurs ont largement écorné ce privilège pour les 16-18 ans. A défaut de pouvoir abaisser la majorité pénale à 16 ans comme il était projeté on a vidé le contenu de ce statut pour permettre de juger – et donc de punir - ces jeunes comme des adultes. Pour eux on n’est plus loin d’être revenu à 1912, voire 1911 !
3 - Un juge pour protéger les enfants : le même juge des enfants
Longtemps il a fallut attendre qu’un enfant commette un délit pour que l’on s’attache à ses problèmes personnels et surtout familiaux. En 1954 le juge Jean Gabin de "Chiens perdus sans collier" implorait le jeune fugueur : " Dis moi que tu as volé ce matin et l'Etat assurera ton avenir!". Il fallait qu’un délit soit le prétexte à l’intervention du juge.
Depuis 1958 ; il suffit qu’un enfant soit en danger du fait d’une carence éducative pour justifier cette intervention avec le souci que ce jeune en danger ne soit jamais en situation de délinquer. Après tout, les enfants délinquants ne sont-ils pas d’abord des enfants en carence éducative ? Un nouvel élan a alors été à la justice pour les enfants.
Sont visés bien sûr les enfants violentés, mais tous les enfants mal-traités sur le plan physique ou psychologique. Un temps la justice a pu laisser penser qu’elle négligeait les enfants délinquants pour se consacrer aux enfants en danger. De fait masi tel le était aussi l'injonction sociale dans cette période 1958-1980. Elle a été rappelée à l’ordre dans les années 80. Elle résiste aujourd’hui à une tendance lourde (crise financière de l’Etat mais aussi redistribution des compétences publiques et souci sécuritaire obligent) qui veut la ramener à avant 1958. En tous cas, le souci est désormais de soulager la justice en rappelant qu’elle ne tient qu’un rôle subsidiaire aux Conseils généraux dans la protection de l’enfance. Force est ici de constater que la loi du 5 mars 2007 n'a guère fait baisser la demande exprimée à la justice.
Des exceptions notables ont été introduites dans la procédure civile devant pour veiller à la protection judicaire de l’enfance : l’enfant peut ainsi saisir lui-même le juge pour etre protégé et se présenter assister d’un avocat. Des enfants peuvent ainsi être conduits à quitter leur domicile familiale ou pour les jeunes filles à accéder à l’iVG. Le juge des enfants conservera-t-il cette compétence sur la protection de l’enfance ou sera-t-il concentré sur la délinquance juvénile ? Rien n'est moins sûr.
4 - Des juges pour garantir le droit à la justice
Dans la dernière période – depuis 1980 – la justice d’abord, la société ensuite, ont pris conscience que trop d’enfants vivaient des atteintes majeures à leurs droits fondamentaux comme le droit à l’intégrité physique ou sexuelle.
Victimes d’infractions commises dans ou hors la famille il fallait mieux prendre en compte à tous les stades procéduraux la position de victime de ces enfants : devant les juridictions de jugement certes, mais déjà à la police et devant les magistrats instructeurs. Il fallait ouvrir les oreilles et les yeux des professionnels dans le même temps où l'on veillait à légitimer la parole de l’enfant et à lui donner du poids: les deux mouvements s’imposaient pour disposer d’une parole de victime susceptible de transpercer la chape de béton qui pesait sur elle et rompre l’omerta.
Beaucoup a été fait, mais on est encore au néolithique de la prise en compte de l’enfant victime par les juridictions pénales (conf. le rapport Vriout après l'affaire d'Outreau). Le souci n’est pas seulement de faire condamner les auteurs d’agressions, mais de rendre justice aux enfants portés à culpabilisés et angoissés à l’idée de faire punir leur agresseur surtout quand ils sont des proches. Ils ne sont pas responsables de ce qui leur a été infligé, mais les victimes. les enfants ont droit à l'amour, mais pas à ce que l'on le leur face. il n'y a pas égalité en cette matière entre un adulte et un enfant.
On veut souvent copier ce qui se fait à l’étranger en oubliant que l’étranger nous prendre souvent comme référence quant à la justice rendue aux enfants.