Mais qui sont-ils ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 14/11/2015
Au stade de France où je me trouvais aux côtés de Patrick Roger d'Europe 1 pour le match France-Allemagne, nous avons entendu deux fortes explosions à quelques minutes d'intervalle. La troisième m'a échappé.
Nous avons réussi à quitter les lieux très rapidement quelque temps après la fin du match et, ayant rejoint Europe 1, j'ai découvert une atmosphère digne, survoltée, incroyablement énergique et organisée, une rédaction de haut niveau et d'émotion partagée. Fabien Namias aux manettes. Denis Olivennes les ayant évidemment rejoints.
128 morts au moins et de nombreux blessés dont 80 dans un état grave. Le Bataclan notamment, un lieu d'horreur, 7 terroristes ayant été tués ou s'étant fait exploser après avoir tiré à la kalachnikov sur les spectateurs dans la fosse.
Mais qui sont-ils ?
Le président de la République a prononcé le discours qui convenait à la suite de ces terrifiantes fusillades. L'état d'urgence et la fermeture des frontières. L'Etat mobilisé. Il ne peut plus, s'il l'a jamais fait, considérer que la menace est devant nous. Elle a massacré et bouleversé Paris. Un deuil de trois jours est décrété.
Mais qui sont-ils ?
J'avais trouvé que Marc Trévidic récemment avait poussé au noir la vision de l'avenir quand il avait affirmé que le pire allait advenir. Il avait raison.
Mais qui sont-ils ?
Ces tueurs étaient-ils lovés dans notre chère France comme dans un abri confortable avant de passer aux crimes ?
Comment est-il possible qu'une telle efficacité dans l'horreur ait pu être coordonnée et mise en oeuvre, avec la logistique qu'elle imposait et le secret absolu qui était la condition de son atroce réussite, sans que rien soit jamais venu aux oreilles et à l'attention de nos services de renseignement et de tous les spécialistes de la lutte contre le terrorisme ?
D'autant plus que j'entendais depuis un mois des personnes plus au fait que moi de ces sombres virtualités m'annoncer qu'on craignait durant la période de Noël l'investissement meurtrier de lieux où la foule est rassemblée, par exemple des grands magasins, ou des fusillades sur les terrasses des cafés. Entre ce qu'on pressentait et qui est tragiquement survenu, rien donc ne pouvait arrêter le cours fatal, ignoble ?
Mais qui sont-ils ?
Les tueurs appartenaient-ils à la catégorie de ces 571 djihadistes français partis en Syrie puis revenus dans notre pays ? Les assassins se trouvaient-ils en leur
sein ? Relevaient-ils de cette analyse selon laquelle "Pour les désespérés, l'islamisme radical est un produit excitant" (Le Monde) ?
Ils ont réussi leur coup, leurs crimes. On a peur. Tout ce qui était paisible, expression d'un art de vivre, va devenir angoisse et obsession du péril.
Mais qui sont-ils ? D'où viennent-ils ? Les a-t-on portés en nous comme une bombe à retardement qui n'attendait que le 13 novembre pour exploser ?
Dire que nous sommes en guerre ne résoudra rien. D'ailleurs une guerre qui serait étrange, opposant une malfaisance absolue à un adversaire trop longtemps passif. Le problème est simplement de savoir comment mener la lutte pour la remporter, en espérant que la France est encore persuadée dans ses tréfonds de pouvoir dominer ce qui cherche à l'abattre. Le terrorisme est-il la rançon abjecte d'une politique internationale qui pour l'essentiel n'est pas indigne de nos valeurs ou s'est-il sécrété comme un poison dans nos veines nationales ?
Mais qui sont-ils ?
De grâce qu'on n'insulte plus ceux qui, avant tous les autres, avaient compris ; qu'on ne les stigmatise pas davantage que les porteurs de mort dévoyant une religion à l'égard de laquelle on a de plus en plus de mal à demeurer tolérant.
Que personne, plus jamais, ne vienne justifier le terrorisme et Philippe Val, avec force, avait rappelé que cette compréhension était le début de la fin (France Inter).
Mais qui sont-ils ?
Le président et le gouvernement sont en train de se battre. Il faut leur faire confiance. On n'a pas le choix. Nicolas Sarkozy déclare que "l'Etat ne doit pas reculer et qu'il faut des inflexions majeures dans la politique de sécurité". Certes. Il va rencontrer François Hollande et on peut espérer une coïncidence bienfaisante entre ces deux lucidités alarmées par les massacres, accordées sur le constat à opérer et peut-être sur les mesures opératoires et drastiques à prendre pour aujourd'hui et demain.
Mais qui sont-ils ? J'ai hâte de savoir. Des "gens ordinaires à la kalachnikov" ou de la haine immédiatement et ostensiblement incarnée ?
On tremble, on se méfie. Pourtant il faut vivre, continuer, par notre quotidienneté, à défier les monstruosités.
J'aime le propos de ces deux amis sauvés miraculeusement du Bataclan : "Mais la vie continue, on ne cédera pas à la peur, on les emmerde" (Le Point).