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L’Alquila : Six ans de prison pour les sismologues, un verdict historique

Actualités du droit - Gilles Devers, 22/10/2012

Six ans de prison pour les sismologues qui, présents sur place six jours...

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Six ans de prison pour les sismologues qui, présents sur place six jours avant le tremblement de terre meurtrier, avaient rassuré les habitants sur le thème « Dormez tranquilles ». Un verdict incertain en appel, mais ce jugement, quoiqu’il en soit, va laisser des traces.

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Les faits  

En mars 2009, le secteur de L’Alquila, dans la région des Abruzzes, était marqué par de nombreux enregistrements d’une petite activité tellurique. De quoi s’inquiéter, car L'Aquila a été détruite à trois reprises par des tremblements de terre en 1349, 1461 et 1703. Aussi, avait été dépêchée sur place la commission italienne « des grands risques », qui regroupait six experts des tremblements de terre et le sous-directeur de la Protection civile.

Le 1 avril, après une analyse des données scientifiques et cette visite des lieux, les experts avait rendu un avis rassurant, invitant les habitants à dormir tranquille et à boire un bon coup pour se détendre. Le sous-directeur de la Protection civile, M. De Bernardinis, avait affirmé que l’activité sismique de la zone ne constituait « aucun danger ».

Mais le drame guettait. Six jours plus tard, le 6 avril, L’Alquila était frappé par un séisme causant 309 morts et un millier de blessés. Très vite, la responsabilité de ces experts avait été mise en cause, pour avoir donné ces informations rassurantes.

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Le jugement

Le tribunal a rendu son verdict ce 22 octobre.

Lors du procès, le procureur Fabio Picuti avait requis quatre ans de prison pour homicide par imprudence et la défense avait plaidé la relaxe.

Le parquet reprochait aux experts d’avoir donné des informations trop rassurantes à la population, alors que celle-ci aurait pu prendre des mesures pour se protéger. Le procureur avait dénoncé dans son réquisitoire « une analyse incomplète, inapte, inadaptée et coupablement trompeuse car en lisant le procès-verbal de la réunion, nous trouvons des informations banales, inutiles, auto-contradictoires et fallacieuses ».

Le tribunal est allé au-delà des réquisitions, prononçant contre les sept scientifiques une peine de six ans d’emprisonnement et l’interdiction définitive d’exercer tout emploi public. Sur le plan civil, ils sont condamnés à verser solidairement 9,1  millions d’euros de dommages-intérêts aux parties civiles et à rembourser les frais de justice. La faute étant d’imprudence, sans intention de nuire, les dommages intérêts devraient être pour les employeurs. Ce serait en tout cas la solution en droit français, solution pragmatique qui offre aux victimes une possibilité de paiement.

La défense a aussitôt annoncé un appel, appel qui est suspensif.

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Les réactions

Parmi les nombreuses réactions, j’en relève quatre.

Enzo Boschi, l’un des condamnés, ancien président de l’Institut national de géophysique et vulcanologie (INGV) : « Je suis découragé, désespéré. Je pensais être acquitté, je ne comprends toujours pas de quoi je suis accusé ».

Aldo Scimia, un habitant dont la mère est décédé lors du séisme : « On ne peut pas appeler ça une victoire. C’est une tragédie, de toute façon, ça ne ramènera pas nos proches. Je continue d’appeler ça un massacre commis par l’Etat, mais au moins nous espérons que nos enfants auront des vies plus sûres ».  

Charlotte Krawczyk, présidente du département de sismologie de l’Union européenne des Géosciences (GSU) : «Nous sommes profondément préoccupés, ce n’est pas juste la sismologie qui a été jugée, mais toute la science».

Stefano Gresta, actuel président de l’INGV : « Ce précédent est en mesure de conditionner de manière déterminante les rapports entre experts scientifiques et décideurs politiques, et pas seulement dans notre pays. Quel scientifique voudra exprimer son opinion sachant qu’il pourra finir en prison?»

 

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Quelques remarques

Des articles de presse publiés hier, il manque l’essentiel, à savoir la motivation du jugement. Je me garde aussi de toute appréciation sur le fond, mais ce jugement impose des observations de première importance.

1/ La justice italienne, un service public qui répond

Les faits datent du 6 avril 2009, et le tribunal se prononce le 22 octobre 2012. Dans les protestations de la défense, personne ne parle de procédure bâclée, et mon immense respect pour la justice italienne passe un degré de plus.

2/ La question n’est pas la prédiction, mais la sous-estimation des risques

Le ministère public avait expliqué qu'il n'attendait pas des scientifiques qu'ils fournissent des prévisions précises, mais il reprochait à la commission d'avoir fourni « des informations incomplètes, imprécises et contradictoires ». Or, selon l'avis de scientifiques cités par le procureur, les dizaines de secousses telluriques de faible ampleur enregistrées avant le séisme étaient la preuve d'une activité sismique sérieuse, pouvant être annonciatrice de tremblements de terre du type de celui survenu le 6 avril 2009.

Or, l’une des données était l’absence de protection des populations, car les habitations de ce vieux village ne répondant à aucune norme sismique, ce qui imposait une particulière prudence.

Pour la défense, il était impossible de prévoir le risque et le centre de l'Italie, fréquemment touché par des secousses telluriques d'importance mineure, connait ces annonces sans gravité de la protection civile. Plus de 5 000 membres de la communauté scientifique avaient publié une lettre ouverte dans laquelle ils affirmaient qu'il est impossible de prédire un tremblement de terre.

Pour le tribunal, ce qui a été expliqué lors du procès, l’impossibilité de prévoir, ne correspond pas à ce qui avait été dit sur place, l’annonce tranquille de l’absence de danger.

3/ Ce verdict va marquer tous les scientifiques

Ce jugement n’est pas la jurisprudence. L’affaire ira en appel, et manifestement en cassation, car on ne voit pas comment la cour d’appel pourrit rendre un arrêt donnant satisfaction au parquet et à toutes les parties. Il est possible que ce jugement soit anéanti, et que les scientifiques soient relaxés.

Mais un message est passé et il est d’une portée considérable : un scientifique, qui n’est pas acteur mais simple analyse, n’est pas à l’abri de poursuites judiciaires. Les réactions de la communauté scientifique montrent ce dur réveil.  

Au regard de la situation française, on mesure le séisme. La justice ne sait pas traiter ces grandes affaires, et tout le monde peut être sanctionné… sauf le scientifique. Si on parle de condamnation, on estime qu’à partir de six mois avec sursis, c’est une condamnation très sévère…  

Avec ses six ans fermes, et dans le cadre la prédiction sismique, ce jugement est pour le coup un tremblement de terre pour la communauté scientifique.

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Science sans conscience n'est que ruine de l'âme


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