Contre ce FN...
Justice au singulier - philippe.bilger, 30/05/2014
Il y a eu, comme un comble d'inadaptation, le discours bref et pourtant calamiteux du président de la République au soir du 26 mai. Il ne suffit pas de prononcer extrême droite d'un air dégoûté pour réduire son influence.
Comme il se doit dans notre étrange démocratie qui n'aime que les résultats électoraux qui ne la dérangent pas, on voit et on entend, après des élections européennes marquées par une considérable abstention, les opposants d'après l'action, les conseillers rétrospectifs, les inquisiteurs se trompant de cible, les intellectuels persuadés d'être encore des prescripteurs, des chanteurs avec moins de voix que de conscience à revendre : tous ceux qui considèrent que le Front national s'inscrit, certes, dans un cadre légal mais qu'il n'est pas légitime.
Le paradoxe est que cette récusation permanente demeure fidèle à elle-même alors qu'elle se rapporte, au fur et à mesure, à une part de plus en plus importante de citoyens, jeunes gens, salariés, ouvriers, militants de gauche et d'extrême gauche déçus, désorientés, trahis. Sur toutes les tonalités du clavier républicain, l'électeur qui en a essayé certaines, éprouvé d'autres, se dit en définitive qu'il pourrait tenter celle du Front national.
Dorénavant je refuse d'adopter si peu que ce soit une posture défensive, contrite ou frileuse qui consisterait à m'excuser de mes attaques contre les responsables d'un élitisme dévastateur, d'une incompréhension dangereuse et donc, à un niveau certes modeste, d'une montée honnie !
Que je sache, nous ne sommes pas en guerre et aussi déchirée que soit notre société à la suite d'initiatives socialistes passées ou menaçantes, on ne peut tout de même pas traiter ces Français qui, à 25%, ont apporté leurs suffrages au FN comme s'ils étaient des occupants au sein de leur propre pays, comme si le civisme exigeait qu'on fît la fine bouche devant ce qui d'abord est la conséquence d'un aveuglement arrogant.
A force d'avoir relégué le peuple, méprisé ses peurs et ses attentes parce qu'elles n'avaient pas la délicatesse républicaine mais suintaient la vulgarité de ceux qui se battent pour leur quotidien, de ceux qui ne donnent pas des leçons de morale mais les subissent, il s'est cabré, piqué au vif de ses plaies, en s'imposant en pleine lumière même si ce n'est pas celle élégante que souhaiteraient les puristes politiques, culturels ou médiatiques.
Chacun a évidemment le droit, où qu'il se trouve, quoi qu'il fasse, de participer au débat public, d'abord en allant voter quand notre démocratie lui offre cette chance. Il peut écrire, chanter, parler s'il le désire, une fois la défaite constatée, en ne surestimant pas son influence ni son rôle.
Mais comment ne pas se moquer d'un Benjamin Biolay qui met une chanson entre le FN et la République alors qu'on a pu le contempler ailleurs, dans des postures autrement plus ludiques, en compagnie amoureuse de Vanessa Paradis ? Son militantisme sonore non seulement ne servira à rien mais probablement apportera encore de l'eau au moulin du FN car y a-t-il quelque chose de plus détestable que les prestances confortables et privilégiées (lepoint.fr) ?
Yannick Noah, lui, se sentait "insulté...déchiré...et il avait honte" et en l'entendant, on avait presque l'impression que la France était en deuil de la République et que lui-même était habité par un incommensurable chagrin (BFMTV). Il aurait dû mieux mesurer le faible effet de ses réactions puisqu'il s'était, lui aussi, commis à chanter contre le FN et pouvait constater que son engagement vocal n'avait pas eu la moindre incidence sur les électeurs. Je lui suggère, sauf s'il accepte de s'abandonner au plaisir solitaire de la vitupération, d'abandonner l'envie de nous servir de guide. D'autant plus que je ne suis pas sûr que nous soyons prêts à octroyer une confiance totale à ce modèle en dépit de son bon classement dans les personnalités du JDD !
Il y a forcément, après de telles élections européennes, des manifestations et des mises en garde plus sérieuses, plus comminatoires.
Des syndicats de lycéens et d'étudiants ont défilé dans les rues de Paris et une certaine jeunesse - pour être méprisée, celle du FN n'est pas non plus résiduelle - a protesté contre le FN, le fascisme et ces dangers tellement fantasmés qu'ils n'ont pour but que de magnifier ceux qui crient les slogans et brandissent les pancartes. Je serais curieux de dénombrer parmi ces quelques milliers le chiffre de ceux qui sont allés voter le 25 mai.
Il y a aussi BHL qui dans son bloc-notes du Point a jeté son intelligence, sa passion et son intolérance de qualité dans la fournaise. Il n'est pas là pour apaiser ni pour faire réfléchir mais pour sonner frénétiquement le tocsin. C'est si fréquent et peu ou prou au sujet des mêmes thèmes que désirerait-on l'écouter, on n'aurait plus la patience ni l'endurance de supporter la répétition ! BHL n'est pas un intellectuel qui convainc. Il exaspère ou il éclabousse. Tellement prévisible qu'on l'attendait avec une certitude totale : une intelligence sans illusion sur son pouvoir au-delà de lui-même mais un justicier épris de sa propre cause.
Enfin, à nouveau, Jean Birnbaum plus préoccupé de combattre ceux qui ne partagent pas sa stratégie de diabolisation intellectuelle à l'encontre du FN que de s'en prendre directement à celui-ci ! Il a ainsi publié un éditorial imprégné de mauvaise foi pour faire - c'est une habitude chez lui - un mauvais procès à Pierre-André Taguieff accusé sans fard d'être favorable au FN. Alors que cet auteur respecté se contente de montrer les méfaits de l'antilepénisme ordinaire au détriment de la lutte nécessaire, cohérente et efficace contre le FN, ses mensonges et ses simplismes.
Si on tente de réunir ces séquences disparates, outre leur volonté commune de se faire passer pour des parangons de la véritable opposition idéologique une fois l'élection consommée, il y a un autre commun dénominateur : se montrer plus que démontrer, s'afficher plus qu'afficher, recueillir les suffrages plus qu'en soustraire, se pencher sur soi plus que sur la quotidienneté populaire, choisir l'éclat plus que le débat. Détester le FN en s'aimant d'abord soi.
Je suis résolument contre cet autre FN : le Front narcissique.