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De Gaulle le Petit !

Justice au singulier - philippe.bilger, 7/03/2013

Il serait scandaleux de leur part, dans un registre contradictoire, de ne pas tout faire pour assurer à Nicolas Sarkozy un repos bien mérité. La rue de Miromesnil n'est pas Colombey-les-Deux-Eglises.

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Qu'on se rassure : je ne fais pas référence à la taille de Nicolas Sarkozy, qui a été vulgairement, honteusement moquée.

Mais à sa dimension historique, à son profil politique. Protégé par l'ombre immense de Victor Hugo, j'ose ce titre.

Il est vrai qu'on oscille, avec les propos de l'ancien président rapportés par Valeurs actuelles, entre l'insupportable ou le ridicule.

D'abord je n'y ai pas cru mais ils étaient tellement imprégnés de vanité qu'on ne pouvait pas s'y tromper : c'étaient bien les siens.

"Il y aura malheureusement un moment où la question ne sera plus : "avez-vous envie ?" mais "avez-vous le choix ?"... Dans ce cas je ne pourrai pas continuer à me dire : je suis heureux, j'emmène ma fille à l'école et je fais des conférences partout dans le monde. Dans ce cas effectivement je serai obligé d'y aller. Pas par envie. Par devoir. Uniquement parce qu'il s'agit de la France... Je n'ai pas envie d'avoir affaire au monde politique qui me procure un ennui mortel... C'est un très mauvais sentiment que la revanche... donc franchement est-ce que j'ai envie de revenir ? Non." (nouvelobs.com, Le Monde, France 2).

Incidemment il se plaint de la manière dont il a été traité avec ses treize heures d'interrogatoire dans l'affaire Bettencourt et déplore - pour moi, c'est le seul passage comique - que son épouse ait été interdite de chant durant cinq ans. Alors que, sans vouloir être désobligeant, ce silence était plutôt une aubaine.

Mais face à l'enflure de ces réflexions, au contentement de soi qu'elles révèlent et à leur grotesque inadaptation à l'état de notre pays et de notre démocratie, on a le droit de s'interroger : la retraite dorée de Nicolas Sarkozy n'a-t-elle pas des effets dévastateurs sur sa lucidité ? La folie des grandeurs ne l'atteint-elle pas au moment où il les a perdues ? Est-il à ce point désorienté qu'il puisse spéculer, dans le cours ordinaire de notre République, sur un bouleversement qui rendrait nécessaire l'offrande de sa personne à la France ?

Je prie les gaullistes convaincus de me pardonner mais il me semble que le général de Gaulle est, au fond, responsable de cette dérive qui conduit de petits personnages, même s'ils ont été élus mais non réélus, à se croire porteurs à vie d'un destin national et à s'imaginer en permanence comme des sauveurs putatifs d'un Etat qui ne leur demande rien et se passera bien d'eux dans la suite des années. Parce que Charles de Gaulle, entre la gloire du libérateur et le retour de 1958, a vécu et enduré un long retrait de la vie publique, certain, lui à juste titre mais parce que c'était lui, qu'on aurait besoin de lui à nouveau un jour ou l'autre, il a mis dans la tête de plusieurs de nos gouvernants - Nicolas Sarkozy au premier chef - qu'il en était de même pour eux et que leur absence serait douloureusement assumée, forcément, par leurs concitoyens. Parce que de Gaulle habitait dans l'Histoire de France, Nicolas Sarkozy, au prétexte qu'il a été battu, se jugerait-il à son niveau et chercherait-il à nous convaincre que nous l'attendons avec une impatience vive que nous ignorons encore ? Aurait-il le front de laisser entendre que son sens de l'Etat, de la morale publique et personnelle a eu quoi que ce soit de comparable avec celui du fondateur de la Ve République ?

Le précipice entre ce syndrome gaullien et la réalité sarkozyste serait risible si cette irruption calculée de l'ancien président dans le débat public, sur un mode mi-ouvert mi-discret, ne risquait d'avoir de graves conséquences qu'on pourrait résumer ainsi. Nicolas Sarkozy, au bout de son quinquennat, a fait perdre la droite, il l'a même détruite, et il s'apprête apparemment à l'empêcher de se renouveler pour que 2017 la voie à nouveau mordre la poussière républicaine.

La défaite d'hier et la déconfiture de demain : il n'est pas tolérable que qui que ce soit, dans son camp, prenne une relève victorieuse. Après lui, plutôt le déluge qu'une recomposition qui le maintiendrait dans un statut qu'il déteste : celui de l'acteur réduit à l'impuissance parce qu'enfin le discrédit le sanctionne et que son parti n'est plus fasciné par une incoercible appétence pour l'échec mêlée à une fidélité absurde et suicidaire.

Heureusement, alors qu'au mois de mai, un an de la présidence de François Hollande se sera écoulé et que l'UMP, les municipales ont fait surgir, au milieu d'agitations insensées et dévastatrices, des ambitions, des désirs de renouveau et des espérances répudiant à mots de moins en moins couverts le passé, on ne va plus parvenir à faire accepter n'importe quoi à ses partisans trop longtemps conditionnés.

Alain Juppé réplique à cette médiocre imitation gaulliste - quatre ans à l'avance ! - que cette priorité n'est pas à l'ordre du jour, que ce débat est prématuré. Jean-Pierre Raffarin souligne que "rien ne presse". François Fillon, pour sa part, maintient son cap et indique que pour 2017, on ne veut pas d'un casting mais d'une primaire.

Le pouvoir, toutefois, aurait tort de se gausser de cette provocation verbale de Nicolas Sarkozy. Même si celui-ci, jouant, souhaitant presque la politique du pire, exacerbe une situation nationale déjà difficile sur tous les plans, les réactions, de ce fait, se doivent d'être à la hauteur de l'enjeu. Le Premier ministre, dénonçant à cette occasion et à nouveau le bilan, prend au sérieux cet épisode tandis que Najat Vallaud-Belkacem, avec une ironie mal placée sur le contrat de génération, se retrouve encore déphasée. Sa communication est clairement imparfaite.

Pour éviter à Nicolas Sarkozy d'avoir à se sacrifier pour nous, pour ne pas le contraindre à boire une nouvelle fois le calice présidentiel, pour lui épargner de ne pas satisfaire son envie profonde qui est, paraît-il, d'abandonner la politique "qui l'ennuie", on ne peut compter que sur deux personnalités.

François Fillon d'abord. Qu'il prenne garde de dissuader Nicolas Sarkozy avant la primaire de 2016 parce que, sinon, je crains fort que l'axe mobilisé et très actif Sarkozy-Copé fasse de cette dernière un nid à pièges dont le grand perdant ne pourra être que l'ancien Premier ministre. Aussi, pour que ce dernier représente une véritable et nouvelle alternative - il a raison d'insister sur ce plan -, il conviendra qu'il enrichisse sa maîtrise de soi avec de l'enthousiasme et justifie enfin une adhésion que beaucoup, en dépit de certaines déceptions tactiques, continuent à lui manifester.

Et François Hollande, évidemment. Si le socialisme continue à ce rythme "pépère" - ce serait le surnom du président à l'Elysée -, engendrant autant de contestations que s'il était demeuré pur et dur mais ne gagnant rien sur sa droite parce que les déçus du sarkozysme ont été oubliés, il ne représentera pas un barrage contre l'éventuel retour de de Gaulle le Petit (Le Canard enchaîné).

Il serait scandaleux de leur part, dans un registre contradictoire, de ne pas tout faire pour assurer à Nicolas Sarkozy un repos bien mérité.

La rue de Miromesnil n'est pas Colombey-les-Deux-Eglises.


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