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« Quand je les défends, je les aime »

Chroniques judiciaires - prdchroniques, 31/07/2012

A ce qui paraît, tout le monde ne lit pas le Monde Magazine, ce qui me donne une première raison de republier ici un portrait consacré à l'avocat pénaliste Jean-Yves Liénard. La seconde raison est de faire partager la très … Continuer la lecture

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Me Jean-Yves Liénard ©Frédéric Stucin

A ce qui paraît, tout le monde ne lit pas le Monde Magazine, ce qui me donne une première raison de republier ici un portrait consacré à l'avocat pénaliste Jean-Yves Liénard.

La seconde raison est de faire partager la très belle photo de Frédéric Stucin.

Et la troisième est de raconter, en bonus, une histoire qui ne rentrait pas "dans l'angle" du dossier consacré aux anciens et aux nouveaux caïds  et à ceux qui les défendent, mais qui représente un moment important de sa vie d'avocat.

C'était en 1996, à la veille de Noël. Une jeune femme s'est présentée au cabinet de Me Liénard avec un fardeau trop lourd à porter pour ses 21 ans. Elle lui a raconté  que deux ans plus tôt, elle avait accouché seule, dans son appartement à Millau, d'une petite fille dont elle avait caché la venue à son entourage, de peur que la famille portugaise de son compagnon, hostile à leur liaison, n'en prenne ombrage. Dès les premières contractions, son ami s'était absenté. Il était revenu quelques heures plus tard, avait joué un peu avec l'enfant, puis il les avait emmenés en voiture. Ils avaient roulé un peu dans la nuit avant de s'arrêter. Son compagnon avait sorti une pelle du coffre, creusé et enterré le bébé.

« Elle m'a dit : “Je veux que l'on me juge. Je veux que le bébé que j'ai mis au monde existe et qu'il figure sur un livret de famille”", raconte Me Liénard. Il lui a expliqué toutes les conséquences judiciaires de ses déclarations. Une enquête de police, une instruction par un juge et au bout, un renvoi devant une cour d'assises pour assassinat et complicité d'assassinat. Il lui a demandé de réfléchir un peu et de revenir la voir, cinq jours plus tard. Elle est revenue, avec son sac. 

Et Jean-Yves Liénard, à sa demande, a appelé la police pour qu'elle vienne l'arrêter.

Son compagnon et elle ont été placés en détention et leur procès s'est ouvert, deux ans plus tard, devant la cour d'assises de l'Aveyron, à Rodez. L'avocat général a requis 18 ans contre son compagnon pour assassinat et 5 ans contre elle, pour complicité. Au terme de deux jours de procès, la cour et les jurés ont condamné le père et acquitté la mère.

Et pour ceux qui veulent en savoir plus sur ce grand pénaliste, son portrait est ici:

Ce soir-là, il a rejoint un peu tard sa villa de Versailles où son épouse l'attendait. Comme d'habitude, il n'a pas fermé à clé la porte d'entrée. Les enfants, des triplés alors âgés d'une dizaine d'années, dormaient à l'étage, pas très loin de l'employée de maison. Il était environ quatre heures du matin lorsque quatre hommes cagoulés, équipés de kalachnikovs, ont pénétré dans la chambre à coucher en poussant devant eux les enfants et leur nounou terrorisés. L'un des agresseurs a posé son arme sur la tempe de son épouse et l'a entraînée un peu plus loin. Jean-Yves Liénard a tenté de parlementer, on l'a menacé de lui couper les doigts avec un sécateur s'il ne donnait pas tout de suite de l'argent et des bijoux. Il a donné. Ils sont partis en s'excusant. Les questions sont restées.

« Pendant les vingt-quatre heures qui ont suivi, je me suis senti capable du pire », raconte Jean-Yves Liénard. Que faire ? Il est déjà à cette époque l'un des avocats pénalistes les plus réputés du barreau de Versailles et bien au-delà. Son épouse exerce alors le même métier que lui. Sa clientèle compte bon nombre de figures du milieu : Michel Gabarres, « le roi des gitans », qu'il défend depuis près de vingt ans, le clan des frères Hornec, Bernard Barresi, considéré comme l'un des grands parrains marseillais, Richard Casanova, qui est alors l'un des piliers du gang corse de la Brise de mer - il est mort assassiné à Porto-Vecchio en avril 2008 - et tout le gibier ordinaire des cours d'assises de Paris et de sa grande banlieue.

Filer au commissariat pour porter plainte ? Il a imaginé les policiers, trop contents de voir l'« avocat des voyous » basculer soudain dans le camp des victimes, écumant pour les besoins de l'enquête la liste des clients de son cabinet et multipliant les perquisitions, le procureur de la République - son adversaire professionnel - faisant du zèle dans l'accusation, la presse s'en mêlant, la nouvelle se répandant dans les prisons. La décision s'est imposée : « Je n'avais rien à gagner à une plainte mais beaucoup à y perdre. » Quelques jours plus tard, Jean-Yves Liénard enfilait sa robe d'avocat et rejoignait son ami et confrère Eric Dupond-Moretti pour assurer la défense d'une équipe de « saucissonneurs » devant la cour d'assises. « Evidemment, quand le couple victime a raconté l'agression, j'ai vécu un étrange moment... », dit-il.

Avant, c'était il y a très longtemps, Jean-Yves Liénard chaussait les pieds des dames. Son seul diplôme était un BEPC qu'il dit avoir eu « en trichant ». Au bout de sept ans, « parce que la mode des minijupes était passée chez les filles » et qu'il commençait sérieusement à s'ennuyer dans le commerce, il a décidé de reprendre des études. La réussite d'un examen d'équivalence au baccalauréat lui ouvre les portes de la faculté de droit, il choisit le métier d'avocat, s'inscrit au barreau de Versailles en 1974, remporte le concours d'éloquence, devient premier secrétaire de la conférence et pose très vite sa plaque. Les avocats pénalistes sont rares, les commissions d'office très nombreuses, il plaide à tour de bras - une cinquantaine de procès d'assises par an, une dizaine d'audiences correctionnelles par mois -, obtient de bons résultats, l'aisance financière suit.

Dans les prisons, on se repasse son nom. « La prison, c'est vraiment le classement ATP des pénalistes. Pendant des années, j'étais désigné quasi à 100 % de l'intérieur des prisons. Aujourd'hui, c'est 10 %. » Sa réputation d'excellent pénaliste ne tarde pas à lui apporter aussi une poignée de clients célèbres, comme Bernard Tapie ou Gérard Depardieu, qui lui est fidèle depuis des années.

Par « coquetterie » dit-il, il n'accepte pas de dossier de partie civile. « Je pense que la défense est un engagement. Je ne me vois pas, devant le même président de cour d'assises, défendre un jour un homme accusé de viol et revenir le lendemain plaider pour une victime en hurlant que ce qu'elle a vécu est terrible et qu'elle ne s'en remettra jamais. C'est une question de cohérence et de crédibilité. L'avocat doit gagner son crédit, notamment face aux magistrats », explique Me Liénard.

Avec ses clients, il entretient des rapports distants : « Je ne les aime pas la veille, je ne les aime pas le lendemain, mais pendant le temps où je les défends, je les aime. » Ils ne sont qu'une poignée à échapper à la règle. Richard Casanova était l'un d'eux. « Lui, il m'a marqué à vie. C'était un type brillant, avec une immense joie et une soif de vivre, un vrai charisme, une grande générosité et... un casier judiciaire vierge ! »

Jean-Yves Liénard tient surtout à imposer sa ligne de défense. On l'a vu plusieurs fois dans des dossiers d'assises accablants pour l'accusé user d'un savant mélange de rouerie et de profondeur pour prendre de la distance avec les dénégations de son client - sans toujours l'en avoir informé avant - et lui arracher au bout du compte une peine moins lourde que celle qui le menaçait. Jean-Michel Bissonnet, ce notable de Montpellier accusé d'avoir commandité le meurtre de sa épouse, en sait quelque chose.

« Je ne laisse personne d'autre que moi fixer les règles. J'en suis donc comptable mais, là encore, c'est une question de crédit et souvent d'efficacité face aux juges et aux jurés. » Une « mise en danger personnelle » qui est le prix de sa liberté d'avocat. « Les soirs de Waterloo, il ne faut pas montrer qu'on a mal... », glisse-t-il avant d'effacer d'une pirouette ce court instant de gravité.

Sur son métier, il porte le regard sans tabou de celui qui n'a pas besoin de le mythifier pour l'aimer. Il en connaît les grandeurs et n'ignore rien de ses petitesses. Au fil de sa longue expérience, il a vu changer le milieu et évoluer les relations entre certains clients et leur avocat. « Les anciens voyous avaient une culture de la défense. Aujourd'hui, il y a une culture du résultat. Elle vaut pour le médecin, pour le prof et pour l'avocat. Il y a moins de confiance. Si le résultat n'est pas bon, on est perçu comme un traître. On nous demande des comptes, la pression est souvent maximale, on travaille avec la fourche dans le dos. Des fois, on prie pour que le client nous vire ! »

Les menaces de rétorsion sont parfois pesantes. « "Là, j'ai pris deux ans, va falloir faire un petit effort en appel, hein, maître ?" Tous les pénalistes connaissent ça. C'est franchement désagréable, vous savez, on n'est pas des héros... »

A 70 ans, Jean-Yves Liénard jure qu'il se « prépare à tourner la page » parce qu'il n'a pas envie de « jouer les vieux chanteurs » et aussi parce qu'il aime par-dessus tout le piano, les livres, ses chats et la pêche au gardon. Il y a quelques mois, son épouse Catherine a tiré un trait sur vingt-cinq ans de barreau pour entrer dans la magistrature. Elle est devenue... vice-procureure.

 

 

 


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