Un code pénal pour les enfants et les adolescents pour quoi faire ? (591)
Planète Juridique - admin, 21/12/2014
L’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante est donc bien vouée à ne pas aller au-delà de sa septième décennie. La ministre de la justice diffuse depuis peu le texte d’un projet de loi appelé à se substituer en totalité à ce texte emblématique dont la fin a été mille fois annoncée, mais qui tel le canard de Robert Lamoureux a survécu à 34 opérations importantes et quelques dizaines de visites législatives, L’ordonnance née d’une mère aujourd’hui centenaire – la loi de juillet 1912 – et de deux pères - Pétain en 1942 et de Gaulle en 1945 - est vouée à une réfection complète.
Le bébé sera présenté à ses parrains et futurs utilisateurs – 1200 invités - le 2 février prochain lors d’un grand forum organisé à la Mutualité.
Que penser de cette démarche ? Comme le veut l’exercice d’une lecture critique, on peut paraître sévère, trop sévère, voire injuste. On ne peut pas pourtant y échapper quitte à veiller pas au passage à souligner les avancées évidentes. Je m’y livre d’autant plus aisément que sans connaître le texte on pouvait anticiper sur ses limites dans tous les sens du terme (voir notamment le billet 589).
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Il faut déjà observer que la ministre aura tenu sa promesse de présenter un texte en 2015. Dont acte quand on fustige si souvent le politiques de ne pas tenir parole. Reste à voir comment ce projet de projet sera reçu par l’opinion, par les politiques et déjà par les professionnels.
L’exposé de motifs est très clair : il ne s’agit pas de révolutionner le droit pénal des mineurs. Le cadre est en effet dressé pour un bon bout de temps par les engagements internationaux de la France, mais aussi par la décision de 2002 du Conseil constitutionnel qui a élevé au niveau de grands principes fondamentaux les poutres maitresses de notre droit pénale des enfants : des juridictions spécialisées, la priorité éducative qui n’interdit pas les peines et l’atténuation de responsabilité.
C’est donc autour de ces axes que le nouveau texte est écrit. Il s’agit alors fondamentalement d’une écriture qui entend donner plus de lisibilité aux dispositions adoptées au fil du temps - seuls 7 articles de l'ordonnance sont d’origine – et moderniser la terminologie.
On n’est donc pas déçu du voyage : le produit n’est pas révolutionnaire !
On est même surpris par sa prudence idéologique.
La prudence gouvernementale se repère dès les premières phrases de l’exposé des motifs. Enonçant la nécessité de prendre en compte le statut des enfants impossibles de parler de leurs responsabilités sans parler des droits des enfants dont elles découlent. Las, les mots « droits de l’enfant » brulent le clavier du rédacteur ministériel! Ne nous a-t-on a dit un jour que la PJJ n'était pas là pour parler des droit des enfants quand Justement nous affirmions le contraire dans notre rapport de janvier 2014 sur "De nouveaux droits pour les enfants? Oui, dans l'intérêt des adultes et de la société « le mot droit de l’enfant fait peur. Le ministère de la justice craint le procès en laxisme. On se contentera donc d’une référence à la Convention internationale des droits de l’enfant.
De même si on ne veut plus viser le terme « mineur » trop identifié au sarkosysme, on accole la référence à l’adolescence à celle des enfants quand dans l’ordre international les choses sont claires : l’enfant est la personne de moins de 18 ans ; l’adolescence n’est pas un concept juridique.
Plus fondamentalement quand nous appelions avec Claude Goasguen à un code de l’enfance et que la Garde des sceaux s’était engagée à le mettre en chantier nous n’avons qu'une loi sur la justice des enfants et des adolescents. Pire, comme pour le projet Varinard proposé à Mme Dati en 2008 l’enjeu – conf le titre de la loi - est bien la justice et non les jeunes ! L’exposé des motifs en décalque du texte de M. Varinard ne cache pas qu’il il s’agit de s’occuper des auteurs, des victimes et de la société.
Et puis si l’enfant – comme la femme - est l'avenir de l'homme et de la société, on aurait aimé qu’il soit aussi affirmé qu’il en était ici et maintenant membre. Assez de cette approche instrumentalisée.
Voilà pour les hors d’oeuvre. Passons au plat de résistance.
Ceux qui au regard des critiques portées à la rédaction actuelle s’attendaient à des règles du jeu tenant sur quelques pages et dégageant les grandes lignes procédurales en seront pour leurs frais. Le projet pèse quelques 60 pages. Comment pouvait-il en être autrement ?
Ce texte doit alors être lu en pleins et en creux.
Côté creux on n’y retrouve pas le tribunal correctionnel pour mineurs, mesure emblématique de l’attaque sarkozyste introduite en 2011 contre une justice dédiée aux moins de 18 ans, spécialement aux 16-18 ans. On se souvient que ne parvenant pas à abaisser la majorité pénale de 18 à 16 ans le gouvernement n’avait eu de cesse de 2002 à 2012 que de vider ce statut de son contenu. La façade était conservée, mais on faisait tout pour juger ces jeunes comme des adultes. D’où les deux lois de 2007 visant à élargir les conditions de retrait de l’excuse de minorité qui veut qu’à acte égal la peine encourue par un mineur soit de moitié moindre à celle encourue par un adulte. Combiné avec le jeu des peines plancher et l‘introduction du flagrant délit pour les mineurs - la procédure de présentation immédiate - , on avait bien avancé dans la déconstruction du statut pénal des 16-18 ans.
Comme s’y était engagé François Hollande la promesse de la suppression du Tribunal correctionnel pour mineurs - TCM -, institution chronophage qui n’a même pas tenu son objectif politique – accentuer la répression contre les jeunes – disparaît. On s’en réjouira. Combiné avec la loi du 10 août 2014 qui a supprimé le dispositif des peines-plancher et est revenu à une rédaction plus stricte des conditions de retrait de l’excuse atténuante de minorité, on trouve dans la réforme Taubira ce qu’on y attendait.
En revanche, force est de constater que la prudence l’a emporté pour fixer un âge sous lequel un enfant ne peut pas être tenu pour délinquant. La convention internationale impose (art. 37 et 40) de fixer un seuil d’âge. On hésitait entre 12 , 13 ou 14 ans. Finalement on en restera à l’appréciation des magistrats qui estiment généralement que c’est à 7-8 ans qu'un enfant est conscient de commettre un délit même s’il mesure pas toujours les effets dommageables de son comportement. On ne changera rien. Il aurait fallu s’accorder avec les conseils généraux sur les conditions de prise en charge de ces enfants qui commettraient des faits qualifiés délits mais ne pourraient plus être poursuivis en justice et donc bénéficier de mesures éducatives pénales (1). L'état des finances publiques locales ne permettait pas d’engager ce débat quand déjà la délicate question des frais occasionnés par la prise en charge des enfants étrangers isolés est une source de confit quotidien entre Etats et conseils généraux.
L’originalité fondamentale du nouveau dispositif est bien de rendre obligatoire la césure du procès pénal qui veut que dans un premier temps on mette en examen, puis plus tard on se prononce sur la culpabilisé et enfin on se prononce définitivement sur les mesures éducatives ou la peine. Ce qui était facultatif devient obligatoire avec le souci de déboucher sur une décision définitive dans les meilleurs délais, spécialement autour d’un an. A y regarder de près c‘est un dispositif très complexe qui est mis en place. On peut s’inquiéter de sa rigidité quand le droit pénal des enfants veut de pouvoir faire du sur-mesure. Réagir vite à un acte de délinquance est nécessaire, mais il faut donner du temps au travail éducatif de se développer et aux victimes de se réparer à défendre leurs droits.
Reste fondamentalement à se demander en quoi ce dispositif très formel garantira mieux que par le passé que toute mesure éducative sera non seulement prise en charge, mais bien prise en charge. Le qualitatif ne relève pas de la loi et on souhaitera savoir si dans l’avenir la PJJ entend s’organiser pour améliorer son fonctionnement quand il est évident qu’elle n’est plus en état et de longue date d’assurer l’accueil des jeune vraiment en situation de délinquance. Ce ne sont pas les personnes qui sont en cause, mais le mode de gestion de la mission qui veut que les intérêts des professionnels l’emportent sur les exigences du service public (équipes stables, de haut niveau, autour d'un projet solide) (2). La loi ne pouvait pas aborder cette question délicate mais on ne pourra pas l’éluder sauf à se payer de mots. (3)
Comme on ne pourra pas éluder que l’enjeu est déjà que les mesures soient mises en œuvre quand récemment encore il fallait 40 jours pour qu’une mesure décidée par un juge soit engagée. Et là force est de constater une singulière et inadmissible régression dans le texte qui nous est avancé!
Quand l’article 12-3 de l’ordonnance de 1945 issue de la loi décriée de 2011 voulait qu’à compter du 1er janvier 2014 un rendez vous soit donné dans les 5 jours au jeune et à ses parents par le service éducatif mandaté par le juge afin que la mesure s’enclenche, le nouveau texte ( art. 700-1) étend ce délai à 15 jours. Comment ne pas y voir le signal que nous craignons de recevoir à savoir que la PJJ est incapable en l’état de gérer les urgences. Moins de 12 mois après l’entrée en vigueur de cette disposition on doit y voir un aveu d’échec.
En 15 jours le jeune a mille occasions de réitérer. Admettrait-on un rendez vous à 15 jours pour une crise dentaire ou de santé aigue ! Inadmissible. L’administration pénitentiaire assume le jour même les mesures qui lui sont confiées. La régression est ici majeure et démontre qu’on risque de se payer de mots si les vrais problèmes auxquels est confrontée la justice ne sont pas réglés. J’affirme qu’ils ne sont pas juridiques.
On touche là au fond du débat, mais en régressant.
Pour le reste ce nouveau texte est effectivement plus clair à lire quoiqu'on y retrouve les principaux termes de l’ordonnance actuelle.
Certes on revient à la dualité originelle entre les mesures éducatives et les sanctions en supprimant le concept de sanction éducative introduit en 2002 et qui n’avait pas pris (4) ; certes encore on substitue comme prévu le mot admonestation par celui d’avertissement solennel. Mais il n’échappe pas pourtant à l’obscurité en succombant à un langage technocratique. On peut alors douter que parle aux jeunes, à leur parents ou à l’opinion qui restera perplexe devant la Mesure éducative personnalisée (MEP) prononcée pour le temps de la césure ou la Mesure unique personnalisé (MUP) possible au moment du jugement. Bravo la lisibilité ! La liberté surveillée préjudicielle et la liberté surveillée parlaient plus aux justiciables, aux médias et aux politiques !
A défaut d’inscrire cette réécriture de notre pénal des enfants aurait eu plus de sens si dans un code de l’enfance où elle aurait eu plus de sens il faudra bien nous démontrer la cohérence entre cette reforme et les deux propositions de lois « sur l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant » et « la protection de l’enfance et l’adoption » en cours d’examen par le parlement. De quels adultes parle-t-on quand en entonne l’hymne aux responsabilités parentales ?
Quid de la politique de prévention de la primo délinquance ?
Au final, ce projet contient des avancées techniques indéniables (ex. l’extension du contrôle judiciaire aux 13-16 ans en matière délictuelle quand de 2002 à 2012 on a mis en place une usine à gaz), mais son systématisme alourdit la procédure, mais l’essentiel est ailleurs et il n’y est pas répondu : améliorer encore et encore les réponses éducatives apportées aux jeunes délinquants par une meilleure prose en charge éducative sans et par-delà les professionnels.
Il est techniquement perfectible, mais plus que jamais on doit affirmer que la priorité n’est peut être pas dans le changement de la loi, mais déjà dans la mise en œuvre de la loi par des opérateurs publics et privés dument identifiés et intervenant réellement relayés par une mobilisation de la société civile.
Le débat difficile avec l’opinion qui doit savoir que la délinquance juvenile baisse depuis 2000, même si elle reste préoccupante, mais qui doit aussi être rassurée sur l’efficacité de la justice – le problème est d’abord policier (5) et éducatif – ne doit pas empêcher les professionnels d’avancer des critiques et des préconisations pour améliorer encore notre dispositif.
La course d’obstacles ne fait que commencer pour ce texte : le premier accueil des bonnes ou mauvaises fées qui se pencheront sur le berceau dans les semaines à venir dans une ambiance préélectorale ; la décision politique du gouvernement de faire officiellement sien le texte, la programmation au parlement et le débat parlementaire qui exigera rigueur et sens du bien commun et au final – une paille - la décision du Conseil constitutionnel qui ne supporte pas que le même juge instruise, renvoie devant un tribunal, juge et suive l’exécution de ses décisions comme JAP.
Un bien beau débat en tout état de cause pour un texte utile, mais insuffisant au regard de l’objectif politique : faire leur place dans la société ici et maintenant aux enfants en conflit avec la loi. Et une fois de plus : dans l’intérêt de la société.
- Le texte issu de la commission Varinard prévoyait qu’on ne pourrait pas tenir un enfant pour délinquant avant 13 ans mais qu’on pourrait le condamner à es dommages et intérêts et… à des sanctions pénales éducatives
- Les CEF sont essentiellement gérés par le secteur associatif habilité et pas par le secteur public de la PJJ
- Voir le rapport du sénateur JP Michel, « Une PJJ au service des enfants », décembre 2013
- La commission Varinard prenait acte elle-même de l‘échec de l’innovation de 2002 et proposait d’y revenir
- Le taux de réponse de la justice est de 94% pour les mineurs mais le taux de résolution des affaires de la police plafonne à 30% !