Dégager Pigasse, c’est maintenant !
Actualités du droit - Gilles Devers, 1/09/2012
Les copains dans la lumière ! Il aura fallu moins de quatre mois : Hollande confie à Pigasse, le patron de la Banque Lazard, soutien omniprésent du PS, de diriger le projet de la Banque publique d’investissement. Un conflit d’intérêts gros comme le bras d’un géant.
Qu’est qu’un conflit d’intérêts ?
Il n’existe pas de définition juridique, et Sarko, par le décret n° 2010-1072 du 10 septembre 2010, avait confié à un groupe de trois personnes particulièrement avisées – Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, et Jean-Claude Magendie, premier président honoraire de la cour d'appel de Paris – d'étudier l'affaire. Le rapport fait 120 pages, et je ne me risque pas à en faire la synthèse. Mais les trois rapporteurs ont proposé une définition générale, et la voici :
« Un conflit d’intérêts est une situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une personne qui concourt à l’exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions.
« Au sens et pour l’application du précédent alinéa, l’intérêt privé d’une personne concourant à l’exercice d’une mission de service public s’entend d’un avantage pour elle-même, sa famille, ses proches ou des personnes ou organisations avec lesquelles elle entretient ou a entretenu des relations d'affaires ou professionnelles significatives, ou avec lesquelles elle est directement liée par des participations ou des obligations financières ou civiles ».
Résumons. Le conflit commence avec la simple « situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé », si cet intérêt privé est de nature à « paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ».
Qu’est ce que la Banque publique d’investissement ?
On n'en sait rien, à part que c'était l’engagement n°1 de François Hollande, rien que çà.
« Je créerai une Banque publique d’investissement. À travers ses fonds régionaux, je favoriserai le développement des PME, le soutien aux filières d’avenir et la conversion écologique et énergétique de l’industrie. Je permettrai aux régions, pivots de l’animation économique, de prendre des participations dans les entreprises stratégiques pour le développement local et la compétitivité de la France. Une partie des financements sera orientée vers l’économie sociale et solidaire ».
Que comprendre ? Quand les banques privées ne voudront pas soutenir un projet de PME, la PME pourra se faire financer sur des fonds publics. Le reste de la proposition concerne l’implication des régions dans le business des PME, ce qui est débile et illégal, mais bon, c'est un autre sujet.
Voici donc toute l’affaire : « Je créerai une Banque publique d’investissement ». Que l'Etat apporte une garantie pour des projets innovants, c’est de toujours avec les Fonds spécifiques d’investissement et OSEO, une entreprise publique. Alors, qu’apportera cette « Banque publique d’investissement », Hollande n’en savait rien. L’idée lui avait été soufflée par le banquier idolâtré de la Gauche, Mathieu Pigasse.
Vous ne connaissez pas Pigasse ?
Pigasse est un ancien de l’ENA, devenu haut fonctionnaire à Bercy, jouant le lobby de la Gauche à fond, pour se retrouver aux cabinets des légendes vivantes du socialisme, DSK puis Fabius. Après l’élection de Chirac, il est parti faire du fric dans le privé, recruté par la Banque Lazard, une institution désintéressée et animée par de hautes valeurs morales.
A côté de son business courant, il se passionne pour la presse, ce qui est son droit le plus strict. Il a été aux avant postes pour vendre Libé à Edouard de Rotschild. En 2009, il achète les Inrocks et en devient le boss. En 2010, il s’allie à Pierre Bergé et Xavier Niel pour prendre le contrôle du Monde. On le trouve aussi avec les patrons de presse de Droite, que ce soit Lagardère ou Murdoch. Encore une fois, c’est sa vie de banquier d’affaires.
Mais il se trouve aussi que ce banquier s’est intéressé à la PME « Le Parti Socialiste ». Il est membre de plusieurs groupes de réflexion et administrateur de la Fondation Jean Jaurès. En 2007, il soutenait Ségo, en 2009 DSK et en 2012 Hollande, un œcuménisme qui finit de rendre le personnage sympathique. En juillet, il a recruté, pour diriger la rédaction des Inrocks, Audrey Pulvar, compagne du « ministre » Montebourg, de Bercy. Bercy qui le choisit aujourd'hui.
Alors, pourquoi cette Banque publique d’investissement revient-elle à Pigasse ?
En lisant l’histoire, on a compris… Cette banque, c’est une proposition de Pigasse. Hollande en a fait son engagement n°1, et aujourd’hui, il appelle Pigasse en urgence pour mettre en œuvre ce projet qui a un joli nom, mais un contenu mystérieux compte tenu de ce qui existe déjà, et des contraintes législatives qui interdisent d'assimiler l’argent de nos impôts à celui du business.
Bercy et Matignon ne manquent pas de très hauts fonctionnaires, aux compétences acérées, et connaissant parfaitement les contraintes du secteur… notamment via leur expérience des Fonds spécifiques d’investissement ou d’OSEO. Mais les sondages sont en chute libre, et il faut faire vite.
Ainsi, ce pouvoir politique qui contrôle la présidence de la République, tous les ministères, l’Assemblée Nationale et le Sénat n’a pas d’autre solution que lancer un appel d’offres. Et qui gagne l’appel d’offre ? C’est l’ami Pigasse. Ah, ah, ah…
Un conflit d’intérêts gros comme le bras d’un géant
Là, il faut revenir à la définition que donne le rapport Sauvé : le conflit commence avec la simple « situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé », si cet intérêt privé est de nature à « paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ».
Quand la PME Parti Socialiste se fait écrire son programme économique par un banquier, ça ne pose aucun problème (juridiquement parlant).
Le banquier en cause, animé par sa ferveur, aurait pu démissionner de ses fonctions et mettre ses actions en vente, pour rejoindre le cabinet du ministre, retrouvant la place occupée sous DSK.
Mais le mec veut tout garder, et là ça ne va plus, car il ne s’agit plus de la gargote du PS, mais du fonctionnement de l’Etat.
Pigasse est évidemment dans une « situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé », et cet intérêt privé est de nature à « paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ».
Donc, soit il renonce, soit le leader minimo se fâche, et le vire. En fait, le leader minimo va minimiser et louvoyer, pour voir si la polémique se calme… Ce que tout le monde aura déjà compris, c’est que pour sa bataille contre les puissances de l’argent, il se fait conseiller par les puissances de l’argent. C'est rigolo, non ?