Actions sur le document

Je fuis l'ennui comme Audrey Fleurot...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 20/12/2018

Je préfère avoir l'ennui pour ennemi que d'accepter le long fleuve tranquille du temps. Une mort avant l'heure.

Lire l'article...

On a certains jours des soucis dans la tête, on doit écrire un billet sur son blog pour respecter un rythme mais on a du mal à trouver un sujet parce qu'on pense à autre chose.

Quand le nez en l'air, miraculeusement, sans que rien ne le laisse prévoir et qu'en général on ne les lit jamais, des affichettes publicitaires attirent votre attention et notamment l'une concernant Psychologies qui met en évidence Audrey Fleurot avec cette affirmation de sa part : "Je fuis l'ennui autant que j'ai peur d'ennuyer".

Http _o.aolcdn.com_hss_storage_midas_3cba234e9e5f51b45fa9876b06b73dda_206395626_french-actress-audrey-fleurot-poses-during-a-photocall-for-safe-in-picture-id944709948

Immédiatement j'ai ressenti une familiarité avec cette double constatation qui exprimait remarquablement ce que depuis trop longtemps je vivais dans la quotidienneté, en société ou ailleurs, dans les débats médiatiques ou les colloques de toutes sortes.

En effet une telle détestation de l'ennui que le vif perdait rapidement de sa saveur, de sa fraîcheur.

Des moments initialement heureux se dégradaient parce qu'ils s'étiolaient, perdaient de leur substance, se nourrissaient de leur capital d'origine mais en se répétant, en ressassant.

Des débats où l'un ou l'autre des invités nous imposait un interminable propos dont on avait compris d'emblée l'essentiel mais qui s'étalait, se répandait. Sans que l'accablement des auditeurs, l'ennui distingué que je cherchais à masquer soient un frein à la profusion, à la surabondance.

Combien de fois, dans l'existence, des instants magiques se banalisent parce qu'ils ne savent pas s'arrêter au sommet de leur éclat et que, contrairement à ces très grands films qui cultivent une tension et une densité extrêmes, ils s'accommodent de redites et de langueurs qui font bâiller.

On pourrait croire à un bonheur garanti parce qu'on fuit l'ennui. Alors que la plupart du temps il s'agit d'un insidieux et lassant calvaire qui est d'autant plus insupportable que l'ennui guette partout et qu'il est impossible d'y échapper à tout coup. On n'a pas toujours la chance d'avoir pu identifier d'emblée ceux qui vous donnent l'impression qu'on n'aurait jamais dû être en face d'eux, ceux qui se dilapidant vous briment.

Cette fatalité de l'ennui, pour les esprits impatients qui rêveraient de synthèses quand au contraire les analyses filandreuses leur tombent dessus, qui aspireraient à ce qu'on ne leur fournisse pas tous les détails quand pas un n'est omis, est une malédiction. L'apparence de ces personnalités qui se sentent mal quand l'histoire est trop longue, le verbe profus, les dilutions fréquentes n'est évidemment pas très aimable. On devine qu'elles souffrent quand l'interlocuteur est tout de convivialité et de volubilité. Et qu'il est trop content de ses longueurs pour se soucier de leur mine résignée.

Il n'est pas si facile de s'échapper d'un entretien qui vous pèse en pensant à autre chose. La politesse contraint même quand l'intérêt manque.

Comme Audrey Fleurot, autant que je peux, je fuis l'ennui. Et, comme elle, j'ai peur d'ennuyer. Ce qui me conduit, dans l'oralité, à brûler les étapes, à tenter de rejoindre vite l'essentiel en m'efforçant de cultiver un langage enserrant dans ses rets le plus de pensée possible.

Au risque d'apparaître confus et complexe
parce que la peur d'ennuyer fait qu'on n'use pas du temps qui vous reste avant d'ennuyer puisqu'on qu'on craint précisément, trop vite, en se mettant à la place des autres, d'ennuyer.

Plus d'une fois, en dehors de ma volonté constante de corseter dans la durée ma liberté d'expression, je me suis senti contraint de terminer trop vite une argumentation parce qu'il n'y a pas d'échanges possibles si on ne songe pas à l'autre. En même temps cette contrainte à laquelle je n'ai pas cessé de me plier laisse le champ libre à tous ceux qui sont ravis d'avoir du temps en plus pour développer ce qu'ils croient avoir à dire sans la moindre mauvaise conscience pour l'ennui qu'ils instillent. Pour avoir peu d'ennuyer, il convient d'être suffisamment modeste pour faire entrer l'écoute des autres en ligne de compte. Sinon, n'écoutant que soi, on est ravi de disposer d'un temps de parole illimité. L'ennui des autres n'est jamais votre problème.

Je ne connais pas la vie quotidienne d'Audrey Fleurot mais je devine que son caractère ne doit pas être tiède ni mou. Pour détester l'ennui à ce point, l'intensité, le rythme soutenu, la puissance de chaque instant, l'obligation de ne pas perdre la moindre parcelle d'existence vraie doivent être consubstantiels à sa nature.

Je préfère avoir l'ennui pour ennemi que d'accepter le long fleuve tranquille du temps.

Une mort avant l'heure.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...