Etat d'âme - 3

L’espace et le temps sensibles au cœur : c’est l’une des très belles définitions de l’amour par Marcel Proust.
La passion, pour Marguerite Duras, c’est ce à quoi on ne peut se soustraire.
J’ai envie de réunir l’amour et la passion parce que je les trouve abusivement dissociés dans la banalité des conversations qui se plaisent à aborder les sentiments humains, leurs différences, leur intensité, leur inéluctable déclin. Le plus souvent pour se féliciter, soi, de connaître le meilleur en laissant le pire aux autres.
La passion n’a jamais été pour moi cette incandescence brève, fulgurante, seulement honorée d’être le prélude obligatoire à l’amour quiet, tranquille, durable. Je n’ai jamais supporté ce poncif qui en quelque sorte interdisait aux âmes naturellement exaltées de s’imaginer pour l’éternité dans une atmosphère passionnée parce que, d’abord, ce serait impossible, utopique et qu’ensuite cette aspiration, loin d’être noble, serait au contraire le signe d’une immaturité, d’une enfance jamais passée à l’âge adulte avec sa raison et son sens des responsabilités.

Combien de fois ai-je été renvoyé dans mes cordes quand je m’aventurais à soutenir qu’aucune fatalité ne condamnait la passion à s’effacer au profit de l’amour et qu’en tout cas on avait le droit de préférer l’extraordinaire puissance créatrice de la première à la platitude heureuse du second !
Cette prétendue dégradation inévitable de l’élan en habitude du cœur, d’une irremplaçable sensation d’exister en une tiédeur rassurante constitue sans doute, intériorisée par chacun, la clé du délitement. En tout cas elle est la cause du fait que dans le domaine de la psychologie on n’essaie même pas de faire durer la flamme puisqu’on la présume provisoire et éphémère et qu’on n’est pas prêt à consacrer toutes ses forces pour un combat perdu d’avance.
Au risque de subir les sarcasmes de ceux qui considèrent que la folie des sentiments n’est acceptable que dans la prime jeunesse, je persiste dans mon exigence d’absolu. Je ne pourrais pas m’accommoder de cette sagesse proposant comme un idéal de ne plus bouleverser le fil de ses jours par la passion mais de le laisser s’emplir, au goutte à goutte, avec la tendre rationalité. Je refuse d’être tellement angoissé par la fuite de la passion que délibérément je hâterais son départ. Je la tiens, elle me possède, je la garde, elle est une quête en même temps que ma chance.
Alors que la passion est un miracle, que l’intensité n’est pas vouée à faiblir et que rien ne vaut une vie qui à chaque seconde vous fait oublier la mort plutôt qu’un chemin doux et tranquille qui la préfigure.
L’espace et le temps sensibles au cœur, oui. Ce à quoi on ne peut se soustraire, bien plus. Mais avec la passion, surtout, la volupté de l’illimité l’emporte sur la certitude de la finitude.