Eric Zemmour à contredire ou à brûler ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 29/05/2012
Je n'ai pas vocation à me spécialiser dans la défense d'Eric Zemmour d'autant plus qu'il le fait très bien tout seul (RTL).
La différence entre aujourd'hui et la période où magistrat je l'avais soutenu à propos de l'évidence judiciaire qu'il avait formulée est considérable : je ne risque plus une procédure disciplinaire d'ailleurs absurde et vite classée par MAM puisque depuis le mois d'octobre 2011 l'obligation de réserve ne pèse plus sur mon esprit.
Je crains tout de même le futur d'EZ parce que, sans qu'il y soit pour rien, un péché irréparable va lui être reproché et aggraver son cas : Marine Le Pen est venue à son secours. Autant dire que son sort est scellé.
Je ne sais pas si son contrat va être renouvelé au mois de septembre à RTL mais les pronostics ne lui sont guère favorables. Christopher Baldelli, que j'apprécie pour avoir pu échanger à plusieurs reprises avec lui, n'oubliera pas qu'EZ est en effet "dans son rôle de chroniqueur" et que surtout son propos est en général parfaitement accordé aux auditeurs de RTL si j'en juge par "On refait le monde", où la "langue de vipère" choisie par les auditeurs est accordée régulièrement aux intervenants de droite, souvent de surcroît pétris de talent : notamment Ivan Rioufol, Jean-Christophe Buisson ou Alain-Gérard Slama.
Eric Zemmour s'en est pris récemment au garde des Sceaux Christiane Taubira en articulant son analyse autour de troix axes principaux (Le Monde).
Le ministre aurait choisi "ses victimes, les femmes, les jeunes des banlieues qui sont dans le bon camp à protéger" et "ses bourreaux, les hommes blancs qui sont dans le mauvais".
Par ailleurs, "comme une maman pour ses enfants", elle ferait preuve de compassion et de compréhension pour "ces pauvres enfants qui volent, trafiquent, torturent, menacent, rackettent, violentent, tuent aussi parfois".
Enfin EZ, au nom d'une féminisation de la société qu'il dénonce, reproche à CT, la première loi sur le harcèlement abrogée par le Conseil constitutionnel, de vouloir en remettre une sur le chantier pour la faire adopter dans les meilleurs délais.
Il est clair qu'EZ ne s'est jamais assigné pour ambition d'avoir une pensée tiède et consensuelle, un langage doux et mou et un comportement intellectuel et médiatique conforme aux canons de notre époque de bienséance : rien qui trouble, rien qui offense.
Cela ne signifie nullement qu'il faille approuver forcément ce qui sort de sa bouche pour ne pas évoquer ses articles, notamment ses percutants regards sur la vie politique dans Le Figaro Magazine. Pour ma part, je persiste : je ne suis pas persuadé que CT soit obsédée par la volonté de préjudicier à l'homme blanc. Il y a sans doute un risque d'angélisme avec la politique pénale de gauche mais comment laisser croire que le ministre serait systématiquement aux côtés des mineurs délinquants ou criminels qui se livrent au pire ? Enfin, si le CC a heureusement abrogé la loi sur le harcèlement parce qu'elle était trop floue, trop vague, guère conforme à l'Etat de droit, je n'objecte rien à ce que la Chancellerie en prépare une seconde à condition que l'incrimination soit clairement définie et ne frappe pas de suspicion toutes les attitudes de séduction et de proximité, librement acceptées ou refusées. Mais il existe à l'évidence dans les rapports personnels, professionnels et sociaux un harcèlement qui peut représenter une pression indigne et il doit être sanctionné.
Mais, aussi discutables que soient, pour certains, les aperçus fulgurants ou grossiers d'EZ, ils relèvent d'un genre qui pousse au paroxysme l'intensité de l'idée et la vigueur de la critique. Un chroniqueur qui chaque jour laisserait l'auditeur de glace devrait être remplacé.
D'ailleurs peu importe, et j'en arrive à l'essentiel.
Une démocratie se dégrade quand, naturellement attentive au fond et aux idées elle en vient à oublier que son honneur fondamental est de les laisser s'exprimer. La finalité d'une République n'est pas de désarmer la parole et l'écrit mais de les faire vivre. Je n'aurais même pas dû mettre l'esprit dans un engrenage où la liberté d'EZ pouvait sembler dépendante de la validité, de la bienséance intellectuelle, politique et morale de sa chronique C'est faire courir un risque infini aux citoyens que nous sommes que de subtilement leur imposer un imprimatur pour l'expression orale ou écrite de leurs pensées au lieu de proclamer spontanément et civiquement leur droit de tout dire.
Qu'ai-je entendu à son encontre ? Il tiendrait des propos machistes et racistes, une "chronique haineuse, raciste et misogyne". SOS Racisme et le MRAP, évidemment, au premier rang de ces attaques après que le journaliste Bruno Roger-Petit avait de manière surprenante ouvert le feu contre EZ (nouvelobs.com). Une fois qu'on a proféré ces condamnations avec un langage paresseux car en définitive les adjectifs utilisés sont exploités jusqu'à l'usure, on n'a en réalité rien démontré. On a seulement apposé une étiquette insultante sur des propos qu'on prétend eux-mêmes insultants. La dénonciation souvent est si assurée de l'éthique dont elle serait propriétaire qu'elle oublie le principal : expliquer pourquoi un tel opprobre serait justifié. Comme c'est difficile, voire impossible, on préfère les décrets du menton tremblant et du coeur blessé. Ou la judiciarisation forcenée, encore démontrée ce mardi 29 avec sa comparution étonnante pour diffamation devant le tribunal correctionnel à cause du CRAN.
J'ai tenté modestement à deux reprises de transmettre mon point de vue sur cette globalisation outrancière et peut-être partiale d'EZ, sur Europe 1 avec Michel Grossiord et à France Inter en réponse à des questions très fines de Patrick Boyer sur la liberté d'expression.
EZ a pris la peine de répliquer, sur RTL toujours, au procès en sorcellerie qui lui était intenté en se défendant d'avoir voulu porter atteinte, en Christiane Taubira, "à la femme et encore moins évidemment à la femme noire". Il a vilipendé "les professionnels de l'indignation tarifée et du choquage" en soulignant avoir procédé seulement à "une analyse politique, idéologique".
Il a mis en lumière, dans sa riposte, la perversion qui consiste à censurer les mots puis les pensées, enfin les arrière-pensées. Ce mécanisme est en effet dévastateur qui interdit véritablement à un chroniqueur tel qu'EZ de demeurer lui-même sauf à emprunter les chemins que ses adversaires et les tenants d'une vision classique, traditionnelle, banale voudraient lui imposer ainsi qu'à tous ceux tentés, comme lui, par des démarches moins confortables, des intuitions moins ronronnantes.
Entendant Dominique Sopo sur France Inter, j'ai été effaré par sa comparaison absurde faite, pour justifier une chape, un étouffement dans les domaines sensibles du racisme et du féminisme, avec la pédophilie comme s'il y avait quoi que ce soit à voir entre ces crimes et la responsabilité d'EZ, entre l'odieux d'une parole au soutien de tels agissements et la liberté d'une oralité consacrée à la réflexion civique.
Pour finir, je me demande si EZ n'est pas surtout honni, derrière les apparences de l'acrimonie intellectuelle et politique, à cause de cette insupportable tare qui rend ses contradicteurs habituels malades de dépit et d'envie : son intelligence, sa liberté ont du TALENT !
Qu'on le contredise alors si on en est capable mais qu'on ne le brûle pas, lui, à coups de décrets fulminés par ceux qui pensent bien et ont médias ouverts.