La Cour de cassation ne reconnait pas la tonsure
Actualités du droit - Gilles Devers, 26/01/2012
Ouhlala, on a échappé à un attentat gravissime à la laïcité... Une association diocésaine voulait faire reconnaître la première tonsure comme point de départ des droits à retraite des ecclésiastiques, mais la Cour de cassation (20 janvier 2012, n° 10-24.603 et 10-24.615) donne sa propre lecture de ce qu’est une communauté religieuse, et y inclut les années de séminaire. Gros malaise à prévoir pour les intégristes du slogan « sphère privée/sphère publique »…
L’histoire est celle d’un concitoyen qui avant d’être ordonné prêtre, avait suivi une formation dans un grand séminaire d’octobre 1965 à juin 1967. Lorsque plus tard, il avait demandé la liquidation de ses droits à pension de retraite à la caisse d’assurance vieillesse invalidité et maladie des cultes, celle-ci avait refusé de valider sa période de formation. Motif : on ne devient ecclésiastique qu’une fois les études passées, et après la première tonsure. Pour l’association diocésaine, c’est cet acte symbolique, et purement religieux, qui marque l’entrée dans la communauté religieuse, et donc l’ouverture des droits.
Pas d’accord, avait répondu l’ancien abbé, qui avait saisi la justice païenne, et la Cour d’appel de Dijon lui avait donné raison, validant les sept trimestres du temps de la formation.
En cause, l’application de l’article L. 382-15 du Code de la sécurité sociale, qui tente le mariage des droits sociaux et de la liberté de religion. Zone glissante…
Le principe est que les ministres des cultes et les membres des congrégations et collectivités religieuses relèvent du régime général de Sécurité sociale. Le droit commun, très bien. Mais problème : le droit étatique peut-il contrôler la qualité de ministre des cultes décernée par les religions ? On voit bien le débat : d’un côté la libre organisation des religions, et de l’autre la gestion égalitaire des caisses publiques…
Pour s’y retrouver, la loi a prévu la consultation d'une commission instituée auprès du Ministère des affaires sociales « comprenant des représentants de l'administration et des personnalités choisies en raison de leur compétence, compte tenu de la diversité des cultes concernés ». Une commission qui a de quoi donner des maux de tête aux adeptes de la mythique laïcité-séparation… Son travail est très utile pour donner un cadre, mais il reste des cas litigieux.
Pour la Cour d’appel, un grand séminaire, au regard du mode de vie communautaire imposé, dès leur entrée, à chacun de ses membres, réunis par une volonté commune d’approfondissement d’une croyance et d’une spiritualité partagées en vue d’exercer un ministère sacerdotal, constitue une communauté religieuse au sens du Code de la Sécurité sociale.
L’association diocésaine avait contesté cette lecture du doit devant la Cour de cassation, invoquant le libre exercice des cultes, garanti par l’article 1 de la loi du 9 décembre 1905 et l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle reprenait à son compte l’argument sphère privée/sphère publique.
Non, répond la Cour de cassation. Pour l’établissement des droits sociaux, la justice garde un pouvoir d’appréciation « en fonction des preuves et de la nature de l’engagement religieux ».
Or, le dossier montrait un mode de vie en communauté et une activité essentiellement exercée au service de sa religion. Ainsi, notre ami devait être considéré membre de la collectivité religieuse dès son entrée au grand séminaire.
Pour la Cour de cassation, « la date d’ouverture des droits à pension de retraite ne peut être repoussée à la date de la survenance d’un événement à caractère purement religieux qu’est la cérémonie de première tonsure ».
Conclusion facile : toute autre solution reviendrait à couper les cheveux en quatre.