Nicolas Sarkozy à court d'intellectuels ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 11/03/2012
Mediapart s'interroge : où sont passés les intellectuels de droite durant ce quinquennat ?
On ne les entend plus, on ne les voit plus. A la rigueur, Denis Tillinac qui a cette chance d'avoir une personnalité ouverte quoique convaincue, ce qui ne le fait pas détester à gauche. Mais s'il me prenait l'envie de citer l'intelligence réactionnaire d'Ivan Rioufol, la verve cultivée et provocatrice d'Eric Zemmour, on se gausserait de moi, et d'eux évidemment. Le seul intellectuel de droite souvent mentionné est Alain Finkielkraut offrant l'avantage de refuser cette étiquette. Donc présentable.
Y aura-t-il un intellectuel de droite à Villepinte, dans la masse venant écouter le président-candidat ?
Gérard Depardieu est annoncé, renfort de poids pour complaire à ceux qui croient de bonne foi qu'un artiste fait gagner des voix quand, pour ma part, j'incline à penser qu'il en fait perdre, même quand il a beaucoup de talent. Je ne suis pas sûr que "cette force qui va" tienne lieu de ce qu'on recherche, une sorte de caution apparemment objective et admirée pour une cause militante.
Un intellectuel de droite sous ce quinquennat ?
Il y a déjà quelque chose d'absurde, que ce soit pour la droite comme pour la gauche, dans cette invocation magique de l'intellectuel alors que le rôle, la mission de celui-ci sont, au moins en théorie, totalement contradictoires avec l'esprit étroit et partisan. L'illimité de toutes les idées possibles, d'un immense champ de réflexion libre et critique confronté à l'encasernement quasiment obligatoire d'une idéologie, d'une vision unilatérale et d'un programme.
Peut-être la difficulté provient-elle aussi du fait que la droite de Nicolas Sarkozy a été non pas un parcours cohérent mais une mosaïque, un entrelacs dans lesquels des poussées rapides et fragmentaires de gauche sont venues apporter encore un peu plus de confusion. Quoi de commun, en effet, entre - je persiste - la droite créatrice et enthousiasmante du candidat de 2007, la droite vulgaire, la droite libérale, la droite anti-capitaliste, la droite habilement recentrée, la droite sans scrupules, la droite jusqu'au boutiste ? Le seul point commun entre ces phases successives et parfois antagonistes a été la personnalité du président de la République et sa passion de l'action et du mouvement, qu'on apprécie ou non leur bien-fondé.
Cette diversité a sans doute rendu malaisée une pensée de droite plus attachée à analyser ses thèmes de prédilection - ordre, hiérarchie et autorité - qu'à tenter de formuler la synthèse d'un sarkozysme moins bloc que complexité. Certes, les obsessions de la droite classique n'ont jamais disparu mais elles relevaient plus du discours incantatoire ou de la nostalgie, tant sur ce plan capital le pouvoir a déçu.
En ce sens, le quinquennat, par la surabondance souvent illisible de son contenu et la singularité de son maître d'oeuvre, a probablement découragé les intellectuels de droite de conceptualiser et de dégager des lignes de force. Trop de matière, pas assez de sens. Ceux-ci ont d'ailleurs été supplantés - c'est symptomatique - par des essayistes justiciers qui, faisant fi de toute pensée politique, ont pris fait et cause contre le président ou, plus rarement, en sa faveur. La personnalisation a conduit à un jeu de massacre ou à une inconditionnalité ponctuelle.
Ce ne sont pas ces étranges déjeuners de l'Elysée organisés longtemps par Alain Carignon et entraînant à leur issue des articles tout de dévotion, qui auraient pu susciter une réflexion profonde sur ce quinquennat qu'on pourrait définir comme une paradoxale et durable immédiateté.
Je crois aussi que les particularités du sarkozysme ont eu des effets délétères sur l'intelligence de gauche. Par exemple, lire Bernard-Henri Lévy (qui fulmine contre la récente décision du Conseil constitutionnel ayant déclaré inconstitutionnelle la loi sur la pénalisation génocidaire au motif qu'il y aurait de "très rares vérités" à protéger pour l'honneur de l'humanité) me laisse souvent stupéfait, comme devant une superbe mécanique égarée : la liberté de l'esprit, pour les autres, n'est jamais prioritaire. Alors qu'il se la concède totalement (lepoint.fr).
Nous n'avons plus de maîtres. Tant mieux ou tant pis.