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Vers une suppression du tribunal correctionnel pour mineurs ?

Paroles de juge - , 22/05/2012

Par Michel Huyette


  Il y a peu de temps, par le biais d'une loi du 10 août 2011 prenant effet au 1er janvier 2012 (texte ici), le Parlement modifiait pour la énième fois les règles de procédure pénale applicables aux mineurs en créant le tribunal correctionnel pour mineurs.

  Alors que jusqu’à présent les mineurs renvoyés devant le tribunal pour enfants étaient jugés par un juge des enfants assisté de deux professionnels de la société civile ayant des compétences spécifiques dans le domaine de la jeunesse, dorénavant ceux d’entre eux qui ont commis un délit puni d'au moins trois années de prison en état de récidive sont jugés par un tribunal correctionnel présidé par un juge des enfants accompagné de deux magistrats professionnels.

  Mais en dehors de cela les règles pénales n'ont pas été touchées. Le tribunal correctionnel pour mineurs applique les mêmes textes que le tribunal pour enfants, que ce soit dans la forme (la procédure) ou sur le fond (les infractions et les peines). Le changement a concerné l'étiquette sur la boîte plus que le contenu de celle-ci.

  L’objectif annoncé était double : rendre plus impressionnant le passage devant la juridiction pénale pour les mineurs récidivistes, et, surtout, obtenir contre eux une plus grande sévérité des sanctions.

  Mais à peine nommée la nouvelle ministre de la justice a annoncé la suppression de cette juridiction en mettant en avant un engagement du nouveau président de la République. Aussitôt, ceux ont créé le tribunal correctionnel pour mineurs se sont mis à prédire l'apocalypse en cas de suppression de cette juridiction.


  On peut être pour ou contre le tribunal correctionnel pour mineurs, cela n’est pas la question débattue ici. Ce qui étonne, puis agace, c’est une fois de plus la méthode suivie.

  En effet, le tribunal correctionnel pour mineurs a été créé sans qu’il soit procédé à un bilan complet de l’activité des tribunaux pour enfants. Pourtant, si l’on repart des raisons de la création du tribunal correctionnel, seule une enquête minutieuse et objective aurait pu faire apparaître si oui ou non les tribunaux pour enfants appliquaient une progressivité judicieuse des sanctions en fonction du parcours délinquant des mineurs jugés, et notamment de la récidive.

  De la même façon, avant que soit annoncée la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, il n’a été effectué aucun bilan de leur activité, ce qui pourtant aurait pu permettre une comparaison entre les peines infligées et celles qui l’étaient avant par les tribunaux pour enfants pour des mineurs aux situations identiques. Et cela quand bien même ces juridictions n'existeraient que depuis quelques mois.

  Enfin, il aurait été particulièrement utile que les professionnels de l’enfance, au premier rang desquels ceux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) nous disent si depuis le 1er janvier 2012 ils ont constaté chez les mineurs accompagnés un changement dans la perception de la juridiction qui les juge et par voie de conséquence une évolution différente de leurs comportements.


  Mais il n’en est rien. Absolument rien. On remplace une juridiction par une autre sans bilan de la première, et quelques mois plus tard on annonce la suppression de la nouvelle sans aucun bilan de celle-ci.

  Et, comme si cette précipitation permanente ne suffisait pas, on entend les uns et les autres s'invectiver et s'envoyer à la figure des arguments dont aucun, publiquement, n'est étayé par la moindre esquisse d'un début de démonstration.


  Dans le même ordre d’idées une autre remarque s’impose.

  Ceux qui ont mis en place le tribunal correctionnel pour mineurs critiquent le fait que celui-ci soit supprimé avant tout bilan des premiers mois de pratique.

  Ne se souviennent-ils pas que quand ils ont voté la loi sur les citoyens assesseurs ils ont décidé une période d’expérimentation d’une année dans le ressort de deux cours d’appel et que pourtant, après seulement quelques semaines de mise en oeuvre, l’ancien chef de l’Etat, relayé par le ministre de la justice, a déclaré que le procédé allait être étendu à d’autres cours d’appel. Pourtant au moment de cette prise de position il n’avait été tiré aucun bilan d’aucune sorte de la participation des citoyens assesseurs au jugement de certains délits...


 Quoi qu'il en soit le choix devrait être simple.

  Soit il est démontré que la création du tribunal correctionnel pour mineurs a positivement modifié la pratique judiciaire et entraîné une évolution plus favorable qu'avant du comportement des mineurs jugés, et il faut le garder.

  Soit il est avéré que la mise en place de cette nouvelle juridiction n’a rien apporté par rapport au système antérieur et il n’est pas utile de la conserver.

  Au demeurant, si cette seconde hypothèse est avérée, un maintien du tribunal correctionnel pour mineurs serait d'autant plus dommageable que deux magistrats professionnels y sont appelés qui auparavant pouvaient se consacrer à d’autres activités juridictionnelles. Il faut savoir que ces nouvelles missions ont été imposées sans aucune augmentation du nombre des magistrats dans les tribunaux concernés. Les manques sont encore tels dans l’institution judiciaire que l’on ne peut admettre le moindre gaspillage de personnel.
 
 


  Et si une fois cela rappelé on en venait à l'essentiel ?

  Pendant que certains croient prioritaire de se reprocher mutuellement de malmener les juridictions pour mineurs à coup de slogans superficiels, les professionnels de terrain constatent tous les jours que les services éducatifs sont débordés par manque de personnel, que les foyers d'accueil et notamment les CEF sont pleins et ne peuvent recevoir tous les adolescents qui devraient y être orientés, que des mesures éducatives ne sont pas exécutées faute de travailleurs sociaux en nombre suffisants, que les psychologues vacataires sont de moins en moins nombreux, bref, que le travail de base n'est pas toujours réalisé à cause des moyens volontairement réduits au cours des années passées.

  Par ailleurs et surtout, tous ceux qui ont un jour croisé le chemin de mineurs déstructurés et gravement délinquants savent bien qu'ils ne peuvent pas être assimilés à des majeurs quand bien même ils mesurent 1,90 mètres ou pèsent plus de 80 kgs. Car quelles que que soient les apparences extérieures, ce sont souvent des adolescents très immatures et dont les désordres internes correspondent à leur stade de développement psychologique et affectif, et non à leur physique. Non, on n'évolue pas plus vite quand on est plus grand et plus lourd.


  Dans l'esprit de tous les professionnels de terrain qui connaissent les véritables réalités, il ne fait aucun doute que les spécificités essentielles de la justice des mineurs doivent être conservées, même si des améliorations peuvent toujours être apportées.

  En tous cas, les enjeux sont tellement importants que personne ne peut se satisfaire d'un débat actuel d'une aussi affligeante médiocrité.


  

 

 


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