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Révision déchirante ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 18/01/2015

Les dix sept assassinats odieux, à la lettre inhumains, ont eu lieu. Ils ne feront pas la loi, chez nous. Mais nous interdisent-ils de penser et de respecter ? Ce ne serait pas trahir la liberté.

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Du 7 au 9 janvier 2015, dix-sept victimes à la suite d'assassinats odieux, à la lettre inhumains.

Comme c'était prévisible, inévitable après la résistance et l'obstination françaises, des réactions internationales violentes ont éclaté, pour dénoncer dans certains pays, l'Egypte, le Pakistan, le Yemen, le Niger et la Turquie notamment, les offenses à l'islam et à l'image du Prophète, dont Charlie Hebdo a été le vecteur courageux et imprudent.

Beaucoup d'actes antimusulmans en France.

Ce qui me semble extraordinaire depuis la fusion républicaine du 11 janvier - qu'on y ait participé ou non - tient au débat effervescent qui rend hommage à une liberté d'expression idéale et, à la fois, ose se pencher sur les limites qui pourraient être assignées à celle-ci.

En aucun cas, il ne s'agit d'accepter que l'intimidation, l'intolérance et, pire, la terreur viennent imposer à notre démocratie ce qu'elle devrait penser, écrire et parler.

Pour les restrictions que la liberté d'expression, quand elle abuse, aura à subir, la loi suffit amplement, et l'interprétation qu'en font les magistrats. On a bien compris que les idéologies et les religions pouvaient, dans notre état de droit, être critiquées, tournées en dérision, souillées par des propos et des caricatures alors que les hommes et les femmes, dans leur individualité, avaient toute latitude pour engager des actions et assigner quand elles s'estimaient diffamées ou injuriées.

Cette distinction, aujourd'hui, mérite d'être questionnée.

Pour n'évoquer que Charlie Hebdo, je continue à soutenir que, si les assassins ont constitué leurs victimes comme des représentants emblématiques et universels de la liberté d'expression, reste que leur conception de cette dernière était ciblée et s'attachait souvent de manière obsessionnelle, acerbe et vulgaire, aux croyances essentiellement chrétiennes et musulmanes, moins aux juives, sans doute préservées à cause de l'Holocauste qui a gazé six millions de juifs et de la peur de se moquer d'une religion avec un passé aussi tragique.

Ces dessins et caricatures m'ont paru représenter plus souvent le féroce combat d'un athéisme revendiqué que le souci d'une liberté démocratique.

Je ne crois pas que cette problématique complexe pourra se résoudre, comme le croit ingénument le louvoyant et centriste - ce n'est pas un compliment - Jean-Pierre Raffarin (France 5), par le pluralisme : en gros, on achète Familles chrétiennes à la place de Charlie Hebdo.

Il faut aller plus loin.

Il est paradoxal que les croyances ou les incroyances - ce qui touche les tréfonds, l'intimité des êtres, le plus vif de leur sensibilité - soient le terreau naturel, quasiment honorable, de la dérision et de la dénonciation, alors que les idées - ce qui peut et doit être contredit - font étrangement l'objet d'une relative abstention. Autrement dit, on s'abandonne plus volontiers à ce qui fait mal qu'à ce qui concerne le débat républicain authentique.

Est-il fondamental de caricaturer le Christ crucifié et de lui faire demander quelqu'un pour le retourner afin de "prendre" le soleil ? Qui peut véritablement s'esclaffer (France 2) ?

Est-il nécessaire, pour l'humour, de figurer le Prophète sodomisé ? Ne peut-on concevoir la colère de la plupart des musulmans devant une attaque aussi indécente, que la provocation seule justifie, sans susciter le moindre sourire ?

La loi s'applique quand la liberté outrepasse les droits mais il me semble que tous ceux dont la fonction est d'user de la liberté d'expression pour se camper en "bouffons" de la République ne devraient pas s'abuser. Il n'est plus possible aujourd'hui de crier tactiquement "liberté, liberté" sans s'interroger sur les conséquences d'une autarcie créative et irresponsable. A un bout de la chaîne, il y a la loi. A l'autre, la conscience, l'éthique dont il ne serait pas scandaleux qu'elles s'imposent des limites que la terreur se verra toujours refuser.

Qu'on ne m'oppose pas, comme on a tendance à le faire à chaque fois que les tragédies de la société nous laissent perplexe et qu'on ne sait trancher entre liberté et dignité, entre l'expression de tout et la retenue ici ou là, les principes de laïcité. On définit celle-ci comme tolérance, écoute et surtout respect. Comment concilier cette exigence du respect avec son contraire qui s'en prend à ce que notre République désire voir préservé, précisément au nom de la laïcité ?

La laïcité ne serait-elle que l'autorisation d'offenser, avec l'onction démocratique, tout ce qui est religieux et qui ne souhaiterait qu'un privilège : une indifférence polie, une neutralité même pas bienveillante ?

Quand la "quenelle" de Dieudonné est réprimée et que les caricatures de Charlie Hebdo sont louées au nom de la liberté, il me semble que Claude Bartolone est un peu court (LCI) de pointer du racisme dans le premier cas et de la démocratie dans le second. A partir du moment où une liberté absolue n'est pas concevable ni souhaitable, quel comportement a les effets les plus détestables ?

Charlie Hebdo vecteur courageux et imprudent ?

Je n'aurais pas osé moi-même utiliser ce dernier adjectif si un texte remarquable de Delfeil de Ton n'avait pas, au nom d'un compagnonnage qui lui donnait tous les droits, mis en cause le rôle de Charb qui, avec une audace inouïe que Wolinski lui-même avait semblé regretter, avait engagé Charlie Hebdo sur une voie qu'il pressentait dangereuse sans la craindre mortifère ?

42 % des Français souhaitent une ligne de retenue et qu'on cesse ce type de dessins si une majorité ne partage pas cet avis.

Ailleurs, le Danemark qui est un pays respectable est partagé : certains dessinateurs et artistes ont décidé de ne plus publier de représentations du Prophète, assumant courageusement le risque d'être accusés de lâcheté.

Les dix-sept assassinats ont eu lieu.

Ils ne feront pas la loi chez nous. Mais nous interdisent-ils de penser et de respecter ?

Ce ne serait pas trahir la liberté.


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