Le curé, la « peur de manquer » et les 700 000 euros de denier du culte détournés
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 12/01/2016
Monsieur le curé aurait dû comparaître devant le tribunal correctionnel de Foix (Ariège) entre deux sales affaires de violences conjugales réglées à coups de couteau, la première parce que monsieur reprochait à madame de ne pas faire le ménage, la seconde parce que madame n’avait pas apprécié de trouver une rivale dans le lit de monsieur. Mais René Heuillet, 80 ans, poursuivi pour avoir détourné le denier du culte de sa paroisse de Saint-Lizier, ne s’est pas présenté mardi 12 janvier devant ses juges. L’abbé est hospitalisé et « accablé de remords », a indiqué son avocate.
Il y avait pourtant foule dans la salle d’audience du tout nouveau palais de justice de Foix pour tenter de comprendre comment et pourquoi un curé de paroisse, un « enfant du pays » qui n’a jamais quitté son Ariège natale, a pu détourner pendant vingt-six ans les offrandes diverses de ses paroissiens et les achats de bougies votives pour un montant de près de 700 000 euros.
L’affaire a, semble-t-il, été déclenchée lors de la découverte, par son successeur dans la paroisse de Saint-Lizier, d’un sac rempli de pièces caché dans le recoin d’une armoire de la sacristie. Une dénonciation a fait le reste, menant les enquêteurs jusqu’aux comptes bancaires de l’abbé. Dix-sept en tout sur lesquels ils découvrent des placements pour un montant de près de 600 000 euros, des assurances-vie au nom de la sœur et du neveu de René Heuillet et un joli paquet de pièces de francs-or. Aux policiers qui le placent en garde à vue, l’abbé avoue tout, tout de suite, et explique : « J’avais peur de manquer pour mes vieux jours. » Il dit encore qu’il a commencé à détourner l’argent dès sa nomination et qu’il n’a jamais cessé.
"Les billets pour moi"
La méthode était parfaitement rodée et valait pour les dix paroisses dont l’abbé Heuillet avait la charge. « Sur la quête des messes, je prenais les billets pour moi et je faisais remonter les pièces à l’association diocésaine », a-t-il expliqué. Pour les bougies votives, il achetait auprès du grossiste sur ses propres deniers, les revendait et se gardait le bénéfice, le tronc le plus rentable étant celui de la cathédrale de Saint-Lizier, inscrite sur le chemin de Compostelle et attirant de ce fait de nombreux et généreux touristes. L’abbé « surfacturait » aussi les baptêmes – de 50 à 100 euros – les enterrements et le catéchisme – pressant régulièrement les parents pour « avoir l’enveloppe ».
Le plus étonnant est que rien ni personne n’a donné l’alerte pendant un quart de siècle. Monsieur le curé était très apprécié de ses paroissiens, on goûtait ses prêches, il vivait modestement sur son indemnité de 790 euros – aux enquêteurs, il a expliqué qu’il parvenait à économiser 100 euros par mois, « même avec l’abonnement à Canal ». Ses dix-sept comptes bancaires toujours garnis en espèces n’ont étonné ni son banquier, qui le conseillait régulièrement sur ses placements, ni l’administration fiscale, auprès de laquelle il déclarait pourtant en 2014, 14 000 euros de « revenus de capitaux mobiliers » et qui lui a consenti cette même année un crédit d’impôt de 1 203 euros. « Les autres années, j’étais exonéré d’impôts au vu de mes faibles revenus », a déclaré l’abbé sur procès-verbal.
"La hiérarchie n’a rien voulu voir"
À l’audience, chacun a fait et refait ses comptes. L’association diocésaine demande la restitution de l’ensemble de l’argent détourné, amputé toutefois du montant des économies personnelles du prêtre et réclame 30 000 euros de préjudice moral. « Il a trompé les fidèles, trompé les touristes, trahi l’Église et traumatisé les autres prêtres », a plaidé l’avocat de l’association, Me Ludovic Serée de Roc. « Il est difficile d’être miséricordieux, si vous permettez l’expression », a observé pour sa part le procureur François Hebert, en requérant contre le vieux prêtre indélicat la peine « exemplaire » de trois ans d’emprisonnement avec sursis et l’amende maximale de 375 000 euros.
Mais l’avocate de René Heuillet, Me Karine Briene, parle gros sous elle aussi. La jeune femme dénonce « la hiérarchie du prêtre qui n’a rien voulu voir », d’obscurs règlements de comptes avec le maire – Etienne Dedieu, cela ne s’invente pas – et l’attitude d’un banquier « qui avait intérêt à ne rien dire ». Elle soutient aussi que, parmi les offrandes perçues, une part était destinée au seul curé et ne peut revenir à l’association diocésaine. « J’ai fait le calcul : 17 euros par messe, 40 messes par mois pendant 26 ans, soit 287 000 euros", dit-elle, en demandant au tribunal de les soustraire du montant des détournements retenus. "L’église tente de s’enrichir sur le dos de l’abbé !", lance Me Brienne, en conclusion d’une plaidoirie que n’aurait pas reniée Me David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel contre la Société générale.
Jugement le 16 février.