Pas de nullité du licenciement si le salarié ne qualifie pas les faits dénoncés de « harcèlement moral »
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Fabien Crosnier, Stéphane Bloch, 30/10/2017
Par un arrêt du 13 septembre 2017, la Cour de cassation précise que le licenciement prononcé pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral n’est nul que si le salarié a qualifié expressément ces faits de « harcèlement moral » (1) .
1. Le contexte
Les droits des victimes de harcèlement ou d’autres formes de violence au travail, qui font en ce moment même l’objet d’un véritable débat de société, ont connu un relatif renforcement dans la période récente : ainsi de la loi « Travail » du 8 août 2016 qui allège la charge de la preuve de la victime (celle-ci n’a plus à « établir » des « faits » mais simplement à « présenter » des « éléments de fait » laissant supposer l’existence d’un harcèlement) ou encore, un an plus tôt, de la loi «Rebsamen » du 17 août 2015 incriminant les « agissements sexistes » au travail.
Il est constant que le salarié qui témoigne d’agissements répétés de harcèlement moral ou qui relate de tels faits jouit d’une immunité à la fois sociale ( il ne peut être ni licencié, ni sanctionné, ni discriminé, à peine de nullité de la mesure (2)), et pénale (il ne peut pas être poursuivi non plus pour diffamation (3)).
Par souci d’équilibre, la jurisprudence réserve toutefois le cas de la mauvaise foi, laquelle s’entend de « la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce » (4) . Dans ce dernier cas, le salarié (qui ne se contente pas de porter une appréciation ou un jugement erroné sur des faits objectivement exacts mais qui, en réalité, ne fait rien moins que mentir en dénonçant sciemment des faits qui n’existent pas) peut être valablement licencié ou sanctionné voire être poursuivi pénalement pour dénonciation calomnieuse.
C’est dans ce contexte qu’a été prononcé l’arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2017.
Il est constant que le salarié qui témoigne d’agissements répétés de harcèlement moral ou qui relate de tels faits jouit d’une immunité à la fois sociale ( il ne peut être ni licencié, ni sanctionné, ni discriminé, à peine de nullité de la mesure (2)), et pénale (il ne peut pas être poursuivi non plus pour diffamation (3)).
Par souci d’équilibre, la jurisprudence réserve toutefois le cas de la mauvaise foi, laquelle s’entend de « la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce » (4) . Dans ce dernier cas, le salarié (qui ne se contente pas de porter une appréciation ou un jugement erroné sur des faits objectivement exacts mais qui, en réalité, ne fait rien moins que mentir en dénonçant sciemment des faits qui n’existent pas) peut être valablement licencié ou sanctionné voire être poursuivi pénalement pour dénonciation calomnieuse.
C’est dans ce contexte qu’a été prononcé l’arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2017.
2. Les faits
Un directeur commercial avait annoncé par mail à l’actionnaire majoritaire de la société qui l’employait qu’il souhaitait «l’informer de vive voix du traitement abject, déstabilisant et profondément injuste » dont il estimait faire l’objet. A aucun moment cependant il n’avait expressément qualifié ces faits de « harcèlement moral ».
L’intéressé avait été licencié pour faute grave. Il lui était en effet reproché dans le courrier de rupture non seulement un manquement professionnel, mais également d’avoir abusé de sa liberté d’expression en essayant « pour détourner l’attention, de créer l’illusion d’une brimade » et en proférant « des accusations diffamatoires » constitutives, selon l’employeur, d’un « manque de respect », de « propos injurieux » et d’un « dénigrement ».
La Cour d’appel avait jugé, en substance, que le licenciement du salarié était bien motivé par la dénonciation d’une situation de harcèlement moral, peu important qu’il n’ait pas « formellement employé » cette expression; conformément à la jurisprudence dite des « motifs contaminants » (selon laquelle l’illicéité de l’un des motifs du licenciement suffit à rendre nul le congédiement sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs (5)), les juges avaient annulé le licenciement en ordonnant la réintégration de l’intéressé et le paiement des salaires dus au titre de la période intercalaire, sous déduction des revenus de remplacement.
L’intéressé avait été licencié pour faute grave. Il lui était en effet reproché dans le courrier de rupture non seulement un manquement professionnel, mais également d’avoir abusé de sa liberté d’expression en essayant « pour détourner l’attention, de créer l’illusion d’une brimade » et en proférant « des accusations diffamatoires » constitutives, selon l’employeur, d’un « manque de respect », de « propos injurieux » et d’un « dénigrement ».
La Cour d’appel avait jugé, en substance, que le licenciement du salarié était bien motivé par la dénonciation d’une situation de harcèlement moral, peu important qu’il n’ait pas « formellement employé » cette expression; conformément à la jurisprudence dite des « motifs contaminants » (selon laquelle l’illicéité de l’un des motifs du licenciement suffit à rendre nul le congédiement sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs (5)), les juges avaient annulé le licenciement en ordonnant la réintégration de l’intéressé et le paiement des salaires dus au titre de la période intercalaire, sous déduction des revenus de remplacement.
3. La décision et sa portée
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en reprochant aux juges du fond d’avoir ainsi statué alors que le salarié « n’avait pas dénoncé des faits qualifiés par lui d’agissements de harcèlement moral ».
La solution n’était pourtant pas évidente, compte tenu de l’obligation faite au Juge par l’article 12 du Code de procédure civile de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». Elle n’en fixe pas moins l’état du droit positif.
Le salarié qui dénonce des faits qu’il considère, à tort ou à raison, comme du harcèlement moral, a donc tout intérêt à les qualifier expressément comme tels afin de bénéficier de la protection attachée aux témoins ou aux dénonciateurs d’actes de harcèlement contre le licenciement.
En l’état, il serait bien avisé d’en faire autant en matière de dénonciation de faits de harcèlement sexuel ou de discrimination, où existent des dispositions protectrices équivalentes (6). Et ce d’autant que la qualification de harcèlement (qu’il soit moral ou sexuel) ou de discrimination permettra au salarié licencié après le 23 septembre 2017 d’éluder le barème mis en place par l’ordonnance du 22 septembre 2017 pour la fixation du montant des dommages-intérêts alloués au titre d’une rupture injustifiée du contrat de travail (7).
Reste que le salarié licencié pour avoir dénoncé des faits qu’il aurait négligé de qualifier expressément de « harcèlement moral», n’est pas nécessairement dénué de tout argument :
- En premier lieu, avec d’autres (8), l’on peut s’interroger sur le point de savoir si, dans un tel cas de figure, celui-ci ne pourrait pas se rattraper en se plaçant exclusivement sur le terrain du licenciement intervenu en violation d’une liberté fondamentale, en l’occurrence de sa liberté d’expression.
L’on sait en effet qu’une jurisprudence constante de la Cour de cassation décide que le licenciement est nul lorsqu’il revient à priver le salarié de l’exercice d’une liberté fondamentale (9), ce que confirme d’ailleurs la lecture de l’alinéa 2 de l’article L.1235-3-1 issu de l'ordonnance du 22 septembre 2017.
- En second lieu, il reste à accorder l’arrêt du 13 septembre 2017 avec l'accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail.
5 est, en effet, plus large que le Code du travail puisqu'il prévoit qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou discriminé pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement « ou de violence » ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés (10).
Autrement dit, là où l’article L.1152-2 du Code du travail ne vise que la dénonciation de faits de « harcèlement », les partenaires sociaux protègent également celui ou celle qui témoigne ou relate de faits de « violence ». Or, cette notion est susceptible de se voir reconnaître un contenu beaucoup plus large que celle de « harcèlement », à telle enseigne que le préambule de l'accord du 26 mars 2010 incrimine sous la qualification de violence au travail les « cas mineurs de manque de respect » irréductibles au harcèlement.
Si l’accord du 26 mars 2010 a une valeur juridique (et il en a assurément une, s’agissant d’un accord collectif national interprofessionnel, au surplus étendu par un arrêté du 23 juillet 2010), alors il pourrait peut-être être soutenu qu’à peine de nullité de la mesure, le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral sans les qualifier expressément comme tels, n’en est pas moins protégé contre toute mesure de rétorsion dès lors que les faits signalés ressortissent à une forme de « violence » au travail au sens où l’entend l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010.
Reste à concilier cette thèse avec le fait que si le licenciement prononcé en violation de l’article L.1152-2 du Code du travail (aux termes duquel nul ne peut être licencié, sanctionné ou discriminé pour avoir témoigné ou relaté des faits de harcèlement moral) est entaché de nullité, c’est parce que l’article L.1152-3 le prévoit expressément.
Mais ce texte, dont l’origine remonte à 2002, ne renvoie qu’aux seules dispositions légales du Code du travail, et non pas à l’accord de 2010. Or, classiquement, un acte n’est nul en droit du travail que si un texte le prévoit expressément (« pas de nullité sans texte ») ou s’il viole une liberté fondamentale.
Dans ces conditions, les perspectives offertes par l’accord de 2010 au salarié qui aurait négligé de qualifier les faits dénoncés de « harcèlement moral » pourraient bien, somme toute, se révéler assez incertaines.
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1. Cass. soc. 13 sept. 2017, n° 15-23.045
2. Art. L.1152-2 et L.1152-33 C. Trav.
3. Cass. civ. 1, 28 sept. 2016 n° 15-21823
4. Cass. soc. 10 juin 2015, n° 13-25.554
5. Cass. soc. 3 février 2016, n° 14-18.600
6. Art. L.1153-2 et L.1153-3 C. Trav. (harcèlement sexuel) ; art. L.1132-33 C. Trav. (discrimination)
7. Art. L.1235-3-1 C. Trav.
8. J. Cortot, « Dénonciation du harcèlement moral : les juges jouent sur les ‘maux’ » : Dalloz actualité du 6 octobre 2017
9. Cass. soc. 28 avril 1988 n° 87-41.804, « Clavaud » (nullité du licenciement d'un ouvrier caoutchoutier prononcé à la suite de la publication dans un quotidien d'un article rapportant des déclarations qu'il avait faites à un journaliste sur ses conditions de travail)
10. Art. 5-2 de l’Accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 (« Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement ou de violence ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. »)
La solution n’était pourtant pas évidente, compte tenu de l’obligation faite au Juge par l’article 12 du Code de procédure civile de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». Elle n’en fixe pas moins l’état du droit positif.
Le salarié qui dénonce des faits qu’il considère, à tort ou à raison, comme du harcèlement moral, a donc tout intérêt à les qualifier expressément comme tels afin de bénéficier de la protection attachée aux témoins ou aux dénonciateurs d’actes de harcèlement contre le licenciement.
En l’état, il serait bien avisé d’en faire autant en matière de dénonciation de faits de harcèlement sexuel ou de discrimination, où existent des dispositions protectrices équivalentes (6). Et ce d’autant que la qualification de harcèlement (qu’il soit moral ou sexuel) ou de discrimination permettra au salarié licencié après le 23 septembre 2017 d’éluder le barème mis en place par l’ordonnance du 22 septembre 2017 pour la fixation du montant des dommages-intérêts alloués au titre d’une rupture injustifiée du contrat de travail (7).
Reste que le salarié licencié pour avoir dénoncé des faits qu’il aurait négligé de qualifier expressément de « harcèlement moral», n’est pas nécessairement dénué de tout argument :
- En premier lieu, avec d’autres (8), l’on peut s’interroger sur le point de savoir si, dans un tel cas de figure, celui-ci ne pourrait pas se rattraper en se plaçant exclusivement sur le terrain du licenciement intervenu en violation d’une liberté fondamentale, en l’occurrence de sa liberté d’expression.
L’on sait en effet qu’une jurisprudence constante de la Cour de cassation décide que le licenciement est nul lorsqu’il revient à priver le salarié de l’exercice d’une liberté fondamentale (9), ce que confirme d’ailleurs la lecture de l’alinéa 2 de l’article L.1235-3-1 issu de l'ordonnance du 22 septembre 2017.
- En second lieu, il reste à accorder l’arrêt du 13 septembre 2017 avec l'accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail.
5 est, en effet, plus large que le Code du travail puisqu'il prévoit qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou discriminé pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement « ou de violence » ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés (10).
Autrement dit, là où l’article L.1152-2 du Code du travail ne vise que la dénonciation de faits de « harcèlement », les partenaires sociaux protègent également celui ou celle qui témoigne ou relate de faits de « violence ». Or, cette notion est susceptible de se voir reconnaître un contenu beaucoup plus large que celle de « harcèlement », à telle enseigne que le préambule de l'accord du 26 mars 2010 incrimine sous la qualification de violence au travail les « cas mineurs de manque de respect » irréductibles au harcèlement.
Si l’accord du 26 mars 2010 a une valeur juridique (et il en a assurément une, s’agissant d’un accord collectif national interprofessionnel, au surplus étendu par un arrêté du 23 juillet 2010), alors il pourrait peut-être être soutenu qu’à peine de nullité de la mesure, le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral sans les qualifier expressément comme tels, n’en est pas moins protégé contre toute mesure de rétorsion dès lors que les faits signalés ressortissent à une forme de « violence » au travail au sens où l’entend l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010.
Reste à concilier cette thèse avec le fait que si le licenciement prononcé en violation de l’article L.1152-2 du Code du travail (aux termes duquel nul ne peut être licencié, sanctionné ou discriminé pour avoir témoigné ou relaté des faits de harcèlement moral) est entaché de nullité, c’est parce que l’article L.1152-3 le prévoit expressément.
Mais ce texte, dont l’origine remonte à 2002, ne renvoie qu’aux seules dispositions légales du Code du travail, et non pas à l’accord de 2010. Or, classiquement, un acte n’est nul en droit du travail que si un texte le prévoit expressément (« pas de nullité sans texte ») ou s’il viole une liberté fondamentale.
Dans ces conditions, les perspectives offertes par l’accord de 2010 au salarié qui aurait négligé de qualifier les faits dénoncés de « harcèlement moral » pourraient bien, somme toute, se révéler assez incertaines.
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1. Cass. soc. 13 sept. 2017, n° 15-23.045
2. Art. L.1152-2 et L.1152-33 C. Trav.
3. Cass. civ. 1, 28 sept. 2016 n° 15-21823
4. Cass. soc. 10 juin 2015, n° 13-25.554
5. Cass. soc. 3 février 2016, n° 14-18.600
6. Art. L.1153-2 et L.1153-3 C. Trav. (harcèlement sexuel) ; art. L.1132-33 C. Trav. (discrimination)
7. Art. L.1235-3-1 C. Trav.
8. J. Cortot, « Dénonciation du harcèlement moral : les juges jouent sur les ‘maux’ » : Dalloz actualité du 6 octobre 2017
9. Cass. soc. 28 avril 1988 n° 87-41.804, « Clavaud » (nullité du licenciement d'un ouvrier caoutchoutier prononcé à la suite de la publication dans un quotidien d'un article rapportant des déclarations qu'il avait faites à un journaliste sur ses conditions de travail)
10. Art. 5-2 de l’Accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 (« Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement ou de violence ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. »)