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Photomaton : l’automatauteur ?

:: S.I.Lex :: - calimaq, 12/07/2012

Qui est juridiquement l’auteur du cliché pris dans un photomaton ? Cette question apparemment absurde m’est entrée dans la tête il y a quelques jours, après qu’une de mes connaissances m’ait raconté ses mésaventures techniques hilarantes subies derrière le rideau … Lire la suite

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Qui est juridiquement l’auteur du cliché pris dans un photomaton ?

Cette question apparemment absurde m’est entrée dans la tête il y a quelques jours, après qu’une de mes connaissances m’ait raconté ses mésaventures techniques hilarantes subies derrière le rideau rouge d’une de ces cabines. Et elle n’en est pas ressortie depuis !

Composition au photomaton. Par Leafar. CC-BY. CC-BY-SA. Source : Flickr

Car mine de rien, ce problème constitue un véritable petit koan juridique : une de ces questions en apparence absurde que les maîtres zen soumettaient à titre d’exercice à leurs discplines et  qui ne peuvent être résolues en suivant les règles de la logique habituelle (notez d’ailleurs que koan signifie étrangement “arrêt qui fait jurisprudence” en chinois…).

Dans le cas du photomaton, la question pousse le raisonnement juridique dans ses derniers retranchements. Et j’adore ça ! 

Ayant depuis été visiter une de ces machines pour poursuivre cette méditation in situ, j’ai creusé la question, qui m’a révélé d’insondables abîmes légales…

Une simple machine, un automate, peut-il être considéré en droit comme l’auteur d’une oeuvre de l’esprit ? La personne qui se tire le portrait dans la cabine peut-elle être à la fois le sujet et l’auteur de la photo ? Et si les clichés des photomatons n’avaient tout simplement pas d’auteur du tout ?

Lisez la suite et vous ne verrez plus jamais un photomaton du même oeil ! N’est-ce pas Sophie Pétoncule ? ;-)

Une question d’originalité avant tout

A première vue, le problème semble pouvoir se résoudre assez facilement.

Pour être protégée par le droit d’auteur, une création doit pouvoir être reconnue comme “une oeuvre de l’esprit” originale, c’est-à-dire, selon les juges, qu’elle doit porter “l’empreinte de la personnalité de l’auteur”. Cela signifie qu’au cours du processus de création, l’auteur doit faire des choix, prendre des décisions imprimant une marque particulière à l’oeuvre et reflétant sa sensibilité d’une manière ou d’une autre. Si les juges ne peuvent déceler cette forme de créativité particulière, ils considéreront que l’objet qui leur est soumis ne peut être protégé par le droit d’auteur.

Sur Jurispedia, l’originalité est définie par oppossition avec son antonyme, la banalité :

Pour mieux apprécier l’originalité, on doit se référer alors à son antonyme : la banalité consistant en la reprise, par un auteur prétendu, de matériaux artistiques connus de tous, déjà employés auparavant par d’autres et qui n’appartenant à personne, sont le bien de tous , ce que les spécialistes appellent, par un emprunt déformant au droit administratif, le domaine public. L’œuvre banale ne fera pas donc l’objet d’une protection par les droits d’auteur.

Aux orgines de la photographie, les juges furent assez réticents à admettre que ce procédé technique de reproduction de la réalité puisse produire des oeuvres originales. Mais au fil de la jurisprudence, ils finirent par considérer que le choix du sujet, du cadrage, des lumières et des divers réglages de l’appreil pouvaient être assimilés à des choix à part entière de l’auteur, exprimant une originalité.

Dans un jugement récent du 1er juillet 2011, où l’originalité d’une photographie était mise en cause, les juges ont rappelé qu’ :

une photographie, à l’instar de toute création, n’est protégée par le droit d’auteur qu’à la condition que, portant l’empreinte de la personnalité de son auteur, elle soit originale. Lorsque la protection au titre du droit d’auteur est contestée en défense, l’originalité d’une œuvre doit être explicitée par celui qui s’en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d’identifier les éléments traduisant sa personnalité

La dictature du photomaton

Appliquons ces principes au cas du photomaton.

Celui qui entre dans la cabine n’a à vrai dire à première vue guère son mot à dire dans le processus qui va le conduire jusqu’à prendre la photo. Il refait sa coiffure dans le miroir, règle la hauteur du siège, place ses yeux en face d’un repère et s’il est là pour faire des photos d’identité, il devra même adopter une expression la plus neutre possible. D’ailleurs, l’expression même de “photo d’identité” indique bien qu’il ne s’agit en aucune façon de faire oeuvre originale, mais de se tenir au plus proche de la réalité d’un visage tel qu’il est. Pour reprendre la distinction énoncée plus haut, qu’il y a-t-il de plus “banal” et de moins original qu’une photo d’indentité ?

Dans ces conditions, les clichés produits par un photomaton, étroitement déterminés par le diktat de la machine, ne semblent pas pouvoir satisfaire au critère de l’originalité. Ils ne sont donc pas des oeuvres de l’esprit, protégeables par le droit d’auteur et je peux donc remballer mon koan. 

Les photos d’identité, pour être impersonnelles, peuvent néanmoins donner prise au droit à l’image, mais en dehors de cette restriction, le photomaton produit mécaniquement… du domaine public photographique, ce qui n’est pas pour me déplaire !

9 images illustrant les étapes de la transformation du PhotoMaton sur une image 256×256. Par Philippe Matthieu. Domaine Public. Source : Wikimedia Commons.

De la possibilité qu’une machine soit considérée comme auteur

 Sauf que… la jurisprudence est parfois surprenante et elle a déjà admis que des clichés pris automatiquement puissent faire l’objet d’une forme de protection au titre du droit d’auteur.

C’est le cas par exemple de photos aériennes ou d’images satellite, qui bien que prises par un appareil à déclenchement automatique, ont pu valablement être considérées comme des oeuvres de l’esprit. Mieux encore, on trouve un cas en Angleterre où des policiers ont utilisé le copyright pour s’opposer à la diffusion de vidéos tournées par des caméras de vidéosurveillance !


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