Actions sur le document

Que reste-t-il de nos présidents ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 20/12/2015

Depuis 2007, quoi qu'on ait voté, on n'admire plus les présidents, on les subit. Pour François Mitterrand comme pour Jacques Chirac, mais à un degré moindre, à la question : "que reste-t-il de nos amours ?", on peut encore se permettre de répondre : les présidents eux-mêmes.

Lire l'article...

Les hasards de la programmation télévisuelle ont réuni le 14 décembre François Mitterrand et Jacques Chirac.

Le premier, sur Arte, dans "Que reste-t-il de nos amours?", un film de William Karel.

Le second, sur France 2, grâce à Franz-Olivier Giesbert.

Deux excellents documentaires sur des présidents de la République dont l'un est mort il y a vingt ans et dont l'autre se débat courageusement contre l'inéluctable, soutenu en pensée par beaucoup de Français.

Quand j'ai publié mon livre "Ordre et désordres", il n'y a pas de jour où je n'ai regretté d'avoir oublié une entrée consacrée à François Mitterrand.

Il n'y a pas de jour non plus où, depuis 2007 qui a consacré le triomphe de personnalités équilibrées ou caractérielles, en tout cas normales dans le mauvais sens du terme, je ne me demande pas quelle aurait été l'attitude de François Mitterrand, quels auraient été ses choix et ses décisions, sur les problèmes graves qui assaillent la France et sur ses épreuves internationales. Ce dont je suis convaincu en tout cas est que François Hollande l'imite mal.

A partir de quand l'histoire d'un président de la République devient-elle de l'Histoire de France ? François Mitterrand avait coutume de dire que les Français, vingt ans après leur départ ou leur mort, aimaient les présidents et les regrettaient.

Je ne suis pas sûr que pour lui cette prédiction soit exacte. Beaucoup de sentiments mélangés irriguent l'esprit public, la mémoire populaire à son sujet, mais la nostalgie affectueuse n'est pas à l'évidence celui qui domine.

Plutôt, pour le pire, une dénonciation de son cynisme marmoréen avec une admiration pour son intelligence malgré tout ; pour le meilleur, une reconnaissance pour ses aptitudes exceptionnelles de finesse, de maîtrise et de culture avec presque une condescendance amusée à l'égard de ses frasques ayant embarqué l'Etat dans des interventions douteuses.

Dans le film de William Karel, des personnalités qui, de son vivant, lors de ses deux septennats, avaient tremblé devant lui et s'étaient tues, n'ont pas hésité à tenir des propos critiques, à le traiter avec une liberté et une sincérité qui n'étaient pas contradictoires avec la certitude de s'être trouvées, durant quatorze années, face à un "monstre" politique, à une destinée contrastée mais ayant su ressurgir plus intense et déterminée de chaque coup du sort, de chaque échec, à une étrange majesté et à une singulière allure résistant à tout ce que sa désinvolture d'Etat sur un plan personnel aurait pu leur enlever.

On peut comprendre le silence, aussi bien pour le Mitterrand présidentiel que pour le Mitterrand intime, des deux personnes l'ayant connu au plus près : Michel Charasse et Roland Dumas. S'ils avaient eu l'inélégance de se mêler au choeur des Attali et autres, ils auraient eu beaucoup à nous révéler. Mais ils demeureront cois. C'est le privilège des authentiques familiers du pouvoir. Ils n'éprouvent pas le besoin de le raconter et de se livrer.

Quand on considère les deux septennats de Mitterrand, le premier a eu une tonalité purement politique avec le "à gauche toute" de 1981 à 1983, mûrement pesé et réfléchi, puis le pragmatisme obligatoire des années suivantes qui a réparé les dégâts causés par l'idéologie et le primat de la rupture.

Le second a changé de couleur. Fascinant, par certains côtés shakespearien, imprégné d'une autocratie républicaine, insoucieux des règles, sujet à des polémiques sur un passé pour le jugement duquel les moralistes rétrospectifs n'ont pas manqué et marqué par le courage admirable du président, un stoïcisme à l'antique. Ce septennat a, jusqu'en 1995 et de plus en plus, manifesté la résurrection de l'homme de droite que François Mitterrand avait été à l'origine de son parcours. Il a moins trahi la gauche qu'il n'est subtilement revenu au bercail.

Jacques Chirac, depuis qu'il a quitté l'exercice des responsabilités, remplacé par un Nicolas Sarkozy qui lui avait sans cesse "pourri" la vie, est naturellement au zénith dans le coeur des Français et plus son épouse semble le gérer rudement et sans délicatesse, plus on a envie de lui donner, civiquement, une tendresse dont on le prive.

Mais tout de même, une fois appréhendée la vigueur de cet être populaire, toujours en mouvement, influençable, incroyablement chaleureux en apparence et si bon vivant, qu'y a-t-il au fond ?

Pas de fond précisément. Mais une immense culture dissimulée par pudeur. Une trahison scandaleuse en 1981 ayant favorisé l'élection de François Mitterrand contre la réélection de Giscard d'Estaing et, de manière plus anecdotique, à cause de la détestation que François Mitterrand avait éprouvée pour Edouard Balladur ayant osé s'aventurer sur ses terres régaliennes, les conseils judicieux prodigués par le premier à Jacques Chirac enfin président de la République en 1995 ! Et, par la suite, un immobilisme déguisé en sagesse.

Depuis 2007, quoi qu'on ait voté, on n'admire plus les présidents, on les subit.

Pour François Mitterrand comme pour Jacques Chirac, mais à un degré moindre, à la question : "que reste-t-il de nos amours ?", on peut encore se permettre de répondre : les présidents eux-mêmes.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...