Vente d’objets sacrés hopis : Le respect des croyances à géométrie variable
Actualités du droit - Gilles Devers, 15/04/2013
Vendredi, s’est tenue à Drouot une vente aux enchères d’objets religieux revendiqués par la communauté Hopi, pour plus de 900 000 euros. Une procédure de référé, peu convaincante, a été engagée en vain, et reste le sentiment d’un irrespect pour les croyances de cette communauté amérindienne.
Les Hopis sont des Indiens d’Amérique du Nord, une communauté de 18 000 personnes, regroupées dans douze villages sur les hauts plateaux de l'Arizona. 18 000 personnes, alors qu’on parle d’une tribu… Un temps brassés par des visiteurs, ils se sont réorganisés pour vivre préservés.
Fin février, ils ont été alertés car une collection de masques religieux de leur communauté allaient être vendue aux enchères à Drouot, par l’étude Neret-Minet Tessier & Sarrou.
70 masques « Katsinam » provenant d'une collection privée, qui sont de très belles pièces, en bois et en cuir, souvent très colorés, parfois sertis de plumes, certains représentant des animaux. Ils incarnent l’esprit des ancêtres pour les Hopis.
Le chef de la tribu amérindienne, LeRoy Shingoitewa, a dénoncé cette vente, avec des arguments simples : ces masques, qui ont un caractère religieux, sont une propriété collective de son peuple et cette vente est une « profanation de notre religion ».
Leigh Kuwanwisiwma, le directeur du bureau de la préservation de la culture hopi, explique: « Les Kachinas sont des objets sacrés qui font partie de notre système de croyances et qui sont toujours utilisés aujourd'hui. Ce ne sont pas des objets d'art et ils ne l'ont jamais été. Aucune valeur monétaire ne peut leur être attachée ». Survival International, une organisation qui œuvre pour la préservation des conditions de vie des peuples premiers, a apporté son soutien.
Interdire la vente n’était pas simple, car la protection la plus efficace est réservée aux Etats, par la Convention de l'Unesco régissant la circulation des biens culturels. Le Pérou et le Mexique ont su s’en servir de manière très efficace.
Or, les Etats-Unis n’ont offert qu’une résistance molle comme une chique, l'ambassadeur des Etats-Unis, Charles H. Rivkin se contentant d’une tweet faisant part de « sa tristesse ».
Les vendeurs indiquaient être sûrs de la provenance, car il s’agissait de la collection d’un amateur, constituée entre 1970 et 2000, par achat auprès d’intermédiaires et de galeristes. Certes. Mais cela laisse entière la question de savoir si l’acquisition d’origine avait été licite, et s’il n’y avait lieu de réparer une injustice, voire un affront à cette population.
Gilles Néret-Minet, pleurait déjà devant une remise en cause de la vente et évoquait la menace d'une restitution généralisée des biens culturels provenant des épisodes coloniaux « qui font la base des grands musées du monde qui les ont préservés ». A ceci près qu’ici il y avait une revendication du fait du caractère sacré des masques.
Ce qu’on comprend moins hélas, c’est la réplique qui a été donnée, car la seule procédure engagée a été un référé, jugé en urgence le matin même de la vente. Dans ce cadre, le juge a des pouvoirs limités. Alors que l’alerte était donnée depuis février, il aurait été possible d’obtenir un jugement sur le fond, dans le cadre de la procédure dite à jour fixe, avec des auditions d’experts.
Le juge des référés, selon les extraits donnés par l’AFP, a retenu que si ces biens ont pour les Hopis « une valeur sacrée, une nature religieuse ou s’ils incarnent l’esprit des ancêtres de ces personnes, il reste qu’il est manifeste qu’ils ne peuvent être assimilés à des corps humains ou des éléments du corps de personnes existant ou ayant existé...». Et l’ordonnance ajoute : « Le seul fait que ces objets puissent être qualifiés d’objets de culte (....) ne saurait leur conférer un caractère de biens incessibles de sorte que leur vente caractériserait un trouble manifestement illicite ou un dommage imminent».
Le juge pouvait-il faire davantage dans le cadre de ce référé ? Quelles preuves ont été données sur la portée religieuse ? Sur le droit local interdisant la vente ?
Reste une question de droit : comment le juge peut-il mesurer la portée du caractère sacré ? A partir du moment où les masques sont qualifiés d’objets de culte, c'est-à-dire qu’ils n’ont pas été désaffectés, ils doivent bénéficier de la protection due au titre la liberté de religion. Le juge devait appliquer l’article 1 de la loi de 1905, selon lequel « La République assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes ». Le juge s’est-il prononcé sur cette loi, ce que ne dit pas l’AFP ? Il serait bien intéressant de connaitre la version complète de l’ordonnance de référé.