Imaginons !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 5/05/2017
On a jugé possible une émission (L'Emission politique, France 2) sur les "deux France" avec d'abord un débat où quelques voix qualifiées de grandes ont cherché à nous éclairer sur la réalité de cette dualité qui oppose, pour reprendre l'analyse de l'essayiste anglais David Goodhart, les gens de "quelque part", les oubliés, et les gens "de partout", les mondialistes (Figaro Magazine). On a oublié pourtant de convier dans cet aréopage Eric Zemmour, Michel Onfray, Alain Finkielkraut ou Denis Tillinac. Excusez du peu !
Derrière la charge anti-FN de tel ou tel - elle aurait manqué, on y est tellement habitué -, on a entendu, globalement, des propos assez débilitants, comme si l'avenir était bouché et le présent insupportable. Est-ce si sûr ?
Imaginons.
Emmanuel Macron est notre nouveau président de la République avec un score éclatant et le Front national (FN) n'a pas atteint la barre des 40%. Une victoire nette qui a beaucoup plus de sens et de légitimité que celle de 2002.
Continuons à imaginer.
La prestation lamentable de Marine Le Pen, au soir du 3 mai, constatée par une forte majorité de Français et déplorée même au sein du FN, aboutit à une mise en cause de la présidente dont l'aura, la compétence, la connaissance des dossiers et la capacité d'apaisement se sont avérées catastrophiques. Pourquoi le FN échapperait-il aux bouleversements des partis classiques ? On peut concevoir que Florian Philippot (FP) ou Marion Maréchal-Le Pen (MMLP) tirent prétexte d'une lourde défaite pour suggérer d'autres pistes, une autre stratégie et une autre tactique. D'autant plus que l'un ou l'autre n'auraient pas pu faire pire lors de la confrontation avec Emmanuel Macron ! Une ouverture plus qu'une fermeture.
Les élucubrations et les variations sur l'euro qui ont été dévastatrices seraient abandonnées ou en tout cas imposeraient une clarification qui pourrait laisser FP seul de son avis et donc favoriser MMLP.
Celle-ci qui mêle un conservatisme réfléchi et structuré à une vision économique, financière et européenne plus orthodoxe et par ailleurs jouit d'un talent médiatique et d'une apparence plus consensuelle porterait à son terme une entreprise de dédiabolisation largement engagée par sa tante.
Il faut oser imaginer.
Ce que cette campagne présidentielle que j'ai jugée passionnante nous a appris - c'était ostensible et les querelles et dissensions éclatantes - tient au fait que la droite classique doit se diviser par intelligence et cohérence ou disparaître. Si elle prétend demeurer telle quelle avec la guerre permanente en son sein, à force d'ambiguïtés ce sera sa mort.
Comme l'a très lucidement souligné Denis Tillinac, à l'évidence la "droite libérale tendance libertaire" pourrait rejoindre Emmanuel Macron et on retrouverait, par exemple, dans ce centrisme élargi jusqu'à la gauche modérée Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin, François Baroin, NKM et d'autres encore.
Mais une autre droite, "attachée à la mémoire longue, à un certain respect des traditions, à la protection de la famille, à un refus du multiculturalisme, à un minimum de souverainisme", et par ailleurs ferme sur le plan de la sécurité, du terrorisme et de la Justice - elle existe déjà - serait alors fondée enfin, sans être vilipendée, à mettre en oeuvre une union des droites incluant un FN rénové avec un autre nom, d'autres perspectives et plus soucieux de cumuler des forces que de s'en tenir à une hostilité, à une indépendance contre-productives.
Il n'y aurait rien de scandaleux dans cette remise en ordre de ce côté du paysage politique français.
Encore un peu d'imagination...
Avec l'instauration du scrutin proportionnel, toutes les familles partisanes seraient représentées et nous cesserions pour de bon de nous détruire l'humeur en semblant reprocher au FN de monter grâce au peuple et à la démocratie sans aucune velléité, par ailleurs, de l'interdire.
On éliminerait radicalement le poison de notre République qui a consisté, par conformisme et impuissance, à jeter la pierre éthique au FN faute d'avoir su le contester par politique en dénonçant son programme. Pourtant comme on a pu constater que ce parti, avec sa présidente, quand on lui laissait toute latitude médiatique, accomplissait très bien sa propre néantisation et en fournissait une preuve décisive !
Rien de plus absurde alors que de continuer à diaboliser dans le vide. BHL déclare que le FN est "fasciste", ce qui ne laisse pas d'étonner l'essayiste anglais que j'ai déjà évoqué opposant son bon sens à cet extrémisme de notre boutefeu national.
Audrey Pulvar, sur un autre registre, affirme que "le FN a déjà gagné" parce qu'elle aurait désiré une multitude de manifestants contre la présence du FN au second tour et donc tenait pour rien les quelque 8 millions d'électeurs qui avaient voté pour lui (L'Obs). Je ne doute pas qu'Audrey Pulvar soit une journaliste emblématique et engagée pour la gauche mais naïvement je vois une contradiction entre son exigence de révolte et les règles de notre République. J'ajoute que le FN a d'autant moins gagné que la campagne du second tour, le débat du 3 mai et sans doute l'élection d'Emmanuel Macron ont permis de révéler l'inconsistance de son projet, son manque de sérieux, l'instrumentalisation politicienne et démagogique de la deuxième France - non pas l'immoralité du FN mais sa médiocrité, son discrédit aujourd'hui indéniable. Il a fait plus que perdre des plumes. Sa déroute est une chance historique pour sa métamorphose et l'éclatement salutaire de la droite.
Quant à la gauche à la fois laminée mais prête à offrir son dernier souffle à Jean-Luc Mélenchon - un populisme démocratique trop neuf pour une France qui préfère une Constitution imparfaite qui la laisse dans ses pantoufles plutôt qu'un avenir bien compliqué même avec une VIe République -, on va la regarder se déchirer, obligée d'abandonner des parties d'elle pour sauver l'essentiel. Peut-être de mourir pour renaître.
On a raison d'imaginer.