Open Data RIP ? La réutilisation des informations publiques bientôt dissoute dans le droit des bases de données ?
:: S.I.Lex :: - calimaq, 1/02/2013
La nouvelle vient de tomber que le Tribunal Administratif de Poitiers a rejeté le recours de NotreFamille.com dans le contentieux qui l’opposait aux Archives départementales de la Vienne à propos de la réutilisation commerciale de données d’état civil. La décision du tribunal n’est pas encore accessible, mais elle paraît s’appuyer sur des motifs particulièrement surprenants et inquiétants pour le mouvement d’ouverture des données publiques.
En effet, généralement, le débat à propos de la réutilisation des données d’archives se placent plutôt sur le terrain de « l’exception culturelle » prévue par l’article 11 de la loi du 17 juillet 1978, qui a donné lieu à de nombreux contentieux. La dernière décision rendue par la Cour d’Appel de Lyon à propos du conflit entre NotreFamille.com et les archives du Cantal paraissait néanmoins avoir apporté des clarifications importantes, dans un sens favorable à la réutilisation des données culturelles moyennant les exigences légitimes de protection des données personnelles qu’elles peuvent contenir.
Mais cette fois, c’est le droit des bases de données, semble-t-il, qui a été avancé comme fondement juridique pour refuser la réutilisation des données publiques. Guillaume de Morant sur le site de la Revue française de généalogie indique :
Les arguments utilisés par le tribunal s’appuient sur le droit de la propriété intellectuelle. Le département de la Vienne est considéré comme un producteur de bases de données et à ce titre bénéficie de la protection de leur contenu, puisqu’il atteste « d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ». L’indexation et la mise en ligne des registres paroissiaux et d’état civil par communes a effectivement coûté 230.000 € au Conseil général, sans compter le temps passé par le personnel des archives. Le département peut donc faire ce qu’il veut de ses bases de données, accepter ou non leur réutilisation.
Ce raisonnement est vraiment très surprenant. Bien sûr, il existe un droit des bases de données reconnu par la loi française, dont peuvent théoriquement bénéficier les services d’archives. Mais ce droit doit s’articuler avec les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 relative à la réutilisation des informations publiques.
C’est une nécessité logique, sinon cela reviendrait à dire que les administrations pourraient user à leur guise du droit des bases de donner pour mettre en échec le droit à la réutilisation des informations publiques. La loi de 1978 a d’ailleurs anticipé ce problème et elle prévoit des mesures pour articuler propriété intellectuelle et droit à la réutilisation.
L’article 10 consacre ainsi le principe du droit à la réutilisation des informations publiques :
Les informations figurant dans des documents produits ou reçus par les administrations mentionnées à l’article 1er, quel que soit le support, peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus.
Ce droit fait cependant l’objet d’exceptions, dont une concerne l’articulation avec la propriété intellectuelle :
Ne sont pas considérées comme des informations publiques, pour l’application du présent chapitre, les informations contenues dans des documents : [...]
c) Ou sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle.
Il est bien indiqué ici que ce sont seulement lorsque les droits de propriété intellectuelle appartiennent à des TIERS qu’ils peuvent faire échec au droit à la réutilisation.
Pour donner une exemple concret, cela signifie par exemple que si les archives de la Vienne détiennent dans leurs collections des oeuvres protégées par un droit d’auteur (photos, ouvrages, presse, etc), cela ne rend pas les informations contenues dans ces documents réutilisables pour autant. Le droit de propriété intellectuelle prime alors sur le droit à la réutilisation et c’est bien logique. La CADA explique cela très clairement sur son site Internet : elle accepte que ces documents protégés par le droit d’auteur puissent être communiqués, mais pas que les informations qu’ils contiennent puissent être réutilisées.
La CADA a eu cependant une interprétation assez extensive de cet article, car elle a considéré que les agents publics doivent être considérés comme des tiers par rapport à l’administration, même quand ils créent des oeuvres de l’esprit dans le cadre de leurs missions de service public, et cela peut parfois générer des complications en matière d’ouverture des données publiques.
Mais ces considérations n’ont pas ici à entrer en ligne de compte, car si l’on suit la loi sur les bases de données, c’est bien le département de la Vienne, en tant que personne morale, qui est le titulaire originel du droit des bases de données. Il ne s’agit donc nullement d’un tiers par rapport à l’administration.
On ne voit absolument pas comment comment le Tribunal Administratif de Poitiers a pu retenir cet argument, qui fait prévaloir de manière abusive le droit des bases de données et présente le risque de faire littéralement disparaître le droit à la réutilisation des informations publiques. Un tel jugement paraît bien fragile et sera sans doute renversé en appel.
Il faudra attendre d’avoir la décision en main pour comprendre exactement les ressorts de cette étrange décision (je ferai lors une mise à jour de ce billet). Mais il est clair que si l’on suit cette direction, autant dire que le mouvement d’ouverture des données publiques en France (et pas seulement des données culturelles) sera sérieusement hypothéqué.
C’est encore un cas où un droit de propriété intellectuelle fait obstacle à l’exercice d’un droit reconnu aux citoyens…
PS : pour dépasser l’analyse purement juridique et replacer cette affaire dans la perspective de la problématique des biens communs de la connaissance, je vous recommande d’aller lire le billet écrit par Jordi Navarro sur son blog « Game of Commons : l’hiver vient« .
Citation on ne peut plus explicite quant aux enseignements qu’il tire de cette affaire et que je partage complètement :
[L'utilisation du droit des bases de données] a au moins le mérite de montrer clairement les choses. Les Conseils Généraux qui ont refusé la demande de Notrefamille.com n’ont en réalité qu’une seule volonté : celle de s’octroyer une exclusivité pour la diffusion des biens communs.
Ne nous y trompons pas, la protection des données personnelles qui était invoquée jusqu’alors par d’autres départements n’était qu’un leurre. Le seul objectif poursuivi est celui de demeurer les seuls à diffuser des reproductions de documents d’archives.
Et cela n’est pas tolérable.
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