Christiane Taubira : la politique du pire
Justice au singulier - philippe.bilger, 22/07/2013
Il n'y a rien à faire pour arrêter le cours fatal d'un dogmatisme judiciaire qui, paré de l'humanisme socialiste, s'apprête à nous fabriquer des lendemains qui déchantent et des victimes délaissées.
Rien à faire vraiment ?
La loi de lutte contre la récidive doit être inscrite au Conseil des ministres au mois de septembre. Son esprit est détestable et la réalité a beau lui apporter quotidiennement des démentis pour l'augmentation de l'insécurité, la gravité de beaucoup de délits et de crimes, l'intensité accrue de la violence et un univers pénitentiaire non pas à supprimer mais à renforcer dans son utilité et sa dignité, nul doute que, le moment venu, elle obtiendra l'aval d'un Pouvoir pourtant écartelé entre ce qu'il pressent des attentes citoyennes et son idéologie noblement compassionnelle. A nos risques et périls.
S'il reste un peu d'espoir, il tient au fait que Christiane Taubira, l'ivresse parlementaire dissipée, ne s'accorde pas avec l'intuition prudente du président de la République qui perçoit et craint les orages politiques, se trouve clairement en opposition avec le pragmatisme intelligent de Manuel Valls et surtout heurte le bon sens d'une partie des parlementaires socialistes, par exemple le député Dominique Raimbourg, qui mesurent le désastre de ce qui se prépare parce qu'ils sont en contact avec le peuple au quotidien. Celui-ci se soucie comme d'une guigne que les peines planchers aient été votées sous Nicolas Sarkozy, seul compte pour lui le fait qu'elles ont démontré leur efficacité et que donc elles devraient être conservées dans notre arsenal répressif.
Pourtant, on s'oriente vers leur abolition.
L'une des idées les plus absurdes et dangereuses proposée par cette "conférence de consensus" initiée par la ministre sous la présidence de la syndiquée Nicole Maestracci, depuis peu au Conseil constitutionnel, évoque la possibilité d'une libération automatique des détenus aux deux tiers de la peine, voire à mi-peine.
Est-il nécessaire d'insister sur l'aberration d'une telle mesure, justement dénoncée par Dominique Raimbourg lui-même ? Comment même a-t-on pu envisager qu'un moment crucial de la vie pénitentiaire puisse ainsi se passer de délibération et entraîner, si rapidement, des élargissements qui, pour conditionnels qu'ils soient, choqueront les victimes ou leurs familles et offenseront les tenants d'une exécution cohérente des peines ?
Si l'ironie est permise, il est piquant de constater que l'automaticité serait instaurée là où elle est la plus néfaste alors que les peines planchers n'ont pas cessé d'être décriées par la gauche parce qu'elles réduisaient la liberté du juge. Comprenne qui pourra, qui voudra.
Ce qui également laisse songeur, pour ne pas dire plus, tient à cette volonté de ne pas faire révoquer automatiquement le sursis d'une première condamnation quand une deuxième a été édictée. Seule cette dernière serait exécutée de sorte que, conséquence inévitable, le sursis perdrait toute valeur et n'aurait plus le moindre effet dissuasif alors qu'il en a déjà si peu.
La rétention de sûreté tellement honnie lors de son apparition et inspirée de certains exemples étrangers visant, après avoir sanctionné le passé, à préserver l'avenir, ne serait pas sacrifiée, protégée paradoxalement par la difficulté de sa suppression.
Les élucubrations - comment nommer autrement des concepts que la réalité non seulement n'a pas validés mais rendrait dévastateurs pour la société si jamais une majorité d'irresponsables et de naïfs les approuvaient ? - de ce projet de loi sont articulées sur la double idée fausse que dans une communauté, les coupables sont plus à considérer que les victimes, les transgresseurs et les détenus plus que la masse des honnêtes gens et que la prison est non pas un outil irremplaçable de sauvegarde sociale mais la cause de tout, notamment des crimes, des délits et de leur récidive.
Aussi simpliste que soit l'argument, il y a, de la part de ceux qui tiennent la détestation de l'enfermement pour l'alpha et l'oméga de toute politique pénale, l'obsession de déplorer que la prison ne prévienne pas la récidive. Alors qu'elle a joué ce rôle au moins pour les 50% qui n'y reviennent plus et que pour la seconde moitié il faut sans doute accepter le constat déprimant pour une gauche rêveuse que la vie libre est criminogène et que ce n'est pas l'enfermement qui a suscité la rechute mais soi-même par paresse, facilité, lucre ou mépris.
Il y en a assez de ces poncifs qui traînent dans les couloirs d'une pensée conformiste.
La rigueur ne démontre pas l'absence de coeur des gouvernants mais au contraire, quand ils savent réaliser cette synthèse opératoire entre la sévérité et l'humanité, leur souci de l'autre, leur sollicitude collective et la capacité de l'Etat à prendre en charge les faibles, les fragiles, les blessés de l'insécurité.
Des familles de victimes représentées par Sophie Piel dont les parents ont été assassinés en 1982 ont alerté la garde des Sceaux sur le caractère néfaste de ces dispositions. Sans résultat autre qu'une lettre générale et des courriers personnalisés emplis d'erreurs révélatrices du peu d'attention que les tragédies suscitent dans les univers bureaucratiques.
Mais Dominique Raimbourg a reçu Sophie Piel. Ce n'est presque rien mais aujourd'hui on se contente de peu.
Cette politique du pire, qui nous attend et qui s'élabore en toute bonne conscience socialiste, qu'on ne se leurre pas, aura des effets ravageurs sur le plan politique. Que la ministre garde bien en mémoire les conséquences délétères, pour ses amis du Syndicat de la magistrature, du Mur des cons - pour moi, les cons du Mur - sur le plan syndical. Une chute très sensible, une régression forte.
Cela pourrait se généraliser si Christiane Taubira continue à faire, d'une certaine façon, cavalier seul.
François Hollande ne s'est-il pas faussement interrogé récemment lors de sa rencontre informelle avec cent journalistes :"Pourquoi les Français adhéreraient-ils à une politique si elle ne se traduit pas par des résultats probants ?".
Il ne pensait pas à la Justice ? Je l'y mets.