De la carte du tendre au retour dans le dur...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 17/04/2019
Notre-Dame de Paris a été la proie des flammes le 15 avril.
Le président de la République, lors de cette soirée, s'est rendu à deux reprises sur place et a fait une intervention que j'ai beaucoup appréciée. Nécessaire, digne et sobre.
Le discours qu'il a jugé bon d'adresser aux Français le 16 avril à 20 heures ne m'est pas apparu aussi remarquable.
Je lui reconnais cependant le mérite d'avoir été de courte durée, ce qui n'est pas dans les habitudes d'Emmanuel Macron.
Je l'ai trouvé d'abord inutile parce que l'essentiel avait été dit la veille, brillamment, avec gravité et émotion. Le lendemain j'ai perçu comme une redondance, un ressassement. Ce qui n'a pas été sans expliquer la déception éprouvée par beaucoup qui ont trouvé l'apparence du président affectée, peu sincère (BFM TV, Sud Radio).
Il me semble que cette impression a pu se dégager de sa brève allocution précisément parce que, pour le registre du sujet apparent de Notre-Dame de Paris, elle était superfétatoire mais qu'on sentait bien qu'il y avait un "sous-texte"(Huffington Post).
Ce propos allusif mais si transparent visait à communiquer aux Français - et pas seulement aux Gilets jaunes - une tonalité compassionnelle, une exigence d'affection réciproque, un désir de confiance et la certitude d'une renaissance. Le coeur et la sensibilité étaient en première ligne et il était difficile de s'opposer frontalement à cette diffusion d'une morale démocratique, douce et généreuse.
Une carte du tendre. Aimons-nous, aimons la France, notre pays vaincra. Bien au-delà des cinq ans envisagés pour la reconstruction de notre cathédrale.
Ce n'est pas par hasard que le président a éprouvé le besoin de créer cette passerelle en quelque sorte entre l'incendie dévastateur et le retour dans le dur auquel il ne pourra pas échapper, peut-être le 23 avril, juste après le lundi de Pâques.
Ayant dû naturellement reporter son discours du 15 avril sur le fond des annonces (tirées du Grand débat), annuler sa conférence de presse du 17 avril, prendre acte du fait que des fuites dans les ministères avaient fait connaître l'essentiel des mesures qu'il allait proposer, il lui fallait se servir de son propos du 16 au soir pour préparer le terrain. Pour informer que la suite tant attendue viendrait mais créer surtout un tapis démocratique suave et moelleux à partir duquel le dur à affronter prochainement serait peut-être accueilli plus favorablement.
Illusion à entendre les premières réactions des Gilets jaunes qui, de toutes manières, ont une étrange conception de la République : seul leur donner absolument raison sur tout serait tolérable.
Pourtant ce qui a "fuité" au point de rendre probablement inutilisable la première mouture du 15 avril ne sera pas sans incidence, sans influence. Sans doute le président, dont l'ambition n'est pas seulement de répondre aux Gilets jaunes mais de parler à tous les Français, sera-t-il conduit à intégrer dans sa prochaine intervention des répliques et justifications aux critiques déjà formulées ici ou là, que ce soit pour la suppression démagogique de l'ENA ou l'interdiction de faire disparaître jusqu'à la fin de son quinquennat hôpitaux et écoles.
Quand j'ai évoqué l'alliance étrange, inédite, dans la journée du 15, entre la politique et la probable désunion partisane d'un côté et la ferveur de l'union autour de Notre-Dame de l'autre et que j'en espérais une pacification démocratique, j'ai constaté très vite, à entendre quelques Gilets jaunes et les propos acerbes sur la générosité incontestable de certains donateurs, que c'était un voeu pieux.
De même, je le crains, que l'allocution du président le 16 avril.
Détestez-vous les uns les autres : la carte du tendre durant six minutes a prétendu prodiguer un autre enseignement que cette déplorable injonction.
En vain. On est déjà dans le dur.