Les prendre aux mots !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 3/04/2015
Faut-il prendre les politiciens aux mots ?
Avec les élections départementales, tant ont été prononcés. Après le premier tour, des mots de victoire et des mots de mauvais perdants. Après le second tour, des mots de triomphe et des mots tout de déception rentrée. Des mots comme un catéchisme et des mots comme une espérance. Tellement de mots qui espèrent convaincre, des mots accusant hier, des mots pour demain, des mots accablés par aujourd'hui.
Des mots auxquels on croit, des mots qu'on jette, des mots qui blessent, des mots qui se moquent, des mots sans retenue qui s'égarent, des mots qui fustigent des apparences contre lesquelles nul ne peut rien.
Des mots comme des promesses mais si vite démenties, des mots pour donner l'impression d'agir, des mots doux pour flatter, des mots armés pour faire peur, des mots chargés jusqu'à la gueule pour faire illusion, tellement de mots, en définitive pour rien, pour durer, pour exister, pour se prouver qu'on existe.
Des mots de provocation, d'entêtement, pour montrer qu'on ne recule devant rien, qu'on est capable de tout et qu'on préfère renouveler une absurdité plutôt que se replier en soi et s'abstenir.
C'est Jean-Marie Le Pen, pathétique et malfaisant, faisant dès que possible rentrer le diable par la fenêtre quand sa fille a réussi à le faire sortir par la porte. C'est une histoire d'affection et de jalousie qui va mal finir pour le FN ou pour eux. Un tel don pour les mots, mais gouverné non par l'exigence de vérité mais par le seul souci de faire trembler, de faire frémir. Des mots comme des attentats, de mots de reître avec l'imparfait du subjonctif. Des mots pour mal nommer, minimiser le passé sombre parce que la nostalgie du sien l'égare. Des mots pour se raccrocher aux mots comme on se raccroche aux branches.
Des mots décisifs, péremptoires, un peu ridicules parce qu'on ne sait rien et que l'avenir ne se prévoit pas. Des mots grandiloquents, des mots comme un couperet, moins pour convaincre que pour se convaincre. Les mots du Premier ministre, cinq jours avant le premier tour des élections départementales dans un meeting, ces mots comme une caresse à la démocratie pour l'inviter à consentir, une prière à la République pour la faire pencher de son côté, ces mots-là : "Les Français ne voudront plus jamais de Nicolas Sarkozy".
Des mots risqués, des mots légers et imprudents mais qui, même si on s'en défie, dans l'instant font chaud au coeur et à l'esprit, rassurent le citoyen et tranquillisent le peuple. Ainsi, c'est vrai, il ne reviendra pas, on n'en voudra plus ? Mais si vite dissipée cette accalmie, ce moment béni où on s'imagine que l'avenir sera forcément neuf, inventé, non la monotone répétition d'un passé décevant.
Car il y a eu tant de mots, de ce Premier ministre, de ce pouvoir, de ces ministres, tant de mots à peine proférés relégués par le réel, tant de mots prodigués comme des cadeaux pour faire patienter, pour faire supporter, tant de mots emplis de leur seule sonorité sans l'ombre d'une vraisemblance, tant de mots gangrenés par le cynisme, le mensonge ou l'indifférence.
Alors, on se doute bien que peut-être les Français voudront encore de Nicolas Sarkozy.
Tant de mots, alors, se précipitent pour démontrer, s'indigner, condamner, déplorer et accabler ce peuple qui n'a rien appris et tout oublié.
Les mots pour s'enivrer, se perdre, songer à autre chose, les mots pour faire contre mauvaise fortune bon langage. Des mots frais et vivants contre l'insupportable pesanteur des choix politiques et des élections programmées.
Des mots pour se distraire de la condition mortelle.
Tellement de mots et si peu de conscience, de vérité, de gravité.
Tellement de mots pour la comédie du pouvoir quand dans les coulisses se déroule la dure, douloureuse, honorable existence de la multitude.
Tellement de mots vides orphelins d'un impossible silence.
Les prendre aux mots, alors ?
Oui, car on n'a pas le choix.