Des militaires à tout faire : une faute
Justice au Singulier - philippe.bilger, 21/03/2019
Les débats médiatiques ne servent pas seulement à exprimer son avis mais à écouter celui des autres et par conséquent à pouvoir changer d'avis.
Dans les Vraies Voix du 20 mars sur Sud Radio, nous avons discuté de l'opportunité de faire garder des bâtiments et protéger certains commerces par des militaires de l'Opération Sentinelle, comme le gouvernement l'a décidé, en prévision du samedi 23 mars.
Philippe David y était absolument hostile et Françoise Degois, plus partagée, pointait cependant des risques. Pour ma part, immédiatement sensible à ce que l'armée pourrait apporter comme sûreté et tranquillité publiques, j'avais eu tendance à valider cette disposition.
Le lendemain, n'ayant pas pu écouter en direct les échanges sur BFM TV des six responsables de partis sur différents thèmes dont cette mise à contribution de l'armée, j'en ai lu les principaux extraits et il m'est apparu que, si Stanislas Guerini (LREM), François Bayrou (MoDem) et Laurent Wauquiez (LR) y étaient favorables, les trois autres y étaient opposés sur un mode qui m'a davantage convaincu (Le Figaro).
J'avoue avoir tiré des leçons de l'ensemble de ces points de vue et n'avoir aucun scrupule à me déjuger.
D'abord il est clair que ce recours aux militaires se présente plus comme une solution de dernière extrémité que comme une opération mûrement réfléchie. Si ce pouvoir n'avait pas battu tous les records de lenteur pour mettre en oeuvre des solutions fiables afin de maintenir l'ordre, il n'aurait pas été contraint d'en arriver là, signe d'une impuissance dans le registre classique et démocratique.
Ces militaires sont heureusement voués à nous protéger des actes terroristes et ils ont démontré à plusieurs reprises leur efficacité. Les détourner de leur mission consacrée au terrorisme pour en faire des gardiens d'immeubles et de commerces est non seulement absurde mais sera probablement inefficace, en tout cas dangereux. Qu'on pense le pire de ces ignobles Black Blocs et des Gilets jaunes qui les ont accompagnés ou qui les ont applaudis, ces groupes n'ont rien à voir avec la spécificité du terrorisme.
Ces militaires non formés pour le maintien de l'ordre, qui vont être impliqués dans un combat populaire certes dévoyé depuis longtemps mais à l'égard duquel ils n'ont pas vocation à banaliser la force et l'autorité qui sont les leurs, au risque de fracturer l'entente républicaine entre les citoyens et leur armée, seront le 23 mars soumis à des assauts, des atteintes qui les troubleront, les déstabiliseront.
Dans le pire des cas, des imbéciles agressifs, des harceleurs inconscients, des trublions provocateurs ou des violents désireux de les tester viendront s'en prendre à eux et quelle sera alors leur réaction ? On sait que si cette journée présente au soir le bilan d'un seul mort, toute la mesure à laquelle policiers et gendarmes ont été contraints depuis la mi-novembre sera oubliée.
Un mort, et ce serait peut-être enfin le début d'un apaisement stupéfié par l'issue dramatique de tant de violences, désordres et destructions. Ou, plus probablement, l'excitation, jusqu'au paroxysme, d'un pays qui semble pour l'instant n'aspirer qu'à une seule chose : se montrer jusqu'où il est capable d'aller trop loin !
J'avais formulé, en émettant mon approbation initiale, l'espérance que face à des militaires, il y aurait comme une retenue, une prise de conscience, une peur de la part des casseurs et des Gilets jaunes de plus en plus vindicatifs à proportion de leur impatience politique et sociale. Mais je n'y crois pas vraiment. Ce serait trop beau.
Et tout nous montre que l'ère de la folie n'est pas derrière mais encore devant nous. Je parie que les solutions qui seront dégagées à la suite du Grand Débat national par le pouvoir seront immédiatement récusées par la majorité des Gilets jaunes qui continuera à proclamer par un réflexe sans cause : "On ne lâchera rien !".
Alors, prendre les militaires pour des hommes à tout faire, parce qu'on n'a pas été capable d'être à la hauteur des défis lancés avant et sans interruption depuis quatre mois, serait en effet une faute.
Et, si le pire advient, un crime.