L'autorité de l'Etat ou la révolte de la société ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 28/02/2015
L'alternative est simple et il n'y a aucun mystère.
Quand l'Etat est faible, la société a besoin d'une force. Même dans ses attentes, dans ses espérances.
Quand l'autorité de l'Etat est défaillante, la société se révolte parce qu'elle a besoin de combler ce vide qui l'angoisse.
Quand l'Etat ne rassure ni ne tranquillise, la société laisse resurgir ses démons et ses obscurités.
Un récent sondage Cevipof sur la psychologie collective des Français présente, sur un certain plan, des résultats aujourd'hui à la fois préoccupants et inévitables (Le Monde, Le Parisien, Figaro Vox).
L'opinion aspire à un homme providentiel qui saurait susciter la confiance par l'alliage si rare, si précieux entre humanité, exemplarité, fiabilité et fermeté. Il est clair qu'aussi estimable que soit François Hollande, celui-ci est loin, toutefois, de cette image rêvée.
Elle souhaite le retour de l'autorité sous toutes ses formes. Il est manifeste que, si on sort du verbe et de l'incantatoire, nos gouvernants ne cessent pas de justifier cette nostalgie qui reflète le désarroi de citoyens qui ne perçoivent plus la France comme tenue, comme on pourrait de le dire d'une maison - et n'est-elle pas notre maison commune ?
Surtout, du mois d'octobre 2011 au mois de décembre 2013, on est passé de 35% des Français favorables au rétablissement de la peine de mort à 50% de ceux-ci.
Je ne méprise pas cette part importante de notre communauté nationale qui croit trouver, dans l'appel à cette sanction irréversible, un remède aux maux et aux inquiétudes qui la rongent.
Je ne méconnais pas que l'atmosphère tragique du mois de janvier, ce climat de sang et de mort qui a bouleversé la France n'ont sans doute pas été pour rien dans cette résurgence significative. Les crimes sont doublement pervers : d'abord à cause des victimes directes qu'ils créent et, indirectement, par l'incidence délétère qu'ils ont sur les esprits, la contagion trouble qu'ils diffusent.
Mais qui peut nier qu'à titre principal, en quelque sorte par un effet mécanique, au regard de ces vases communicants que sont l'Etat et la société, l'une s'emplissant quand l'autre se déleste, le laxisme idéologique de la politique pénale et le discours obstinément lénifiant de Christiane Taubira ne sont pas responsables de cette compensation citoyenne ?
L'indifférence à l'égard des exigences du peuple en matière de justice, de cette irruption impétueuse du peuple dans le "judiciairement correct" qui avait considéré, comme un humanisme acquis, le refus par beaucoup de la peine de mort ?
Que cette volonté subitement accrue de la voir restaurée ne réponde pas aux défis de la délinquance et de la criminalité, qui imposeraient bien davantage que cet appétit de mort, n'est pas discutable.
Reste que ce qui compte est la montée irrésistible de cette appétence comme remède instinctif et brutal au délitement proposé par une philosophie pénale qui oublie tout ce qui la rend infirme, n'apprend rien du réel et demeure dans une superbe et condescendante autarcie.
Le président de la République et le gouvernement n'ont pas de mots assez forts pour dénoncer la "lèpre" du racisme et de l'antisémitisme. Mais s'ils se souciaient aussi de la corruption intellectuelle et morale, blâmable mais compréhensible, sécrétée chez la moitié de nos concitoyens par les ravages d'un ressassement doctrinaire et d'un mépris sourd et aveugle ?
La peine de mort est abolie. Heureusement. Qu'elle habite à nouveau les têtes est un triste signe.
Ce sera, pour demain, l'autorité de l'Etat ou la révolte d'une société qui sans trop de délicatesse lui rappellera qu'elle existe et se fera entendre.