Au procès Bonnemaison, la fin de vie loin des « images de cinéma »
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 19/06/2014
Ce témoignage qui a secoué l'audience, jeudi 19 juin, on voudrait le livrer brut, tel qu'on l'a entendu. Il émane d'une femme menue, qui parle avec cette puissance qu'ont les timides quand ils triomphent de leur voix mal assurée. Marie-Pierre Kuhn a 45 ans, elle est médecin réanimateur à l'hôpital de Bayonne. Elle connaît bien Nicolas Bonnemaison, elle a souvent travaillé avec lui, elle a été citée à la barre par sa défense.
Comme les trois autres médecins qui l'ont précédée, un professeur anesthésiste-réanimateur de Clermont-Ferrand, Jean-Etienne Bazin, un généraliste retraité qui a exercé dans le Vaucluse, Bernard Senet, un ancien cardiologue de Saint-Jean-de-Luz, Jean-Pierre Lacassagne, elle raconte la mort affrontée au quotidien, la mort accompagnée, et la mort aussi, parfois, accélérée. Elle ne milite pas, elle témoigne.
Et cette petite voix monte et porte, de plus en plus loin, de plus en plus fort, dans le silence chaque minute plus dense qui l'accueille dans la salle d'audience. Elle parle d'un premier patient, jeune encore, atteint d'un cancer du poumon. « Il était sous morphine, il fallait l'aspirer toutes les demi-heures car il s'étouffait avec sa salive. Mais son cœur était solide. Au cinquième jour, mon chef de service a mis en place une injection de potassium et son cœur s'est arrêté au bout de deux heures. »
Elle évoque cet autre patient, âgé de 45 ans, atteint lui aussi d'un très grave cancer du poumon. Elle l'installe devant la cour. On le voit, par ses mots, alors qu'il sort du bloc opératoire, une plaie béante sur le torse. On croit sentir son angoisse quand il se réveille et découvre sa mutilation. « Le chirurgien a tenté de le rassurer, il a accepté quelques soins. Le lendemain, son état s'est vraiment dégradé. A un moment, il est devenu nécessaire de le mettre sous respirateur. Il a très fermement refusé. Sa femme était là, elle m'a dit qu'il fallait l'écouter. Il avait trois enfants de l'âge des miens, il a souhaité les voir. Il a aussi demandé que sa première épouse vienne et qu'on lui explique la situation. Je l'ai fait, je les ai tous reçus. J'ai fait le point avec le radiologue. On s'est mis d'accord sur le fait qu'on allait s'en tenir là. Je suis revenue vers sa femme. J'ai expliqué encore. Je lui ai dit: "Il va perdre pied, il ne pourra plus décider. Voulez-vous qu'on s'en tienne à ce qu'il a demandé ? Elle a acquiescé. Ça m'a pris quatre heures. » Sa voix s'étrangle. Elle reprend. « Au bout de ces quatre heures, j'ai poussé une seringue d'Hypnovel et il est mort dans les bras de sa femme. »
« Quand l'agonie se prolonge, c'est vraiment terrible »
Elle dit encore. « La fin de vie, on en a des images de cinéma. Un souffle qui s'arrête doucement et les yeux que l'on ferme. Mais nous, les médecins, ce n'est pas la fin de vie qu'on connaît. » Et sans reprendre son souffle, elle poursuit. « Il y a deux phases. La phase pré-agonique dans laquelle le corps souffre, notamment les intestins. Il y a souvent une grande débâcle de diarrhée. Des convulsions. Des hallucinations. Là, il faut avoir recours à l'Hypnovel. Puis vient la phase agonique. Il n'y a plus d'état de conscience. C'est juste une lutte du corps contre l'oxygène qui le quitte. C'est là qu'intervient le "gasp", le râle. Et sur cette phase-là, aucun médicament ne marche. Quand ces "gasps" sont modérés, on peut les supporter. Mais parfois, c'est spectaculaire, et quand l'agonie se prolonge, c'est vraiment terrible. Le docteur Bonnemaison, c'est cette phase-là qu'il a voulu éviter à ses patients et à leurs familles. »
Marie-Pierre Kuhn s'est tue. Personne, ni le président de la cour, ni l'avocat de la partie civile, ni l'avocat général, ni les avocats de la défense, n'a jugé utile de lui en faire dire davantage. Et le président a suspendu l'audience.