Clap de fin pour le procès à l’agrégateur de presse Meltwater
Paralipomènes - Michèle Battisti, 24/06/2014
Épilogue d’un procès opposant, au Royaume-Uni, l’agrégateur de presse Meltwater à la presse britannique, qui mettait en lice la consultation des articles sur Internet et la copie cache. L’occasion d’évoquer la question du lien et de l’extrait de presse.
Pourquoi un procès ? L’agrégateur de presse Meltwater envoie à ses clients les titres des articles de presse répondant à leurs besoins suivis de quelques mots-clés, des premières lignes et d’un lien permettant de consulter l’article dans une version intégrale sur Internet. Meltwater paie des droits d’auteur pour les copies lui permettant de réaliser sa prestation et les clients de Meltwater paient pour les extraits reçus via des messages électroniques. Mais qu’en est-il de la consultation par les clients de Meltwater de l’intégralité de l’article en accès libre sur les sites des éditeurs ? C’est à cette question que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de répondre (arrêt C 360/13 du 5 juin 2014).
L’agrégation de presse en quelques focus juridiques
Reproduire l’extrait d’une œuvre ? Un extrait d’une œuvre protégée ne peut pas être reproduit sans l’accord des titulaires de droits. C’est ce que la CJUE a souligné dans un procès opposant au Danemark Infopaq, un prestataire de veille, à la presse danoise (arrêt Infopaq I du 16 juillet 2009 détaillé ci-après). Voilà ce que Meltwater ne revendiquait pas, c’est vrai, au Royaume-Uni. Mais aux États-Unis, Meltwater a été condamné le 20 mars 2013 pour avoir repris, sans autorisation expresse, des extraits sur le Web, en s’appuyant sur la théorie du Fair Use. Attaqué par l’Associated Press, les juges ont estimé qu’il y avait, dans ce cas précis, concurrence déloyale[1].
Faire un lien ? Ce n’est pas un acte de communication au public et aucun État de l’Union ne peut aller au-delà du droit de communication tel que défini dans l’article 3.1 de la directive européenne sur le droit d’auteur. « La mise à disposition d’œuvre au moyen d’un lien cliquable ne conduit pas à communiquer ces œuvres à un public nouveau ». « Le public ciblé par la communication initiale était l’ensemble des visiteurs potentiels du site ». Voici ce que vient d’affirmer la CJUE, dans un procès qui opposait des journalistes suédois à Retriever Sverige, un agrégateur de presse suédois qui fournit des listes de liens Internet à ses clients (arrêt Svensson du 13 février 2014).
Consulter en ligne un article en libre accès ? L’arrêt Meltwater du 5 juin 2014 confirme (sans surprise) que les copies sur l’écran d’ordinateur de l’utilisateur et les copies dans le cache du disque dur de cet ordinateur, effectuées par un utilisateur final au cours de la consultation d’un site Internet sont provisoires, qu’elles présentent un caractère transitoire ou accessoire et constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et qu’elles remplissent ainsi les conditions imposées pour bénéficier de l’exception au droit d’auteur de l’article 5.1 de la directive européenne sur le droit d’auteur. Aucune autorisation des ayants droit n’est requise pour ceci.
La copie technique avait déjà fait l’objet d’une ordonnance de la CJUE. Il s’agissait en l’occurrence des copies faites par Infopaq,le prestataire de veille danois. Pour la Cour, dans une deuxième décision portant sur Infopaq, les copies faites à l’occasion d’une procédure dite « d’acquisition des données » par le prestataire répondaient aux conditions requises par l’article 5.1 (ci-dessus) et ce, même en dépit de l’intervention humaine à certains moments du processus.
Qu’en conclure ?
Copier un extrait, en l’occurrence quelques lignes d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, est « susceptible de relever de la notion de reproduction partielle » et serait interdit, sans autorisation expresse. Mais il est impossible d’interdire de faire un lien vers un article en libre accès ou de demander aux clients d’un prestataire des droits pour consulter en ligne les articles mis en ligne, en l’occurrence ici par les éditeurs de presse, en libre accès sur les réseaux.
Les arrêts et ordonnances de la CJUE
Infopaq I C 05/08. Infopaq International A/S c/ Danske Dagblades Forening. Arrêt de la Cour du 16 juillet 2009. Lors de la procédure « d’acquisition des données », le prestataire « met en mémoire informatique un extrait d’une œuvre protégée composé de onze mots et imprime cet extrait », ce qui représente une reproduction partielle si les éléments ainsi repris sont l’expression de la création intellectuelle propre à leur auteur. Si certaines étapes de cette procédure ne relèvent pas de l’exception pour copie technique, il appartient aux tribunaux danois, pays du litige, de vérifier si imprimer un extrait (ou plus précisément des séries d’extraits) composé de onze mots, lors de cette procédure, est protégé par le droit d’auteur … et les tribunaux danois ont décidé qu’il en était ainsi, en mars 2013 (soit 8 ans après le début du procès au Danemark)[2] alors que les tribunaux suédois se seraient prononcés en faveur d’Infopaq en 2008. Et en France ? La reproduction partielle faite sans le consentement de l’auteur est illicite, selon l’article L 122-4 du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
Infopaq II C 302/10. Infopaq International A/S c/ Danske Dagblades Forening (un syndicat de la presse danoise). Ordonnance de la Cour du 17 janvier 2012. Il était demandé d’affiner la notion de copie technique. Pour la CJUE, les copies faites lors de la procédure dite « d’acquisition des données » relèvent de l’exception accordée à (certaines) copies techniques. Pour elle, « ces actes sont une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique, bien que le départ et la fin impliquent une intervention humaine ; ils poursuivent une finalité de permettre une utilisation licite d’une œuvre ou d’un objet protégé, n’ont pas de signification économique indépendante car leur mise en œuvre ne permet pas de réaliser un bénéfice supplémentaire, allant au-delà de celui tiré de l’utilisation licite de l’œuvre protégée, et parce que les actes de reproduction provisoires n’aboutissent pas à une modification de l’œuvre. »
Si toutes les conditions de l’article 5.1 sont remplies, elles satisfont au test des trois (deux) étapes) de la directive (article 5.5) qui impose de vérifier que « les actes de reproduction ainsi autorisés ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit ».
Svensson C 466/12. Nils Svensson, Sten Sjögren, Madelaine Sahlman, Pia Gadd c/ Retriever Sverige AB. Arrêt du 13 février 2014. Conformément à l’article 3 de la directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur, « ne constitue pas un acte de communication au public, (….) la fourniture sur un site Internet de liens cliquables vers des œuvres librement disponibles sur un autre site Internet. Aucun État membre ne peut protéger plus amplement les titulaires d’un droit d’auteur en prévoyant que la notion de communication au public comprend davantage d’opérations que celles visées par l’article 3.
Meltwater C 360/13. Public Relations Consultants Association Limited c/ The Newspaper Licensing Agency Limited and others. Arrêt de la Cour du 5 juin 2014. Les copies sur l’écran d’ordinateur de l’utilisateur et les copies dans le «cache» du disque dur de cet ordinateur, effectuées par un utilisateur final au cours de la consultation d’un site Internet, satisfont aux conditions de l’article 5.1 de la directive sur le droit d’auteur selon lesquelles ces copies doivent être provisoires, présenter un caractère transitoire ou accessoire et constituer une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique, ainsi qu’aux conditions de l’article 5.5 de cette directive. Elles peuvent être réalisées sans l’autorisation des titulaires de droits d’auteur.
Sources : Outre le site de la CJUE, Gigaom et Kluwer Copyright Blog
Ill. Presse xylographique à bras. Wikipédia
[1] AP wins big: Why a court said clipping content is not fair use, Jeff John Roberts, Gigaom, Mar. 22, 2013.
[2] Denmark : Infopaq-case finally decided after eight years, Maria Fredenslund, Kluwer Copyright blog, 17 May 2013.