François Hollande n'a plus que lui !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 19/04/2015
La psychologie me passionne. Dans le domaine politique, comparer les personnalités entre elles est un moyen d'aller au plus près de leur vérité. Cette analyse est permise à tous quand on ne peut pas prétendre à une omniscience technique et argumentée.
A considérer l'évolution de François Hollande au cours de ces derniers mois, dans sa manière de communiquer et de créer jusqu'à la simplicité ostensible une relation chaleureuse avec les Français, je suis frappé de constater que chez lui tout est réfléchi, organisé... et pourtant guère efficace.
Parce qu'en réalité, le président de la République cherche à nous convaincre de ce dont nous sommes déjà persuadés et se trouve impuissant face à l'essentiel.
En s'adressant à la communauté nationale par tranches, il s'obstine à montrer qu'il est sympathique et capable de dialogue - aimable, pour résumer - alors qu'il nous importerait davantage de le savoir véritablement présidentiel. L'homme n'est pas caractériel, tant mieux, mais nous doutons de plus en plus de sa capacité non pas à assumer sa charge, mais à se transcender en vainqueur pour la France.
Se souvenir de Nicolas Sarkozy durant son quinquennat révèle à quel point ces deux bêtes politiques sont antagonistes dans leur méthode même si, superficiellement, François Hollande s'est vite rapproché d'un style et d'une omniprésence qu'il semblait pourtant récuser.
L'ancien président de la République n'a cessé d'être victime d'un tempérament qui ne brillait pas par la délicatesse. Les grossièretés relevées à loisir - langage, portable, chewing-gum, rapport à l'argent, familiarités - ne résultaient pas, chez lui, d'une affectation de simplicité mais d'une expansion de soi et d'un narcissisme contre lesquels, en définitive, il ne pouvait rien et qui entravaient non pas sa frénésie d'action mais l'équité des jugements que les citoyens portaient.
Nicolas Sarkozy ne s'abandonnait pas à une spontanéité désinvolte et dangereuse parce qu'il l'avait programmée mais parce qu'elle lui était naturelle et que l'impact bon ou mauvais de la politique qu'il menait était suffisamment éclatant pour demeurer prioritaire.
S'il commettait des erreurs, elles émanaient rarement directement, consciemment de lui. Quand il s'est égaré en nommant Rachida Dati garde des Sceaux, il ne faisait que suivre les étranges conseils de Cécilia, son épouse d'alors et de l'inévitable Alain Minc. Et il ne l'aurait pas maintenue contre vents et marées comme François Hollande avec Christiane Taubira.
Instinctif et influençable, Nicolas Sarkozy voulait surprendre, provoquer, parce que "n'aimant pas les gens" - le Premier ministre n'a pas tout à fait tort - il devinait que sa normalité ne serait pas son principal atout mais son énergie, parfois si proche d'une agitation qui réfléchit après-coup.
Au contraire, François Hollande est un Sarkozy qui exploite son tempérament pour faire oublier une politique qui échoue. La croissance est molle, le chômage ne diminue pas et le déficit se réduit plus lentement que prévu.
Le président de la République se persuade qu'il convient de stimuler les Français qui répugnent à applaudir le plat qu'il leur propose. Il refuse d'admettre que c'est la substance et la qualité de ce dernier qui constituent le problème.
Il tente ainsi, allant de groupes en groupes, de corporatismes en corporatismes, d'ouvriers à jeunes et bobos, de "renouer avec son image sympathique". Mais celle-ci, sauf de la part de quelques obtus, n'a jamais été remise en cause et il est absurde d'amplifier une politique de communication qui se contente de confirmer l'intime et l'affable sans avoir le moindre effet sur l'important : la croyance en sa valeur de Président.
A force, le caractère tactique exagéré des proximités qu'il cultive, de cette simplicité et cordialité dont il abuse, de ces selfies français ou suisses démagogiques qu'il accepte trop volontiers, de son inusable bienveillance dans l'espace public, loin de lui bénéficier, le dessert. Même le moins éclairé des citoyens sent qu'on met à sa disposition un système destiné à se substituer à ce qui seul devrait compter : la cohérence d'une action, des résultats pour la France.
François Hollande n'a aucune excuse. Il n'est pas victime de ce minimalisme au rabais et de ce coeur épandu à profusion. Il en use avec science et cynisme. Même si, alors qu'il ne lui reste que deux années, rien n'est acquis pour lui mais que le sous-estimer pour la joute finale serait faire preuve d'aveuglement.
Alors que la droite et dorénavant une large part de la gauche s'accordent sur le constat d'une Christiane Taubira au mieux ministre de la parole, au pire responsable calamiteux, François Hollande s'en moque.
Le sénateur Lecerf, qui s'est fait une spécialité de l'indulgence paradoxale, et Benoît Hamon la qualifiant de "grand ministre" sont un bien maigre soutien pour le président de la République qui poursuit cependant, imperturbable, autarcique, son exercice de démolition judiciaire au détriment du peuple et de concession idéologique pour des socialistes ayant besoin d'une gâterie.
Sans qu'évidemment le président de la République soit responsable du télescopage entre l'épouvantable naufrage méditerranéen avec ses 700 victimes et sa présence au magazine "le Supplément" de Canal Plus, sa tentative de se faire valoir et entendre dans cet univers du divertissement en espérant rattrapage politique avait quelque chose d'incongru et presque de pathétique. Il n'avait que lui à offrir, et sa gentillesse, la plupart du temps, dans les échanges. Premier fiasco.
Mais un second fiasco, car Maïtena Biraben, remarquable par ses questions vives, rapides, sans complaisance mais sans agressivité, nous a éclairés sur le registre politique, parce qu'elles ont mis à mal le président de la République dépassé par le rythme et contraint d'abandonner les généralités nobles et brillantes.
Le reportage sur une cité minière étant passée de le gauche au FN l'a montré, quelques secondes, de mauvaise humeur, de mauvaise foi, énervé d'entendre rappeler son engagement pour la proportionnelle et contestant même le déficit démocratique de la faible représentation du FN à l'Assemblée nationale. Il n'était pas à son avantage face à ce procès qui lui était fait. La responsabilité, c'était bien avant lui !
François Hollande fait de sa personnalité un bouclier. Elle risque de devenir un succédané qui ne trompera plus personne. Sarkozy n'était pas aimé mais son caractère difficile, pour beaucoup, n'altérait pas son action mais l'expliquait.
Le président de la République a de l'esprit, rit de bon coeur, fait des blagues, sait écouter et dialogue volontiers. C'est bien mais peu.
Mais l'inébranlable confiance qu'il a en lui-même ne pourra pas toujours se passer des preuves qu'elle nous doit.